Jazmin et Toussaint, La Danseuse
— Par Selim Lander —
Jazmin et Toussaint de Claudia Sainte-Luce
Un film d’auteur autobiographique dans lequel la réalisatrice s’est d’autant plus investie qu’elle interprète elle-même son propre rôle. Claudia Sainte-Luce est mexicaine mais de père haïtien. Elle a avec ce dernier des rapports compliqués. Lorsqu’il tombe malade, elle s’en occupe plus par devoir que par amour filial véritable. Il faut dire que le père, autoritaire, et qui s’enferme de plus en plus dans son monde à partir du moment où son esprit commence à partir à la dérive, ne laisse guère entrevoir de tendresse.
La volonté de Cl. Ste-Luce de coller à la réalité l’empêche de développer un scénario débouchant sur autre chose que la situation posée au départ. Il y a bien quelques échappées sur la vie privée de la jeune femme, son (ses) boulot(s), ses amis et sur la vie passée du père (qui a passé sa jeunesse en Haïti, a vécu à New-York, au Venezuela avant le Mexique) mais le film prend très souvent la forme d’un huis-clos entre père et fille.
À cela s’ajoute une direction d’acteurs monolithique. Les rapports entre les deux protagonistes n’évoluent pas et chacun se comporte de la même manière du début à la fin. La déchéance physique du père le rend plus dépendant sans adoucir vraiment son caractère. Tout cela rend le film souvent ennuyeux. S’agit-il pour autant d’un mauvais film ? On n’ira pas jusque-là. Le principal défaut de Jazmin et Toussaint est aussi sa qualité : la constance des deux personnages éponymes, leur incapacité à faire tomber la barrière qui s’est élevée entre eux depuis son enfance à elle finissent par fasciner.
On aime bien également les vues de la jeune femme dans les rues de Mexico, la nuit, et les personnages secondaires, tout ce qu’ils révèlent sur la vie de Jazmin/Claudia quand elle se sépare de Toussaint. Et puis on ne peut pas ne pas admirer la performance de Jimmy Jean-Louis, chargé d’incarner un homme bien plus âgé et de surcroît plutôt acariâtre, très loin de ses rôles habituels.
Enfin, on a remarqué le parti de la réalisatrice qui consiste, dans les flash-back, donc à tous les périodes de sa vie de Toussaint, à le faire jouer par le même Jimmy Jean-Louis grimé en vieillard (de façon fort convaincante au demeurant).
La Danseuse de Stéphanie Di Giusto
Après avoir tant aimé le film consacré à Benjamin Millepied (voir notre précédente chronique), on ne pouvait pas rater l’occasion de regarder le film consacré à Loïe Fuller que l’on n’avait pas pu voir à sa sortie. Ces deux films, de genres très différents (le premier un documentaire, le second une biopic quasi hollywoodienne) ont au moins un point commun en ce qu’ils montrent tous les deux que le milieu de la danse professionnelle, si séduisant pour les amateurs des ballets classiques ou modernes, est en réalité très dur pour les danseurs.
Des obstacles, Loïe Fuller (1862-1928) en a rencontré sur son chemin, depuis qu’elle a quitté les montagnes américaines où elle vivait avec son père jusqu’à Paris où elle connaîtra la gloire et puis la chute, en passant par New York où l’attendait sa mère dans une maison de la ligue de tempérance (antialcoolique) avec d’autres dames fanatisées tout de noir vêtues. Les hommes qu’elle a rencontrés au cours de son carrière ne lui ont pas fait que du bien, en particulier le comte de Morset (Gaspard Ulliel), dont elle partagera la (brève) vie, un personnage qui fut pour elle autant maléfique que bénéfique. Côté femmes, elle a connu l’ange (sa confidente-intendante – Mélanie Thierry) comme le démon (Isadora Duncan – Lilie Rose Depp) alors en pleine ascension et prête à vendre père et mère pour réussir).
Tout le monde a vu des photographies anciennes, voire des bouts de film tressautant de Loïe Fuller se produisant sur scène au milieu de voiles virevoltant. Le film montre très bien comment elle a perfectionné peu à peu sa technique. Les images de son numéro aux Folies Bergères, avec les moyens du cinéma d’aujourd’hui, en particulier l’éclairage, sont absolument magnifiques. Dommage qu’elles ne durent pas plus longtemps !
Les reconstitutions de New York comme de Paris au début du siècle dernier sont parfaites. Soko, la comédienne, qui interprète Loïe Fuller, est étonnante, atypique en tout cas, avec un corps massif bien loin des canons de la danseuse classique. Il faut dire qu’elle (Loïe Fuller) avait besoin de beaucoup de force pour manier ses voiles au bout de bâtons de bambou. Le film montre en détail les souffrances physiques de la danseuse, comment elle essayait de les calmer, souffrances musculaires mais aussi oculaires en raison des projecteurs trop puissants. On ne la suit pas jusqu’à la fin de sa vie. Nous la quittons épuisée, probablement incapable de remonter sur scène mais nous n’en saurons pas davantage (la réalité fut heureusement moins sombre).
Le personnage de Loïe Fuller est magnifique par sa volonté non seulement de réussir mais surtout de perfectionner sans cesse son art. Au sommet de sa carrière, elle était devenue une sorte d’entrepreneur de spectacle, à la tête d’une petite troupe de danseuses. Le film est convaincant à cet égard. On en sort quand même plutôt déprimé : c’est qu’il réussit trop bien à créer une empathie entre Loïe Fuller et les spectateurs et nous voudrions la voir toujours triomphante plutôt que souffrante.