11, 12, & 13 mai 2017 à 19h30 au T.A.C.
« Jusqu’où faut-il aimer ? Il faudrait un manuel pour expliquer cela. »
Cette phrase prononcée par un homme qui va émigrer en abandonnant sa fille n’est qu’un aspect d’un texte qui brasse toutes sortes de sentiments, de sensations, depuis les jeux amoureux pleins de malice jusqu’à la désespérance profonde en passant par les moments d’attente indécise hantés par la crainte des « persécuteurs ». Nous sommes sur une île, Cuba sans nul doute, entourée d’une « mer interdite ». La télévision qu’on entend parfois s’exprime en espagnol (« la télévision est une chose répugnante » répètera l’homme à plusieurs reprises).Ils sont deux comédiens qui interprètent plusieurs rôles, principalement celui d’un homme et d’une femme sur le chemin de l’exil. Ils attendent le passeur qui les conduira sur l’autre rive d’un fleuve (ou n’est-ce pas plutôt le détroit entre Cuba et la Floride ?), vers leur eldorado.
Le texte est exemplaire du théâtre moderne à la fois par la thématique à teneur sociale – celle de l’immigration en l’occurrence – et par sa construction complexe avec des flash back et des passages d’un personnage à un autre dont le spectateur ne sera pas averti. Le texte est également moderne au sens où il se passe des effets de surprise et des coups de théâtre. Ou plutôt, si des surprises surviennent, elles sont liées à la construction de la pièce plutôt qu’à l’action elle-même, par exemple à l’introduction soudaine de récits purement imaginaires, ainsi lorsque l’homme se décrit naufragé sur une île déserte, pauvre Robinson qui se nourrit de chèvres malades et croupit dans sa cabane à demi effondrée.
Les spectateurs martiniquais connaissent Ricardo Miranda, la fantaisie et le culot qui président à ses mises en scène. Ils ne seront pas déçus avec cette nouvelle pièce où l’inventivité du M.E.S. fait merveille. Il est certes servi par deux très bons comédiens, Nelson Rafael Madel et Astrid Mercier (cette dernière peut-être pas encore totalement dans son rôle lors de la première, hier, surtout au début de la pièce, mais sans que cela apparaisse gênant). Un exemple : tout a déjà été fait au théâtre – on ne dira pas s’il s’agit d’une trouvaille ou d’une retrouvaille – mais le ballet amoureux des pieds, jambes tendues verticalement contre un mur, est incontestablement un clou du spectacle.
La pièce est également servie par la musique et une scénographie impeccable qui se résume à trois blocs parallélépipédiques couverts d’un tissu couleur muraille. Au début on voit seulement le plus grand, dressé verticalement, les deux comédiens debout dessus, surplombant les spectateurs, contemplant l’horizon désespérément vide. Ce prologue, à vrai dire, est le moment le plus faible de la pièce : le dialogue, convenu et trop distillé, manque totalement sa cible. La suite sera heureusement complètement différente, turbulente dans l’ensemble, même si l’on verra revenir des moments où la pression retombe – peut-être un peu trop. Quoi qu’il en soit, cette Autre Rive est déjà un superbe spectacle qui mérite d’être vu bien au-delà de notre petite Martinique.
Au Théâtre municipal de Fort-de-France du 11 au 13 mai 2017.