— par Roland Sabra —
Semaine 1
Ces sixièmes rencontres cinémas de Martinique sont bien étranges. A côté du meilleur se fourvoie certains soirs le moins bon ou très exactement des œuvres, car ce sont tout de même des œuvres, qui auraient sans doute plus leur place dans d’autres cadres que ces Rencontres Cinémas, qui ont une importance d’autant plus grande pour le spectateur de Martinique qu’il n’est pas si fréquent de pouvoir assister à ce qui se présente implicitement comme un Festival. S’il est vrai que sur le continent ces dits festivals de cinéma présentent une incroyable diversité ou l’ excellence côtoie l’exécrable, leur nombre, leur fréquence fait vite oublier ce que l’on n’aurait pas dû voir pour ne retenir que le meilleur. La rareté de tels évènements en Martinique devrait inciter à une plus grande rigueur dans le menu proposé. Prenons un exemple celui de la soirée Ekoclap du 08 juin qui nous a imposé « Waste Land, de la poubelle au musée » et « Severn, la voix de nos enfants » deux documentaires télévisuels dont le contenu est déjà révélé dès les premières images. Le premier suit le photographe brésilien Vik Muniz qui laisse le temps d’une création New York où il vit confortablement pour photographier les trieurs d’ordures dans la plus grande décharge du monde dans la banlieue de Rio de Janeiro. Le film porte sur la fabrication d’une bonne conscience pour l’artiste à travers la réalisation de portraits de « catadores » dont les profits de la vente aux enchères chez Sotheby’s leur seront reversés. Le second est consacré à Severn Cullis-Susuky qui, âgée à l’époque de douze ans, avait marqué le Sommet de la terre à Rio en 1992 par un discours mettant en cause l’inacceptable inaction des dirigeants de la planète. Le documentaire n’apporte strictement rien de nouveau si ce n’est de découvrir la petite fille devenue adulte et dans l’attente d’un enfant. Dans vingt ans en 2032, peut-être verrons nous un troisième épisode tout aussi inintéressant et en 2052 encore un autre. Tout une partie de l’émotion ressentie en 1992 tenait à ce que le discours, bien structuré était tenu par une enfant, les mêmes propos prononcés par une adulte d’une trentaine d’années perdent forcement de cette puissance. L’adulte ne fait que singer l’enfant qu’elle a été, les larmes en plus.
Une autre déception porte le nom de « Beautifull » un 45 mn trois fois trop long réalisé par le guyanais Serge Poyotte. C’est parait-il une histoire d’amour entre présent et fantômes du passé qui se résume à une tentative de roadmovie promotionnel pour une marque allemande de 4X4, dont le modèle est filmé, photographié et détaillé jusqu’aux spécificités techniques ( un diesel!). Et dire qu’il a fallu convoquer Léon Gontran Damas pour ajouter croit-on un supplément d’âme à cette daube mal cuisinée.
Vendredi soir carte blanche était donné à Janluk Stanilslas, dit « Slas », un jeune réalisateur guadeloupéen qui nous a montré trois clips, trois courts métrages et un documentaire. Les génériques sont très soignés, très élaborés, le contenu des clips somme toute assez semblables à ce que l’on peut voir sur les chaines spécialisées dans ce genre de diffusion, avec toujours cette impossibilité de se départir d’une tendance à l’illustration, quand bien même ce qui est montré à l’écran se voudrait un discours autre que celui tenu par la chanson. L’aboutissement logique d’une telle démarche serait de cantonner la musique à la bande son et de filmer tout autre chose. Le narcissisme des musiciens dut-il en pâtir ! Allez « Slas » encore un effort pour éliminer définitivement du champ visuel des musiciens dont la présence à l’écran n’apporte vraiment pas grand chose.
« Trafik d’info », un onze minute au titre assez clair, est le plus abouti sur le plan esthétique au risque d’éclipser l’argument qui le sous-tend. « On Lanmen Ka Lavé Lot » est un documentaire dont le sujet, l’acheminement de secours de la Guadeloupe vers Haïti au lendemain du tremblement de terre du 12 janvier 2010, retient davantage l’intérêt que sa facture assez classique là encore.
