— Par Jean-Marie Nol —
La fracture entre deux France devient de plus en plus flagrante lors de cette campagne électorale des présidentielles . D’un côté, une France des grandes villes connectées à la diversité du monde ; de l’autre, une France qui souffre, marquée par les désertifications rurale et industrielle. Il n’y a pas de tâche plus urgente et plus impérieuse pour le prochain chef de l’État que de réduire cette césure qui se caractérise par le creusement en France d’une fracture sociale symbolisée par la montée du chômage . Depuis 1995, la fracture sociale s’est multipliée : elle est devenue territoriale, éducative, générationnelle, numérique, religieuse…Comment en est-on arrivé là ?
Il y a dix sept ans, la France était -déjà- confrontée aux répercussions sociales de la mondialisation de l’économie et à un chômage de masse, la «fracture sociale» est plus que jamais d’actualité et cela Marine Le Pen l’a bien compris , car la sécurité économique et la certitude du lendemain sont désormais des privilèges dans cette France du XXI e siècle .Malgré une augmentation très considérable des dépenses, notamment des dépenses sociales depuis vingt ans , la pauvreté n’a pas diminué et l’exclusion non plus et les inégalités ont fortement progressé en France . La fracture sociale. Cette expression cristallise nos malheurs et les difficultés à venir en Guadeloupe et Martinique , car les remèdes classiques ont fait long feu. Sans changement de cap profond nous serons devant une dynamique de fragmentation où les micro-conflits foisonneront, mais sans se fédérer dans des oppositions claires et nous aurons droit à l’hystérie identitaire avec à la clé un enfermement dans une logique schizophrénique…Les nouvelles applications de l’intelligence artificielle vont transformer l’accès au savoir et à l’économie. Quel sera l’impact en Guadeloupe et Martinique de l’accélération actuelle du progrès sur la société, le travail et l’économie ? Autant de questions qui se posent aujourd’hui.
Nous sommes hors jeu et les hommes politiques de Guadeloupe et Martinique seraient avisés de se saisir de la question de l’identité : C’est cette déconnexion entre élites et peuple ou société civile et hommes politiques qu’il faut essayer de comprendre car la braise est toujours chaude sous la cendre actuelle.
A l’issue du quinquennat de François Hollande, plusieurs gros dossiers attendent le prochain locataire de l’Élysée. En effet, si Jacques Chirac avait fait de la fracture sociale son thème de campagne de l’élection présidentielle de 1995, plus de 20 après, les écart sociaux et territoriaux sont toujours là, que ce soit sur les questions de chômage, d’éducation, d’accès aux soins, etc., autant d’enjeux majeurs pour les Français.Le problème des politiques français est qu’ils n’ont plus la maîtrise de la règle du jeu, mais qu’ils continuent de faire semblant de l’avoir. Ce qui entraîne la décrédibilisation de la politique. Elle atteint aujourd’hui un degré alarmant. Nous arrivons en effet en bout de course du cycle néolibéral précisément parce que les sociétés ne supportent plus les dissociations de toute sorte qui en résultent.Mais il faut aussi regarder en face des données bien plus préoccupantes en Guadeloupe et Martinique . La montée du vote protestataire se poursuit, en faveur du Front national comme en faveur des candidats de la gauche radicale. Au niveau régional, la Bretagne et l’ouest de la France apparaissent à plusieurs titres comme les territoires les moins affectés par ces difficultés sociales. A l’opposé, le nord de la France et l’arc méditerranéen apparaissent comme les grands perdants que ce soit sur les questions de chômage ou d’échec scolaire, tout comme les départements ultramarins qui cumulent de nombreuses difficultés. La machine France ne fonctionne plus en Guadeloupe et encore moins en Martinique et tout le monde parlera bientôt d’identité , mais personne n’inclut dans le raisonnement le fait que notre société accepte de vivre avec plus de 20% de chômage et une insécurité record . Ce qui garantit que l’inclusion économique ne se fera pas pour les plus faibles et les derniers arrivés. La machine est là pour empêcher toute solution. Si l’on veut sincèrement une solution, il faut redonner la priorité à la cohésion de la société et faire émerger une nouvelle approche, de nouvelles méthodes de manière à faire éclore un nouveau modèle économique et social .
Éradiquer l’assistanat et son corollaire la grande pauvreté, penser les mutations du travail et les enjeux de la révolution numérique : voici les grandes raisons pour lesquelles il faut imaginer en Guadeloupe et Martinique un nouveau modèle de développement . Impôts, Pôle emploi, caisse d’allocation familiale… les outils numériques se généralisent pour l’accès aux services publics, alors que près de 80 % de la population a accès à internet et 85 % est équipé de smartphones. Mais que se passera-t-il pour les milliers de personnes qui n’ont pas accès au numérique, alors qu’elles sont souvent les plus dépendantes à ces services ? Quelles seront les transformations de la société guadeloupéenne et martiniquaise , de même comment les étudier ? Les outils numériques sont-ils un facteur d’exclusion supplémentaire ou peuvent-ils au contraire aider les populations les plus fragiles ? Les fausses peurs de la perte d’identité ne doivent pas masquer les vrais dangers, liés aux mutations des métiers, du travail et de la société .
Bien peu de gens en guadeloupe et martinique , si on les questionne, répondront que rien ne change ces années-ci. On dira plutôt que les choses changent beaucoup et très vite, certains ajouteront même que l’évolution est trop rapide, qu’elle nous essouffle et qu’elle risque dangereusement de tourner au désordre et à l’anarchie.Dans cette perspective, il n’est pas étonnant que les anciens piliers de la stabilité sociale s’écroulent aux Antilles . Il ne faudra donc pas s’étonner que presque tout ce qui paraissait sacré en Guadeloupe comme en Martinique telles que la solidarité familiale et la cohésion sociale , il n’y a pas si longtemps , soit remis en question ou même carrément abandonné. Et sans volonté affichée des dirigeants , ce thème de la fracture sociale sera de nouveau porteur au bénéfice exclusif de Marine le Pen dans les années à venir . Le thème fera mouche en Outre-Mer , et la portera sans conteste au pouvoir dans les 5 prochaines années dans la mesure ou elle capitalisera sur l’échec éventuel des partis de gouvernement. Dans une période de montée des populismes et de défiance accrue de la population à l’écart des responsables politiques, la participation citoyenne à l’élaboration d’un nouveau modèle représentera un enjeu majeur pour le bon fonctionnement de notre société.
Jean-Marie NOL