— Par Roland Tell —
La politique économique des Collectivités de la Martinique reste fondée sur le déficit budgétaire, et sur la précarité de l’emploi. Les charges de remboursement des dettes contractées, au lieu d’entrainer une politique d’austérité sur le plan de l’emploi continu, notamment au sein des administrations et des services des dites Collectivités, sont à leur tour financées par de nouveaux emprunts, ou par des augmentations d’impôts, dont font d’ailleurs partie les tout récents endettements.
L’Etat Français, pratiquant de plus en plus une politique récessionniste, réduit ses aides et ses investissements. D’où l’entrée dans un nouveau cycle de développement, dans un nouveau régime de gestion, voire d’autogestion, ardu, héroïque, exigeant, mais fort propice et indispensable pour aller jusqu’à considérer l’économie et le social comme des dépendances de l’action politique. La société martiniquaise peut-elle devenir soudainement une société immédiate à elle-même ? Le paradoxe caractéristique de la non-consommation des fonds structurels européens dans l’oeuvre commune à accomplir pourrait le laisser croire. Est-ce donc le seul intérêt politique régional, qui règle les rapports sociaux, strictement fondés sur l’assistanat ? Le vote populaire, est-ce la main invisible du régime d’état social ? Alors, convient-il de considérer la Collectivité comme gestionnaire des besoins sociaux ? C’est dans cette perspective qu’il faut comprendre les budgets actuels de crises économiques, vécues comme autant de maladies dans le corps social : le chomâge des jeunes, la fuite des cerveaux, l’importance croissante des services, le non-développement d’industries modernes, la stagnation de l’agriculture, l’inertie des transports terrestres et maritimes, la super-concentration des supermarchés, etc…
Le décalage entre la politique sociale et le fatalisme économique en cours appelle des reconstructions d’utilité commune, où les haines ancestrales devront s’évanouir, pour instaurer une nouvelle économie, loin de tout dogmatisme doctrinal, avec les patrons quels qu’ils soient, aussi bien le patronat historique des grandes exploitations et entreprises, participant à la compétition internationale, que les chefs des moyennes et petites entreprises, qui, sur l’ensemble de la Martinique, ont pour vertu essentielle, de garantir les ajustements de la formation et de l’emploi. C’est d’une refonte totale et substantielle qu’il s’agit, d’un renversement des principes de la coopération entre entreprises, puisqu’il s’agit d’arriver au plus vite à la mise en place d’une économie duale, susceptible d’assurer plus de flexibilité fonctionnelle aux travailleurs formés, par un large éventail de compétences, d’un secteur à l’autre. D’où la nécessité de réexaminer la politique économique, dans la perspective du reversement de tout ou partie des fonds financiers publics, alloués jusqu’ici à la formation professionnelle dans les collèges, lycées, et centre d’apprentis, relevant de l’éducation nationale, aux entreprises économiques du bassin de formation, en vue d’actions de formation, devenues alors compléments des enseignements scolaires. Il convient de faire évoluer les formations en fonction des évolutions économiques rencontrées par les entreprises. Evolutivité des formations et adaptabilité des employés vont de pair. La formation à vie donne aux entreprises économiques un rôle formateur indispensable.
S’agissant notamment de la formation professionnelle, en direction des jeunes en difficulté, est-il envisageable aujourd’hui de les préparer à exercer un emploi à vie dans un monde extrèmement renouvelé, qui accumule des innovations et des systèmes techniques, sur un rythme extraordinaire et brutal ? Il s’agit donc d’entrer en rapport avec cet univers, non plus par le concept et la pratique d’un emploi stable et continu jusqu’à la retraite, notamment pour les catégories ouvrières, plus aptes à subir les bouleversements de la vie professionnelle ( chômage, reconversions ). D’où l’intérêt d’une formation polyvalente au sein même des entreprises. Il faut donc promouvoir les notions de mobilité et de flexibilité dans le cours même de la formation, où le jeune peut être formé à accomplir deux tâches professionnelles précises, par exemple plombier et ajusteur-mécanicien, menuisier et peintre en bâtiment, ouvrier électricien et maçon. La formation polyvalente continue maintient la disponibilité à accomplir les fonctions spécifiques acquises, et en même temps, elle garantit, aux travailleurs concernés, une certaine mobilité, en cas d’évênements graves ( chômage, ou licenciement forcé ). La culture professionnelle ainsi vécue, n’est-ce pas la conjonction du double savoir acquis et de l’ensemble des réseaux professionnels offerts ? Elle institue donc, entre ces travailleurs, en plus de la possibilité d’exercice d’une compétence à l’autre, des moyens immédiats d’intégration dans un autre secteur d’emploi.
On l’a vu : la formation en entreprise permet d’assurer flexibilité et mobilité, compte tenu de l’éventail des tâches à assumer. C’est désormais l’oeuvre commune à accomplir ici, en direction de nos jeunes, sans diplôme valorisant, sans boussole d’avenir. C’est là une oeuvre humaine à accomplir ici et maintenant, dans le travail humain lui-même ! Ce serait là, pour nos Collectivités, un projet dynamique de vie commune et d’oeuvre commune, conforme à la dignité et à la vocation de notre jeunesse, dont le poids reste indispensable à la vie communautaire. En plus des structures sociales, qui les assistent, sans les orienter vraiment vers leur pleine réalisation, il importe donc, pour nos institutions politiques – régionale et intercommunale – de leur apporter l’épanouissement de la vie de travail, tout le développement matériel nécessaire sur le pôle économique. Dans les budgets d’autonomie, de plus en plus mis en oeuvre, ici ou là, il importe de réserver une large section, tout à fait spéciale, au service du bien commun de la jeunesse désoeuvrée, non par des épisodiques chantiers d’insertion, en période électorale, mais par une véritable formation à vie, selon un processus historique d’intégration au monde du travail. C’est là une action politique à objectif rapproché, compte tenu des orientations proposées précédemment. C’est là, selon le mot d’Aimé Césaire, notre « utopie refondatrice », désormais mouvement et ligne de force d’une action politique à longue portée. Les années, qui viennent, sont des temps de maturation nécessaires aux transformations envisagées.
Cette conception d’une politique économique autonome s’impose de plus en plus, du fait des marques de désengagement de l’Etat Français, en fonction d’intérêts budgétaires clairement et incontestablement perceptibles, ces dernières années. En effet, la régulation de la conjoncture économique, pourtant fonction fondamentale de l’Etat, semble faire surgir des courants nouveaux, qui se composent d’ailleurs avec les courants, les forces et les conditions du récent Brexit, et aussi avec ceux du contexte européen des migrations, entraînant une nouvelle conscience politique, presque partout dans le monde. L’histoire récente façonne-t-elle les nations, au lieu d’être façonnée par elles ? Il dépend désormais d’une masse énorme de probabilités, électorales et autres, en France, en Allemagne, après les USA, pour oser avancer ce qui se produira en perspective.
ROLAND TELL