Le meilleur compromis entre la forme et le fond semble être un véritable petit bijou « Lanmou a Bwa » de quinze minutes sur la perpétuation d’une tradition autour d’une passion celle des coupeurs de bois du côté de Pointe Noire. La commande institutionnelle de ce court métrage semble avoir imposé des contraintes au réalisateur qu’il a transformées en points d’appui pour faire œuvre originale. Une réussite.
Le premier bilan de cette première semaine des Rencontres Cinémas de Martinique se résume à deux très bons films, « Même la pluie » et « Miente » un bon petit film dont Thomas Sotinel, dans Le monde, à dit l’essentiel « We want Equality sex » Le reste de la sélection semble parfois s’être égaré dans des lieux où il n’avait pas à être invité ou en tout cas pas à ces dates là.
R.S. le 11 juin 2011 à Fort-de-France
Semaine 2
Grizzly man de Werner Herzog aura marqué la fin des Rencontres. Seul le réalisateur d’origine bavaroise pouvait faire ce film là. On retrouve dans cette œuvre deux thématiques qui parcourent l’ensemble de son travail de « Aguirre ou la colère de Dieu », au « Diamant blanc« , en passant l’inévitable « Fitzcarraldo », à savoir la nature et la démesure; avec une scène pile-poil à la moitié du film qui ressemble à de l’anti-cinéma et qui pourtant pose la question essentielle de tout réalisateur : qu’est-ce que l’on peut montrer et faire entendre dans un film. Point nodal d’une interrogation qui n’a rien de métaphysique et qui taraude Werner Herzog au point d’apparaitre à l’écran, épaule et tête visibles de trois-quarts arrière, casque audio sur la tête, écoutant les derniers hurlements de Timothy Treadwell se faisant dévorer par ses « amis les grizzlys et assurant à une femme en face de lui qu’il ne faut pas écouter ce qu’il est en train d’écouter et qu’il faut détruire cette cassette. Le spectateur n’entendra rien de la bande sonore. Comme pour dire que là il ne s’agit plus de cinéma, qu’il soit de fiction ou de documentation. Négation de l’image comme négatif de ce qu’elle prétend re-présenter dans la distance qu’elle instaure entre le réel impossible qu’elle tente de saisir et de ce qu’elle peut pauvrement en restituer. Négation de la négation qui a pour fonction au beau milieu du film, de rappeler que pour Herzog il existe une transcendance inapprochable, une ordalie, un soleil que nul ne peut regarder en face et surtout qui renvoie le spectateur au risque d’une possible déliaison de ses pulsions scopiques, à son statut d voyeur le cul dans son fauteuil. Ce réel que l’on essaie d’approcher, qui pèse, qui toujours est chape c’est celui que Werner Herzog nomme Nature, avec un grand N ou Démesure avec un grand D. Et c’est pourtant du cinéma!
Après une telle leçon de cinéma sur le cinéma il était difficile aux autres films de prendre la suite. La soirée Courts de luxe reprenait, était-ce bien utile? la sélection du festival du court, déjà évoquée dans ces colonnes. Voir notre article sur Prix de court. De la soirée brésilienne, on partagera avec Fabien Reyre tout le mal que l’on peut dire du film de la réalisatrice Alice de Andrade, « Le diable à quatre ». Quant au film « Le ciel de Suely » l’intrigue est mince . De retour dans son village natal Hermila, 21 ans s’installe chez sa grand-mère avec son tout jeune gamin dans l’attente, rapidement déçue, du retour du mari(?). Elle comprend très vite que sans boulot, sans argent elle n’a aucun avenir dans ce trou perdu. Elle décide d’organiser une loterie dont elle s’offrira au gagnant pour une « Nuit au paradis ». L’essentiel de l’intérêt du film porte sur le travail de la pellicule au laboratoire. Le labo a transféré les images en numérique les a travaillées, en accentuant les couleurs et les oppositions, puis les a restituées sur pellicule. Le résultat est plutôt réussi en ce qui concerne les paysages les maisons, extérieurs et intérieurs. Les actrices, c’est un film de femmes, les hommes sont absents, là-bas comme ici, sont filmées en plans rapprochés. On ne les voit que très rarement de plain pied. La caméra s’attarde sur les têtes, les épaules, une oreille… Corps morcelés d’existences, et de vies elles-mêmes en morceaux.
