— Par Selim Lander —
Face à un film tel que Baccalauréat, le spectateur s’avoue perplexe. Le film, après avoir reçu le prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes, a fait l’objet à sa sortie en Métropole d’une promotion ronflante dans tous les médias, avec des articles sur le film, sur le metteur en scène Cristian Mungiu (palme d’or à Cannes en 2007 pour 4 mois 3 semaines 2 jours) et sur le principal comédien, Adrian Titieni. Impossible donc d’aller voir ce film sans en connaître la trame principale. Dans une Romanie en proie à la corruption endémique, un médecin connu pour son intégrité se sent contraint de faire une entorse à ses principes afin que sa fille, excellente élève au demeurant, obtienne le baccalauréat en dépit d’un incident fâcheux qui l’a privée momentanément d’une partie de ses moyens. Passe ton bac d’abord ! Ce parchemin lui est indispensable pour profiter de la bourse qui l’enverra faire des études en Angleterre, hors de l’enfer du pays natal. Sujet intéressant, sans nul doute, qui combine le drame psychologique avec une étude de cas sur les mécanismes de la corruption. So far, so good.
Lorsque le spectateur assis dans son fauteuil regarde les images défiler, c’est une autre paire de manches : le soufflé des médias se dégonfle. En effet, bien qu’il ne cesse d’enchaîner des situations dramatiques, le film s’avère pesant, ce qui n’est pas nécessairement un défaut mais qui peut facilement le devenir. Si traiter les quatre personnages principaux – à savoir le père, la mère, la fille et la maîtresse du père[i]), sans discontinuer pendant plus de deux heures d’horloge, comme irrémédiablement malheureux et voués à l’échec n’est pas pesant, on se demande ce qui le sera. Même les scènes entre le père et sa jeune maîtresse sont sinistres… On imagine ce que sont les scènes du domicile conjugal ! En plus, alors que le petit copain de la fille est sportif et sympathique, le scénario insinue contre toute vraisemblance qu’il se serait abstenu d’intervenir pour mettre fin à l’incident qui a traumatisé sa chérie.
Cela étant, ce n’est pas le scénario de Baccalauréat qui a été récompensé mais la mise en scène. On cherche donc les qualités qui l’ont distinguée. Il y a quelques petites astuces, comme le goût du père pour les pommes (on le voit en éplucher à plusieurs reprises), mais les comédiens sont enfermés dans un rôle dont ils ne démordent pas du début à la fin. Il en résulte qu’ils ont de plus en plus de mal à nous émouvoir quand la projection avance : ayant donné dès le début toute l’empathie que nous pouvions, nous n’avons plus rien en réserve pour des personnages qui n’évoluent pas, même lorsqu’une situation nouvelle se présente.
Rien de particulier à dire sur la photo, sinon qu’elle est en permanence au diapason de l’humeur des personnages : lumière pâle, décors misérabilistes et couleurs tristes.
Alors, faut-il encenser Baccalauréat pour son réalisme ? Certainement pas au sens du « réalisme italien ». Le film est réaliste dans la mesure où il expose une situation plausible (en dehors de la trahison supposée du petit copain). Il existe bien, hélas !, des personnes malheureuses si totalement noyées dans leurs difficultés qu’elles font en permanence triste figure. Mais il y a des documentaires pour montrer cela. On attend autre chose d’un film de fiction, se voulût-il « réaliste », un sourire, un peu de poésie, quoi que soit qui permette au spectateur d’espérer qu’une autre « réalité » est possible que celle montrée à l’écran.
Film à voir, néanmoins, par tous les fans de Mungiu et pour le tableau d’une nation en pleine déréliction n’ayant plus aucune foi dans son avenir… le sort futur de notre pays, peut-être…
Nouvelle projection à Madiana dans le cadre des films en VO de Tropiques-Atrium le 16 janvier 2017.
[i] Oui, le père a une maîtresse, au grand désespoir de son épouse, ce qui tendrait à prouver que l’intégrité, en Roumanie, est à géométrie variable.