— Par Yves-Léopold Monthieux —
Et voilà que la question institutionnelle s’invite au débat guyanais. En dépit de l’ampleur des mécontentements et de la présence du drapeau guyanais au cours des manifestations, il était apparu que les revendications s’inscrivaient dans le strict cadre d’appartenance à la république française. Les déclarations des communicants des « 500 frères » ne tarissaient pas de références à leur condition de Français. Devant l’échec des négociations une nouvelle revendication s’ajoute donc au cahier des doléances : la reconnaissance à la Guyane d’un nouveau statut politique. On est mal renseigné sur cette nouvelle donne, mais s’il s’agit d’un réflexe de dépit dû au moindre succès de la démarche, son expression était inévitable. En effet, ce n’est pas en deux ou trois jours, loin des bases du pouvoir de décision, que des sujets qui appellent une grande expertise et des accompagnements budgétaires significatifs, que des solutions définitives au problème soient proposées sans que le gouvernement ne soit accusé de démagogie. Par ailleurs, pour les partisans du progrès dans la République l’éruption guyanaise se produit au pire moment du calendrier politique, à moins d’un mois d’échéances électorales qui pourraient faire vaciller la 5ème République.
On peut craindre que le mouvement guyanais, qui semble bien être à la hauteur des problèmes qui se posent, en viennent à perdre en pertinence une fois retombé le souffle des manifestations. Cependant cette orientation « institutionnelle » rejoint la lecture que font des évènements les anticolonialistes martiniquais et guadeloupéens qui y ont vu d’emblée l’expression de la volonté du peuple guyanais de s’émanciper du colonialisme français. C’est l’opinion d’Elie Domota et Philippe Pierre-Charles, les leaders des manifestations qui se sont déroulés en Guadeloupe puis en Martinique en janvier et février 2009. Mais il s’agit d’un réflexe qui les conduit souvent à prendre dlo moussach pou lèt. On ne peut s’étonner de la position de ces militants indépendantistes qui s’inscrit dans le cadre du combat qu’ils mènent dans leurs pays respectifs. Ils se disent prêts à reprendre l’action si les circonstances le favorisent, les manifestations de Guyane pouvant s’avérer la bonne occasion de réveiller les consciences.
On peut comprendre que la nuance ne soit pas le premier souci des mouvements indépendantistes dans l’opposition frontale qu’ils mènent contre l’Etat. De là à envisager de venir en aide aux camarades guyanais, il y a un gap que la prise de distance de la Guyane, ces derniers temps, à l’égard de la Martinique et de la Guadeloupe, ne paraît pas devoir faciliter. Ce que ne contredit pas le mot de cet internaute provocateur « asé fè stop asou mouvman lézot ».
Par ailleurs, on finira malheureusement par s’habituer aux interventions des politologues martiniquais que la référence des diplômes et le prestige de la fonction permettent trop souvent d’offrir à l’opinion publique des analyses volontairement tronquées. L’objectif final étant d’appliquer ces exercices d’école aux faits, il conviendrait que les études soient menées jusqu’à la l’évaluation des conséquences de leur application. Il n’est pas honnête de recouvrir l’avenir des populations sous le voile de la communication savante des professeurs de droit constitutionnel. C’est très vraisemblablement le refus par les clercs d’appréhender et surtout d’expliquer l’autonomie dans tous ses aspects, qui conduit les populations antillo-guyanaises à se méfier de ce mot d’ordre.
Ainsi donc, aux yeux des citoyens, l’autonomie demeure un pur concept comme c’est le cas en Martinique. Elle devrait pourtant répondre à une réalité possible et se référer à des règles qui ne sont pas forcément dans les livres. La notion d’autonomie, telle qu’envisagée par Césaire lui-même, s’est inspirée du continent européen : les lands allemands, les régions d’Italie ou d’Espagne. Ces terres ont la caractéristique essentielle de se trouver à l’intérieur des Etats dont ils relèvent ou dans leur proche périphérie, pas à dans des contrées dites ultrapériphériques. A propos, ceux que les mots « outre-mer », « métropole » ou « hexagone » insupportent sont les mêmes qui s’accommodent avec délices du terme « ultrapériphérique ». Tout ce vocabulaire étant utilisé autant que de besoin par la Martinique officielle, celle des élus, dans ses rapports avec la métropole.
Deuxième observation, qui ne figure pas davantage dans les travaux de nos universitaires : les candidats à l’autonomie sont les régions les plus riches des pays dont ils relèvent. Deux exemples parmi les plus connus, la Catalogne, en Espagne, et de l’Ecosse, en Grande Bretagne. Illustration de l’égoïsme des peuples, les régions riches ne veulent pas partager leurs richesses avec leurs voisines, moins bien pourvues. C’est le cas, à une autre échelle, du départ de l’Angleterre de l’Europe, le Brexit, tandis que l’expérience commune de l’article 74 des deux collectivités aussi différentes que St Barth et St Martin pousse jusqu’à la caricature la nécessité d’une approche pragmatique et non idéologique de l’appartenance statutaire. La première de ces collectivités a choisi en toute connaissance de cause une plus grande autonomie dans le cadre de l’article 74 de la constitution. Pour sa part, ti poul suiv ti kanna i mô néyé, c’est l’image que donne St Martin pour s’être mis dans la roue de sa riche voisine.
La fortune de St Barth ne tient pas à ses richesses naturelles, lesquelles ne sont pas moindres à St Martin, elle est due à son activité économique supérieure, comme en Ecosse et en Catalogne. C’est dire que la Guyane ne pourra pas compter que sur son or et ses forêts pour se développer, mais surtout sur son savoir-faire économique. Or aucun des départements d’outre-mer n’a su démontrer sa capacité à investir les aires incontestables d’autonomie mises à sa disposition depuis la décentralisation-régionalisation de 1983.
Par ailleurs, les professeurs de droit évitent de rappeler aux populations que la responsabilité locale ne peut pas être envisagée sans un effort particulier de leur part, ainsi qu’à des renoncements inévitables à leur niveau de vie actuel. Dès lors, il peut paraître criminel de ne pas préparer ces peuples à ces efforts et renoncement, bref, de ne pas les préparer à la responsabilité martiniquaise. Les manquements des éducateurs de l’enseignement supérieur sont d’autant plus grands qu’en cette période troublée on pourrait assister, en France, à un véritable Bing bang institutionnel où les Antilles-Guyane n’auraient pas le choix de leur avenir.
Au moment où s’écrivent ces lignes, une manifestation est en cours dans le monde des transporteurs. Voilà un domaine où la responsabilité des élus est entière. De sorte qu’on peut voir dans la fermeté du président de la CTM une invitation à cet effort ou à ce renoncement évoqués plus haut. Inscrire cette politique dans une adresse ou un appel public à la responsabilité des corporations aurait de la gueule. Ainsi que j’ai pu l’écrire dans un livre le concernant, Alfred Marie-Jeanne a le charisme et l’autorité lui permettant d’appeler la population à la manifestation de ces vertus. Il le peut d’autant plus qu’on peut imaginer qu’il ne sollicitera plus les suffrages des Martiniquais. Or curieusement, pour l’un des cadres élus de la CTM s’exprimant ce dimanche sur le sujet à Radio Martinique 1ère, c’est encore l’argument irresponsable habituel qui fut de sortie. Selon le président de la commission des finances de l’assemblée territoriale, c’est à l’Etat de régler le problème des transporteurs martiniquais. On ne peut mieux illustrer l’inaptitude des élus à s’approprier de la moindre parcelle d’autonomie.
Fort-de-France, le 3 avril 2017
Yves-Léopold Monthieux