— Par Nadège Dubessay —
Faut-il, comme le propose Marlène Schiappa, la secrétaire d’État chargée de l’égalité, une loi spécifique sur le harcèlement dans la rue, différente des textes qui existent déjà ? Faut-il le distinguer des agressions sexuelles au travail ou au domicile ? Ou le gouvernement, ainsi, ne se défausse-t-il pas dans le débat ouvert par les témoignages de milliers de femmes ? Quitte, une nouvelle fois, à montrer du doigt « les quartiers difficiles »…
Du jamais-vu. Depuis début octobre, l’affaire Weinstein provoque une onde de choc et a déclenché une libération spectaculaire de la parole sur les réseaux sociaux, aux États-Unis et ailleurs. Des milliers de femmes victimes de harcèlement, d’agressions, voire de viol, témoignent. Des paillettes d’Hollywood à la rue, aucun milieu, aucun espace n’est épargné. Et le scénario est souvent le même. Ce que la société avait longtemps réprouvé mais toléré devient inacceptable. Pourquoi maintenant ? « Parce que ça finit par s’accumuler ! » tempête la sociologue Marie Duru-Bellat, auteure de « la Tyrannie du genre » (1). « Au travail, le problème était identique au début du siècle dernier, dans les usines. C’était tabou. Et les femmes avaient moins d’arguments pour se défendre, se sentir solidaires. » Surtout, au cours des cinquante dernières années, la proportion de femmes participant au marché du travail a fortement progressé : de 40 % en 1962, où elles devaient demander l’autorisation à leur mari pour travailler, à 80 % aujourd’hui. « Elles sont maintenant à de très hauts niveaux politiques ou professionnels. Mais, on les rattrape toujours par les bretelles en disant : attention, il ne faut pas menacer les hommes, ne pas leur faire peur. »
Une pénalisation problématique
Les chiffres cachent une triste réalité. Les utilisatrices des transports en commun seraient 100 % à avoir été victimes de propos sexistes, selon un rapport datant d’avril 2015 du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes. Selon un sondage pour Franceinfo et « le Figaro » paru le 19 octobre, près de 53 % des Françaises déclarent avoir déjà été victimes de harcèlement ou d’agression sexuelle, pour seulement une centaine de condamnations par an. Une femme sur cinq le serait dans le cadre de son travail, d’après une étude de 2014 réalisée pour le Défenseur des droits. Seuls 5 % des cas seraient portés devant la justice. Quant au viol ou à la tentative de viol, 96 % des victimes sont des femmes. Selon l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, seule une femme sur dix porterait plainte et une plainte sur dix aboutit à une condamnation… Pour Marie Duru-Bellat, aucune ambiguïté : « Au travail ou dans la rue, le harcèlement sexuel porte ce dénominateur commun: le sentiment des hommes d’avoir le pouvoir sur les femmes. » Il s’agit bien, toujours, de rapports de forces et de domination. Le corps des femmes reste à la disposition des hommes. « Les rapports dissymétriques entre les garçons et les filles s’accentuent au collège. Il y a, dès 11 ans, une radicalisation du rapport entre les sexes avec de jeunes garçons qui regardent très tôt du porno via les réseaux sociaux. Et l’image du porno, c’est bien celle des hommes qui peuvent faire ce qu’ils veulent aux femmes. » Ni une ni deux. Le gouvernement s’empare de la question. Marlène Schiappa l’a annoncé le 16 octobre : la secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes déposera en 2018 une proposition de loi contre les violences sexuelles et le harcèlement de rue. On pourrait se réjouir que le droit des femmes fasse l’objet de l’attention publique, mieux qu’il devienne une « cause nationale », comme l’annonçait Emmanuel Macron le 15 octobre sur TF1.
«100% des utilisatrices des transports en commun ont été visées par des propos sexistes.»
Mais, pour beaucoup, le projet de pénalisation du harcèlement de rue pose problème. Quinze militant(e)s féministes et chercheur(se)s qui travaillent sur la question des violences de genre ont signé une tribune dans « Libération » « contre la pénalisation du harcèlement de rue ». Le texte rappelle que, en France, « les insultes, le harcèlement et les atteintes physiques et sexuelles dans tout l’espace public sont déjà considérés comme des infractions ». La sociologue Pauline Delage, spécialiste des violences conjugales, considère qu’il faut plutôt « proposer de légiférer sur l’espace public en général ». Car, là où le bât blesse,…
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