— Par Dominique Daeschler —
En fond de scène une immense boîte rectangulaire où cinq musiciens ne cesseront d’accompagner, de ponctuer. Par cour et jardin, une foule haute en couleurs et en langages envahit le plateau. Ayez l’œil vigilant et l’oreille curieuse ! Dans la symbolique du Pitt et du combat de coqs, se pose le récit et l’éternelle histoire de la mystique du chef et de la thématique de l’espérance, thèmes chers à Césaire, Fanon et Schiaretti …of course.
De St Domingue à Haïti, de Boukman à Louverture, de Christophe à Pétion, d’enthousiasme en trahison, se déroule la difficile accession à l’indépendance des pays colonisés après l’abolition de l’esclavage. Tentation de se couler dans le moule du colonisateur, difficulté de la maturité citoyenne, sirènes du pouvoir absolu et éloignement du peuple, volonté d’affirmer la dignité d’un peuple….
La mise en scène de Schiaretti est une géométrie de l’espace et de l’esprit : les hommes et les mots semblent se déplacer sur un échiquier. Ce qui frappe d’a- bord c’est l’intelligence de la répartition de la parole. Plus que des répliques ce sont des passes, la parole est saisie au vol par la foule, par la cour. Elle rebondit, joue de l’essai et du but, habitant le plateau avec un « collectif » omniprésent. Une articulation se fait alors naturellement avec diverses formes théâtrales : l’adresse au public, la confidence, le théâtre dans le théâtre, la satire, le pastiche. Cela contribue grandement à la lisibilité du texte et à ses images. Le spectateur est, lui aussi, dans le mouvement du jeu et de la pensée : n’est –il pas partie prenante de ce chœur qui, sur scène, toute séduction passée, commente, évalue ?
La poésie de Césaire, valorisée par le fin connaisseur qu’est Daniel Maximin, fait mouche dans un théâtre -monde où l’on parle créole, espagnol, fulfulde, guiziga, latin, mooré, swahili et français.
La musique, loin d’être redondante, sait utiliser son propre canal pour laisser entendre un « Ailleurs ». Enfin la troupe, en partie composée par le collectif Béneeré offre une cohérence rare dans une discipline et un bonheur de jeu joliment valorisés par des éclairages délibérément incisifs.
Dominique Daeschler
Du 19 janvier au 12 février 2017
de Aimé Césaire / mise en scène Christian Schiaretti
Durée : 2h35 — Spectacle TNP
Grand théâtre, salle Roger-Planchon
Crédit photo : Michel Cavalca
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Rencontre avec Christian Schiaretti, directeur du TNP de Villeurbanne : encore et toujours le texte et le répertoire
Interview de D Daeschler
Il m’attend sur le parvis venté du TNP, mèche rebelle et sourire inchangés depuis le CDN de Reims, doc en mains et saluts aux spectateurs. On file au fond de la grande brasserie située au sein du théâtre.
D Daeschler : un petit historique pour commencer ?
C Schiaretti : Volontiers. J’ai été nommé à la tête du TNP (théâtre national populaire) en 2002. DE 2002à 2005 j’ai équipe avec Roger Planchon qui y faisait une création par an. DE 2005à 2011 le théâtre a été en travaux. Aujourd’hui c’est un des plus beaux théâtres d’Europe : 14000m2, une salle de 700places, une de 250, quatre salles de répétition, un cabaret, une brasserie.
DD : Quelle ligne directrice pour un équipement marqué par la forte personnalité des prédécesseurs ?
C S : Replacer le TNP dans sa trajectoire historique, celle de Victor Hugo qui a inventé le terme théâtre national populaire.
DD : Le poète est toujours au centre du travail ?
C S : Oui, pour moi la langue est le fondement du théâtre. C’est mon premier axe. Jean Pierre Siméon (directeur du printemps des poètes) avec qui j’avais mis en place à Reims « les langagières » est poète associé. Dans sa forme multiple le prisme de la poétique est supérieur.
DD : Le choix de ce qui est joué ?
CS : C’est le second axe. Une priorité au théâtre de répertoire, un théâtre populaire qui entre dans le « théâtre monde ».
DD : Et le public ?
C S : Il est très présent. L’offre de la métropole lyonnaise est importante mais nous comptons 80 000 spectateurs par an et 10 500 abonnés.
DD : La troupe, mise en avant à Reims, comme un élément fondamental d’un établissement de création théâtrale, est- elle encore un élément de réalité de ta politique ?
C S : Oui. Cela a repris de la vigueur après mon travail en Afrique où j’ai trouvé une façon de faire du théâtre comme une nécessité, avec enthousiasme et discipline. J’y ai trouvé quelque chose que la décentralisation ne m’avait pas apporté. Restons hors des modèles.
DD : Le théâtre de Césaire est un théâtre difficile. Comment le rendre limpide ?
C S : Il possède ce que j’aime, une langue poétique forte et une parole citoyenne partie prenante du théâtre monde. C’est une sorte de compagnonnage commencé avec Une saison au Congo, poursuivi avec La Tragédie du roi Christophe et bientôt La Tempête.
*Crédit photo : Michel Cavalca
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