— Par Selim Lander —
Que fait le théâtre de boulevard sinon nous amuser de situations dramatiques, susceptibles a priori de donner plus à pleurer qu’à rire ? Le ressort le plus courant, dans le vaudeville, consiste à se moquer d’un cocu, en usant largement du procédé dit de « l’ironie » : tout le monde est au courant, y compris les spectateurs, de ce que le mari malheureux ignore encore. Cependant, comme le thème est éculé à force d’avoir servi, les auteurs ont dû explorer d’autres voies. Pour ne prendre qu’un exemple, emprunté à Guitry, dans la pièce mystérieusement intitulée Le KWTZ[i], lorsque le mari cocu apparaît, tout à fait à la fin, il n’ignore déjà plus qu’il est trompé par sa femme avec son meilleur ami et la pièce joue sur un autre ressort, principalement un faux suicide des amants et, accessoirement, lorsque le mari paraît enfin, sur l’incertitude quant au comportement qu’il adoptera à leur égard.
Si cette pièce tourne encore autour du cocuage, le thème n’intervient plus guère, ou alors de manière anecdotique, chez les auteurs contemporains. Tel est le cas dans Le Repas des fauves où le mari découvre que sa jeune épouse n’est pas tout à fait l’oisillon de la dernière couvée qu’il croyait. L’argument de la pièce située pendant la deuxième guerre mondiale dans la France occupée est nettement plus grave puisqu’il s’agit pour les sept convives du repas d’anniversaire de la jeune femme de désigner parmi eux les deux otages exigés par la Gestapo à la suite de l’assassinat de deux officiers allemands devant l’immeuble. Rien de risible dans cette situation, comme on voit. La pièce n’est pas moins drôle et cela tient d’abord à la manière dont elle est écrite. On imagine le même thème traité par un Sartre, par exemple, avec une peinture sans concession des « salauds » et du tragique de la condition humaine. Rien de tel ici où tout le monde est sympathique – même les éventuels salauds – et où nul ne semble prendre vraiment la situation au tragique, chacun paraissant plus préoccupé de sortir un bon mot que de sauver sa peau.
Nous sommes avec le boulevard en plein dans un théâtre de convention (comme chez Molière) où l’on sait d’avance que tout finira bien, même si certains personnages peuvent y laisser des plumes. Le spectateur, qui est venu pour s’amuser, peut donc goûter en toute quiétude les saillies des personnages et les comiques de situation.
La comédie est – dit-on souvent – le genre le plus difficile pour les comédiens. Claude-Georges Grimonprez est un metteur en scène exigeant qui tire le meilleur des siens, lesquels n’ont pour la plupart, à vrai dire, d’amateurs que le nom, depuis le temps qu’ils jouent avec Courtes Lignes. Des comédiens que nous avons appris en effet à reconnaître et que le public martiniquais retrouve avec plaisir, voire attend avec impatience, à chaque saison théâtrale, lorsque vient le moment des troupes d’amateurs. On apprécie la mise en scène au cordeau et le décor réaliste (particulièrement élégant cette fois-ci). Un seul bémol, concernant le jeu ou plutôt la diction, les comédiens criant parfois plus que nécessaire.
Au Théâtre municipal de Fort-de-France les 3& mai, 1er et 2 juin 2017
[i] Ce titre viendrait de l’allemand « Witz » : plaisanterie. Le KWTZ est donné avec deux autres pièces brèves de Guitry les 2 et 3 juin à l’OMCL du Robert par la troupe Les Buv’Art. D’autres représentations auront lieu au mois de juin dans d’autres communes de Martinique.