Viktor Lazlo ; « Love me tender »

— Par Selim Lander —

Avant le festival des Petites Formes qui commence dès mardi, la fin de la semaine dernière a fait s’enchaîner deux spectacles « martiniquais » de grande qualité : jazz d’abord avec Viktor Lazlo ; danse ensuite avec Jean-Hugues Mirédin et la cie Art&fact.

Viktor Lazlo, chanteuse d’origine martiniquaise qui poursuit une brillante carrière internationale chante le jazz tel qu’on l’aime. Si cela avait un sens, on dirait que le meilleur concert du Martinique Jazz Festival 2016 a eu lieu hors festival, le 13 janvier 2017, et que c’était le récital de Viktor Lazlo. Pourquoi apprécions-nous tant cette interprète ? Pas tellement pour sa voix, belle mais pas exceptionnelle, mais parce qu’elle a l’humilité de faire entendre la quintessence du jazz sans aucune esbroufe. On peut déjà en juger par les instruments qui l’accompagnent : piano, guitare et basse. Oui, vous avez bien lu ! Pas de batterie[1], alors qu’elle fut omniprésente pendant le festival, avec même certains batteurs leaders. Ce détail qui n’en est pas un fait toute la différence. Même lorsque le niveau sonore s’élève, on reste dans une échelle toujours agréable pour l’oreille, qui permet de goûter pleinement la mélodie. Bien que ce ne fût pas la règle générale, il est de fait que nombre des formations entendues lors du festival avaient tendance non pas sans doute à confondre virtuosité et bruit mais à faire en sorte que leur musique se révélât assourdissante. Certes, l’époque est celle des boites de nuit où la musique se résume pour l’essentiel à la pulsation assourdissante des basses, mais rien n’oblige à se soumettre au diktat de la mode ! Grâce soit donc rendue à Viktor Lazlo qui n’a que faire de cette mode et qui puise en outre dans des valeurs sûres du jazz en empruntant aux répertoires de trois de ses « immenses » devancières, à savoir Sarah Vaughan, Ella Fitzgerald et Billie Holiday. Elle est accompagnée par des musiciens talentueux, en particulier le pianiste Michel Bisceglia qui assure la direction musicale du récital.

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Place à la danse avec Jean-Yves Mirédin (chorégraphe) et ses interprètes. Il est martiniquais d’origine comme l’un des danseurs, Laurent Troudart. Les autres danseurs venaient pour deux d’entre eux de Cuba (Love me Tender ayant été montée dans le cadre d’une opération « Cuba en France ») et la troisième d’Haïti (via le Canada). Confrontée aux pièces présentées dernièrement lors de cette saison à Tropiques-Atrium, Love me Tender se rattache à encore un autre genre de la danse contemporaine. Monchichi, pièce hybride, faisait appel à des vocabulaires de la danse différents dans ses trois parties successives ; Poil de Carotte cultivait une esthétique académico-contemporaine ; enfin C’est l’œil que tu protèges qui sera perforé jouait aux frontières de la « non-danse ». Love me Tender s’inscrit pour sa part dans la catégorie « danse-théâtre ».

Comment « parler » du couple en danse aujourd’hui ? Hier, on connaissait les figures imposées (voir Le Lac des cygnes). En danse contemporaine, mille options sont possibles avec néanmoins l’impératif d’éviter le déjà vu. Jean-Yves Mirédin a choisi de mettre ses interprètes tantôt dans des situations de danse, tantôt dans des situations de théâtre, par exemple quand ils manipulent des objets ou se livrent à des facéties n’exigeant pas de compétence particulière en matière chorégraphique comme dans la scène de la drague entre les deux Cubains (la dame étant d’ailleurs juchée à ce moment-là sur des stilettos). Le vocabulaire de Jean-Yves Mirédin dans cette pièce demeure assez rudimentaire et répétitif mais il se passe suffisamment de choses sur la scène et suivant un rythme suffisant pour intéresser de bout en bout. Comme souvent dans la danse contemporaine, il n’y a pas énormément d’interactions entre les danseurs et les morceaux de bravoure sont dansés en solo. Dans les figures à quatre, on remarque que la synchronisation n’est pas toujours parfaite, peut-être parce que le spectacle n’a pas encore suffisamment tourné. Au point où elle se trouve, cette pièce n’est pas moins déjà très agréable à regarder tout en donnant à entendre de belles musiques.

[1] Néanmoins, à la fin de son récital, V. Lazlo a invité un sien cousin joueur de Congas à l’accompagner. Un geste sympathique qui n’ajoutait rien au plan strictement musical.