La soirée de clôture offrait le dernier Tsui Hark avec Detective Dee. s’il fallait trouver un mot pour qualifier cet opus ce serait brio! Tsui Hark est sans doute le plus grand réalisateur chinois contemporain. Moins connu que John Woo ou Wong Kar-wai, il est à Hong Kong, dans l’immense Chine et même au-delà un des piliers du cinéma asiatique. Le sous-titre du film est déjà en lui-même une merveille , « Le mystère de la flamme fantôme ». De quoi s’agit-il?
Chine, fin du septième siècle, très précisément l’an 690. Wu Zietian, veuve de l’empereur, régente de l’empire Tang s’apprête à se faire couronner première impératrice de Chine, pour mieux assurer la transmission du pouvoir à son fils. Une femme impératrice! Les résistances sont grandes et les notables complotent. Une série de morts spectaculaires, par consumation après une exposition à la lumière du soleil vient ternir les fastes préparatifs au couronnement. Wu Zietian fait appel aux services celui qu’elle maintient en prison depuis huit ans pour rébellion , Le detective Dee , mieux connu des lecteurs européens du néerlandais Robert Van Gulik sous le nom de juge Ti. Les enquêtes du juge Ti dans les vingt-cinq romans publiés, s’inspirent d’un personnage réel, qui fut Premier Ministre de l’impératrice avant de devenir un personnage de légende.
Insolent, irrespectueux des formes et des manières Detective Dee ne semble connaitre de lois et d’engagements que ceux qu’il choisit et qu’à ce titre il respecte à la lettre. La liberté de ton dont il use dans ses rapports avec l’impératrice font fortement contraste avec le protocole empesé de la cour. Au risque de choquer son entourage Wu Zietian apprécie, outre les réels talents du détective, cette liberté de parole, dont elle fait semblant de s’offusquer.
La façon de filmer de Tsui Hark est ébouriffante. Il déploie une folle énergie toujours en mouvement, en fusion, en explosion et en éternelle recomposition, dans des combats chorégraphiés au millimètre près, des courses poursuites plus éreintantes pour le spectateur qu’elles ne semblent l’être pour les personnages. Le film est haletant, jusqu’à l’essoufflement, tant les rebondissements, fausses pistes et vrais leurres dévalent de l’écran en avalanche, sans pour autant que le fil de la narration perde en clarté et en compréhension. Au-delà du film de divertissement pour ados boutonneux il y a dans le propos une vraie philosophie, un refus du manichéisme, une célébration de la dualité à la hauteur de la prouesse technique et de la grande beauté plastique de l’œuvre. Chaque personnage est à la fois sauveteur et félon possible, traitre et féal potentiel. Le seul antagonisme clairement assumé, revendiqué et visible à l’écran porte sur l’esthétique des personnages. Face à la sophistication de la mise des personnages de la Cour, reflet de la complexité des intrigues, des enjeux de pouvoirs qui la traversent, et qui semblent parfois flirter avec l’éther, la rusticité du Juge Ti et sa massivité, tout aussitôt démentie dans ses cascades, renvoient elles à une dimension terrienne de paysan dont l’intelligence se nourrit d’un sens de l’observation et d’une capacité de déduction au moins égales à celles de Sherlock Holmes.
Il parait que le film dure un peu plus de deux heures. On ne s’en est pas rendu compte.
Voilà ces Sixièmes Rencontres Cinémas Martinique ont certes proposé un plateau de qualité avec des perles rares et quelques fois des scories, mais comme le dirait Steeve Zebina, grand ordonnateur des ces réjouissances n’est-ce pas là la marque de tout festival un tant soit peu réussi?
R.S. le 19 juin 2011 à Fort-de-France