Diamond Rock, chronique d’une liquidation annoncée

— Par Philippe Pierre-Charles, CDMT-Hôtellerie —

Le discours embrouillé de Max Tanic, directeur de feu la SHED, société gestionnaire de l’hôtel, depuis des mois n’aura trompé que quelques journalistes bien distraits. C’est sans surprise et presqu’avec soulagement que les salarié-e-s ont accueilli la nouvelle de la mise en liquidation. Qui pouvait croire à une procédure de « redressement » d’un hôtel en « chimpontong » , privé même d’eau et d’électricité, sans clients recherchés, en pleine saison dite basse, ayant épuisé les fonds de la SEMAVIL en paiement de salaires sans activité malgré toute la bonne volonté et les réclamations du personnel ? Dans la mer mouvementée du Diamant, le personnel a été mené en bateau, non pas vers le Rocher, mais vers un naufrage annoncé! C’est le Titanic de Tanic, mais hélas pas seulement de lui!
Toutes nos inconséquences martiniquaises peuvent être jugées là. Au départ, il y avait bien un geste courageux d’une municipalité : à travers sa société d’économie mixte, relever le défi abandonné par la multinationale française, le groupe Accor, parti maximiser ses profits sous d’autres cieux. La mariée n’était pas si mal : un site splendide, une réputation établie, un personnel volontaire, une propriétaire signant avec une CDMT vigilante un engagement à développer l’activité sans céder aux sirènes des opérations immobilières. Piqué au vif par des adversaires l’accusant de ne viser dans l’affaire qu’à réaliser « un coup politique » , le maire du Lamentin, Pierre Samot, semblait déterminé. C’est en tout cas l’image qu’il donnait lors de la cérémonie d’inauguration, où la CDMT et la CSTM (représentée par feu Marc Pulvar) avaient pu dire leurs espoirs et leurs préoccupations.
Mais le ver était déjà dans le fruit : derrière la SEM, il y avait la SHED. Société d’Economie Mixte pour la façade et l’éventuel comblement des déficits, Société capitaliste ordinaire pour le fond c’est-à-dire pour les règles de fonctionnement, pour l’opacité, et pour la distribution de fromages à un petit nombre dont le souci jusqu’au dernier jour pour certains (que nous ne nommerons pas par gentillesse) n’a été autre que le fromage en question.
De fait le montage SEM et Société capitaliste, au lieu de doubler les possibilités de contrôle du bien social concerné ne fit que doubler les possibilités de dissimulation et d’opacité! D’un coté la bataille des salariés pour voir clair, anticiper, peser sur la marche des choses, avancer leurs propositions, s’est heurtée à un mur : plus le CE (comité d’entreprise) posait des questions, moins il comprenait les réponses et les non-réponses! De l’autre plus les élus municipaux s’inquiétaient, moins ils étaient mis au parfum!
SOCIALISATION DES PERTES, PRIVATISATION DES PROFITS
On voit là les limites du discours des majorités qui se sont succédé à la Région, suivant lequel ils veulent bien aider, mais surtout pas gérer ; il faut entendre par là qu’ils veulent bien allonger des fonds mais pas mettre en place de structures publiques, ou mixtes ou coopératives pour gérer en mettant l’intérêt collectif au poste de commande. Derrière cette stratégie, il y a la socialisation des pertes et la privatisation des profits.
L’échec de l’expérience prouve une nouvelle fois que l’on ne gagne rien à traiter les salariés comme la dernière roue du carrosse, ce qu’ils sont en régime capitaliste. Le langage, tantôt brutal, tantôt suave de ceux qui, à tour de rôle, le gèrent, ne change rien à cette réalité. En Martinique, et ailleurs, les patrons font ce qu’ils veulent, les collectivités publiques ne font pas mieux. Pour mieux garder la main, chacune de ces parties (Patrons d’un côté, responsables politiques de l’autre) veut bien parler avec les salarié-e-s et leurs syndicats mais surtout pas se mettre ensemble avec eux pour parler en transparence, voir clair dans les mensonges soit des uns soit des autres afin de faire intervenir aux côtés des travailleurs leur principale alliée, la population!
Résultat ? Jusqu’à ce jour on ne sait pas pourquoi avec les atouts que nous avons signalés plus haut, avec des taux de remplissage parfois remarquables on en arrive au résultat d’aujourd’hui, à savoir huit millions de dettes! Le liquidateur dit vouloir savoir. Nous verrons, en pensant au proverbe de chez nous : balé nef…
Pour l’heure, la propriétaire des lieux affirme sa ferme volonté de faire la rénovation indispensable avec l’aide conséquente de la Région, de reprendre l’ensemble des salarié-e-s après les travaux sous l’égide d’une grande chaine hôtelière. La CDMT a défendu jusqu’au bout l’idée de création d’une SQCOP, les salarié-e-s ont fait les démarches juridiques nécessaires. Cette solution n’intéresse ni les tribunaux, ni la propriétaire. Pour ce beau monde, hors des solutions capitalistes les plus traditionnelles, il n’y a point de salut. Les travailleurs auraient tort de baisser les bras et se condamneraient au pire s’ils se dispersaient et abandonnaient l’organisation, la solidarité et l’action collective comme hélas d’autres avant eux. Le vrai défi n’est pas posé aux Politiques et aux patrons qui en verront d’autres. Il est posé à celles et ceux qui par leur travail créent les richesses dans tous les pays du monde. Haut les coeurs!
Philippe Pierre-Charles, CDMT-Hôtellerie