Précédé de quelques considérations sur la politique culturelle
— Par Selim Lander—
Du théâtre jeune public à l’Atrium, c’est non seulement rare mais précieux à voir l’affluence à la représentation programmée à 17 h un samedi après-midi, jour et heure bien choisis au demeurant pour attirer les petites têtes brunes ou blondes et leurs parents. Il n’est jamais trop tôt pour donner le goût du théâtre, aussi ne peut-on que souhaiter que de telles séances deviennent plus fréquentes.
En cette période d’élection présidentielle, les institutions culturelles sont sur la sellette. Aucun des deux candidats restant en lice ne semble décidé à pérenniser sans examen un système où les institutions culturelles à caractère plus ou moins officiel captent la quasi-totalité (85%) du budget du ministère de la Culture. La question récurrente est celle du public qui fréquente ces institutions, un public que l’on sait culturellement favorisé. Car si des solutions existent pour faire accéder le public « populaire » à la culture « noble », elles n’ont jamais été mises en œuvre avec la vigueur nécessaire. Le slogan – magnifique – de « la culture élitaire pour tous » est malheureusement resté un slogan. Le chèque culture (qui ne peut être dépensé que pour acheter des tickets d’entrée aux activités culturelles) fait partie des solutions envisageables pour qui veut démocratiser la culture. Ainsi Emmanuel Macron, notre futur probable président, envisagerait-il de donner un tel chèque, d’un montant de 500 €, à chaque jeune de 18 ans. Ce serait une première. Dont acte. Encore faudrait-il savoir cependant quelles activités seraient accessibles avec ledit chèque. Si leur périmètre est défini très largement, on tombe en effet dans une logique libérale exactement contraire à l’objectif de démocratisation de la culture dite « noble ». Dans ce cas, en effet, le détenteur du chèque l’utilisera pour des spectacles qui l’intéressent déjà (un groupe de rock, par exemple) et ne sera pas incité à découvrir ce qu’il ignore (comme la Messe en si de Bach).
Tout cela pour dire qu’il ne suffit pas de remplir une salle avec des enfants et leurs parents, tant est grand le risque de s’adresser toujours au même public. L’Atrium en est d’ailleurs bien conscient, comme les autres institutions culturelles, puisqu’il organise des séances pour les « scolaires », par définition fréquentées par des enfants ou des jeunes originaires de tous les milieux (Dieu (?) merci, tous les enfants de ce pays vont à l’école), ainsi que des opérations décentralisées « en commune », soit au plus près d’un certain public dit populaire. Hélas ! on sait bien qu’une (ou même plusieurs) rencontre(s) ponctuelle(s) avec la culture (noble) ne suffi(sen)t pas – sauf cas rarissime du jeune touché par la grâce. Il faut une imprégnation qui ne vient, sauf exception, que par la famille… En d’autres termes, remplir une salle de spectacle avec des enfants et leurs parents ne sert le plus souvent qu’à conforter (aux dépens de tous les contribuables) une culture de classe.[i]
Qu’il soit bien clair qu’il ne s’agit pas par les remarques précédentes de critiquer la direction de notre scène nationale. C’est évidemment la politique culturelle de la France – et bien au-delà – qui est en cause. Il faut d’ailleurs faire ici justice de l’argument de ceux qui expliquent ne pas assister aux spectacles de l’Atrium ou des institutions similaires en raison du prix soi-disant excessif des billets. Cet argument n’a évidemment aucun sens, car les mêmes qui rechignent devant le prix des places n’hésitent pas à dépenser davantage le même soir au restaurant ou dans un autre loisir coûteux. Ce qui est vrai, par contre, c’est que la billetterie ne couvre qu’une part souvent minime du coût des spectacles, le reste l’étant par les subventions, i.e. par les contribuables. D’où l’importance de connaître le public atteint par nos institutions culturelles. En tout état de cause, s’abstenir d’assister à un spectacle ne relève pas, pour beaucoup d’entre nous, des capacités financières mais d’une absence d’appétit.
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Il est temps d’en venir à L’Histoire du royaume de Mirpou, le spectacle à l’affiche le 29 avril dernier, qui a suivi la projection de trois dessins animés tels qu’on sait les faire aujourd’hui, très très loin de l’esthétique Walt Disney. Concernant Ripou, nous devons pour commencer sinon faire amende honorable, du moins rappeler dans le prolongement d’un précédent billet concernant ETC-Caraïbe[ii] que, bien sûr, Tropiques Atrium participe déjà à la création et/ou la diffusion des textes primés lors des concours. C’est justement le cas avec Mirpou de Stanislas Sauphanor, lauréat du prix ETC-Caraïbe « jeune public » en 2015.
S. Sauphanor a écrit le texte, l’a mis en scène et l’interprète avec sa partenaire, Virginie Brochard. L’auteur se réclame des Mille et une nuits et de Racine. C’est sans doute excessif mais peu importe : nous avons l’habitude des références grandioses ou des professions de foi grandiloquentes dans les notes d’intention du metteur en scène (et auteur ici en l’occurrence). Mirpou est un conte « noir » avec un idiot (le roi Mirpou soi-même), des méchants (un ministre, des lions) et des honnêtes gens. Certes, le bien triomphera inévitablement mais cela seuls les adultes le savent à l’avance ; les enfants, quant à eux, redouteront le pire jusqu’à la fin. L’intrigue est bien menée, dans les limites du genre : le méchant sera puni, les lions gavés sans faire de victimes, le roi berné comme il convient et les innocents sauvés.
En dehors de l’intrigue, on a bien aimé le jeu des comédiens, celui de S. Sauphanor en premier lieu, qui incarne des personnalités très contrastées, même si lui et sa comparse sollicitent assez peu la coopération du (jeune) public, alors que ce dernier était disposé à répondre sans se faire prier. Pourquoi – en dehors, bien sûr, de ces moments de participation de la salle – a-t-on senti parfois un peu de recul dans l’assistance ? Difficile à dire. Le spectacle ne manquait pas de rythme, le grondement des lions (dans les haut-parleurs) était effrayant à souhait. Peut-être la présentation des deux comédiens, tout de noir vêtus, était-elle trop austère (même s’ils utilisent quelques accessoires pour incarner les différents personnages), peut-être aurait-il fallu insuffler un peu plus de comique dans le texte ? Le spectacle est tout neuf et donc encore perfectible. Tel qu’il nous fut présenté, il nous a en tout cas bien distrait, ce qui était le but recherché.
L’Histoire du royaume de Mirpou de Stanislas Sauphanor, une coproduction de Tropiques Atrium Scène Nationale.
[i] Concernant la politique culturelle et la justice sociale, nous renvoyons à Michel Herland, Lettres sur la Justice sociale à un ami de l’humanité, Paris, Le Manuscrit, 2006, 334 p.
[ii] http://www.madinin-art.net/latelier-decriture-theatrale-de-paul-emond/