— ParYves-Léopold Monthieux —
Dans la chronique publiée sur divers supports, le 30 novembre 2015, je posais la question suivante : Que feront les martiniquais si Marine Le Pen devient présidente de France ? Je disais « des hommes politiques martiniquais, [qu’] ils seraient bien inspirés de se pencher sur la perspective de l’arrivée au pouvoir du Front national qui, comme l’explique l’historien François Durpaire, ne peut plus être considérée comme une vue de l’esprit. L’avenir de la Martinique mérite mieux qu’une ruée vers l’aéroport Aimé Césaire pour s’opposer à la descente de l’avion d’une présidente de la république ».
Nous sommes en mars 2017. « Si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi ». Cette citation pourrait s’appliquer au rapport de Marine Le Pen aux Antillais. Si cette dernière n’est pas venue aux Antilles, des Antillais sont allés à elle, à la Foire agricole de Paris, où ils lui ont offert l’un des meilleurs accueils. Aux résultats de la prochaine élection présidentielle, il sera possible de mesurer le nombre d’électeurs martiniquais approuvant l’évènement. Si la présence de Juvénal Rémir n’a pas surpris, des martiniquais sont consternés par celle de Jean-Charles Brédas. Cependant il est prudent de ne pas donner à cette surprise une signification politique exagérée, le contexte du succès de la « colonie » domienne ayant pu créer une atmosphère propice aux effusions. D’ailleurs, on ne signale aucune réticence de la part des nombreux autres martiniquais présents lors de cette visite.
C’est vrai, le sympathique restaurateur martiniquais navigue, malgré lui, entre ses amis nationalistes et son statut de représentant distingué de la gastronomie française. Par ailleurs, il n’a pas le confort des fonctionnaires ou des retraités qui peuvent se permettre une rigidité du comportement d’autant plus exprimée qu’elle ne va pas au-delà de la posture. Je ne crois pas que Brédas, qui a pu être pris dans un engrenage, soit tout à coup devenu lepéniste. Pendant la rédaction du présent article j’entends qu’il craignait de se faire crucifier en cette période de carême. Il pourrait être le premier à souffrir d’un écart non maîtrisé manifesté dans des circonstances inattendues. Mais en ce moment du débat politique, le chef martiniquais est peut-être l’arbre qui cache la forêt.
Car plus préoccupant m’apparaît le silence abyssal des partis politiques et des personnalités intellectuelles et politiques quant à la probabilité de succès de Marine le Pen à l’élection présidentielle. Il est facile de faire diversion et de cacher cette démission derrière l’affirmation d’un pronostic qui serait, tout compte fait, défavorable au Front national. En effet, on entend souvent l’assertion suivante, de la bouche de ceux qui refusent de trancher une question délicate : « ou pé ké janmin wè sa, ça n’arrivera pas ! » Or il est irresponsable qu’aucune voix ne réagisse, pour les soutenir ou les condamner, aux manifestations envisagées contre la venue en Martinique de Marine Le Pen. Il est parfaitement primaire d’inviter les Martiniquais à agir ainsi sans que ce geste ne soit mis dans une perspective claire engageant les hommes politiques. Il est également inquiétant qu’aucune organisation politique n’ait prévu et fait connaître aux Martiniquais les décisions, pour la Martinique, qu’elle proposerait en la circonstance majeure que serait l’élection à la tête de l’Etat de la présidente du Front national.
Se retrouver, tout à coup, dans un pays dirigé par la présidente d’un parti raciste, quel effet d’aubaine pour des indépendantistes, s’il y en avait de vrais ! Et quel dilemme pour les démocrates qui sont attachés à la France ! Il est vrai que ces derniers ont peu de chances de se retrouver seuls dans leur perplexité. Dans l’esprit des politiciens martiniquais de toutes tendances, le succès du Front national ne serait pas de nature à altérer les liens de la continuité territoriale qu’on continuerait de vivre sans se pincer le nez. Au cours de son discours d’adieu à l’assemblée nationale, Alfred Marie-Jeanne s’est modestement attribué la paternité du refoulement de Jean-Marie le Pen, le 6 décembre 1987. Mais ses inquiétudes ont surtout porté sur les difficultés qui menacent l’Europe. Laquelle, loin d’être le loup annoncé à Rivière-Pilote, il y a 30 ans, s’est révélée être une véritable pompe à fric pour la Martinique.
Fort-de-France, le 3 mars 2017
Yves-Léopold Monthieux