— par Janine Bailly —
Traditionnellement, le dernier mois du printemps voit fleurir les représentations dites “de fin d’année”, celles des plus petits comme celles des plus grands leurs aînés qui ouvrent le chemin, témoignages de ces semaines studieuses où l’on s’est retrouvé pour, en amateurs débutants ou éclairés, mettre au point un spectacle digne de la scène. Saluons l’audace de celles et ceux qui, osant se confronter au regard d’un public, font ainsi vivre au plus près de nous les arts, musique, danse, ou théâtre, et ce parfois en dépit du trac qui soudain, au moment du jeu, vient les surprendre et leur nouer le ventre.
D’une belle assurance font preuve les comédiens de la compagnie Courtes Lignes, venue comme chaque année de Guadeloupe participer au Festival du théâtre amateur de Fort-de-France, avec cette fois une pièce qui en 2011 recueillit trois Molière : Le repas des Fauves, de Vahé Katcha, écrivain d’origine arménienne qui, en 1960, alors que s’éloignait en France le spectre de l’occupation allemande, put parler, avec aisance et un humour de bon aloi, de cette période difficile, et de la Résistance. Un film éponyme de Christian-Jaque fut réalisé en 1964, avec Claude Rich, et sur des dialogues de Henri Jeanson. Il est plaisant ici qu’une troupe soudée elle-même par une complicité évidente mette en scène l’histoire d’un groupe de sept amis qui, soumis aux aléas dramatiques de l’Histoire, enfermé dans un salon bourgeois à l’abri des vitres occultées de papier journal, va peu à peu se déliter jusqu’à laisser le couple hôte et propriétaire des lieux seul, en larmes, au dénouement de l’intrigue. Un huis-clos assez convenu, mais qui poussera chacun à tomber le masque, à sortir les griffes du fauve qui dort en lui, lorsque le danger se fera présent, que chacun pensera jouer sa vie, et que tous auront à lutter contre une peur envahissante à l’idée de l’échéance finale. La belle amitié cède alors le pas devant l’égoïsme primitif, l’individualisme forcené, le désir de vivre à tout prix, quand bien même ce prix serait le sacrifice des autres. Si l’on rit au spectacle de certaines solutions comiques imaginées par les sept, celle par exemple de mettre le feu à l’appartement pour trouver une occasion de fuir, on s’indigne quand tous poussent l’hôtesse, la plus jeune et la plus jolie, à “rejoindre” l’officier allemand dans le but de l’amadouer. En plus grave et plus tragique, mais dans le même registre, on pourrait évoquer les films Le choix de Sophie, pour le dilemme justement posé par la nécessité de choisir, ou Marie-Octobre, pour ce huis-clos lié à la Résistance, et dont devrait sortir aussi une condamnation à mort.
Quittons Fort-de-France pour nous rendre au Robert, au bord de mer dans la salle de l’Office Municipal de la Culture et des Loisirs, et le possible déplaisir de faire la route sera vite oublié, effacé par le bonheur et le rire de voir évoluer, dans une ambiance conviviale et chaleureuse, la troupe enjouée Les Buv’Art prenant à bras le corps, sous la houlette efficace de Laurence, trois pièces courtes afin de nous entraîner avec elle dans La Folie Guitry. Un décor tenant du kitch, fait de rideaux rouges sur des portants, et qui hélas en raison de l’étroitesse de la scène limite quelque peu l’aisance et les déplacements des acteurs ; une allègre musiquette — Chicken Reel, générique en 1964 de Histoires sans paroles — en soutien des quelques changements de décor à vue, et nous voici ailleurs, loin de nos soucis quotidiens, pour une heure trente empreinte d’une légèreté qui n’est pas sans cacher une certaine profondeur. On reconnaît certes Sacha Guitry dans ses rapports compliqués aux femmes et à la famille, encore que l’habituelle misogynie se fasse là plus discrète, dans ses jeux de mots, tantôt faciles tantôt subtils ou percutants mais toujours énoncés par les uns et les autres d’habile façon, entraînant l’adhésion d’un public conquis. De Villa à vendre, on peut garder la malice d’un mari prompt à stigmatiser le côté féminin de son épouse comme à conclure des affaires plus ou moins honnêtes ; de Le Kwtz, la malignité de cet amant sans foi ni loi et la parodie de relation amoureuse, peut-être inspirée d’un final de Roméo et Juliette ; de La Chambre de la Reine Isabeau, le duo hilarant de Gina et Rachid, respectivement coquette d’époque et conservateur de musée, l’un tentant vainement de déshabiller l’autre, l’autre femme frivole et légère fantasmant sur le lit de cette Reine Isabeau, à laquelle sont attribuées de bien cocasses aventures, au goût d’anachronisme avéré ! De chaque acteur et actrice, on a pu admirer l’investissement, le plaisir d’être sur scène et de nous faire plaisir, le désir d’être pleinement dans un jeu convaincu et convainquant comme dans les divers personnages représentés. Une intéressante performance ! Mais il me faut aussi dire comment Patricia pour moi ”crève l’écran“, apportant à chacune de ses apparitions un regain d’énergie à l’ensemble, tant elle utilise au mieux toute la palette des expressions du visage et des mouvements du corps qui sont à sa disposition. Enfin, quelle belle idée de metteur en scène, celle qui fait se pencher la file de ces visiteurs du musée, plus typés les uns que les autres, vers le public captif, nous transformant pour un instant en objets à photographier, ou en dérisoires tableaux de maîtres ! Petite réminiscence de Art, de Yasmina Réza, ou plus exactement encore de Musée haut, musée bas, de Jean-Michel Ribes.
Dans son apparente simplicité, un spectacle lumineux, porteur de bonheur, auquel il manque sans doute un peu de rythme, et pour lequel un peu plus d’excès dans la caricature, la dérision et le burlesque aurait pu être le bienvenu, dans le but de régénérer mieux encore des textes un rien datés. Le spectacle se donne encore au Robert ce samedi 3 juin et à Saint-Pierre au CDST à une date ultérieure à préciser. Ne le manquez pas, il vous mettra le cœur en joie !
Janine Bailly, Fort-de-France, le 3 juin 2017
Photos Paul Chéneau