Samedi 28 janvier 20h Salle Frantz Fanon
Juin 97, France-Brésil. Roberto Carlos est seul, à trente mètres de la cage, à trente mètres du but. Il prend son élan, s’élance, son tir contourne le « mur ». Il réussit l’impossible et marque… un but d’exception ! Incroyable ! Une courbe improbable ! Goooooooaal !
Certes ! Mais cela ne fait pas une pièce de théâtre, à moins que…
Lui aussi est seul. Il veut quitter son pays. Il veut devenir footballeur en Europe. Un rêve, un espoir, un sauvetage. Il revit son périple, cherche ses mots… Les mots qui ponctuent les étapes. Fuite, route, tunnel, barbelés, frontière, interrogatoire. Ou bien encore, passeur, corruption, bakchich, racket… Parfois, attente, espoir… Plus souvent, désillusion, fatigue, douleur, faim, abattement, épuisement.
Il ne raconte pas, mais évoque, pense à voix haute, offre son regard. La parole est là, au présent du doute, tantôt rugueuse et abrupte, tantôt aérienne et musicienne. Est-ce le personnage qui parle ? Est-ce le narrateur ? L’intermédiaire ? Le comédien ? Il est avec nous et nous sommes avec lui, dans « les hautes herbes » qui masquent l’horizon.
Avec lui ? Avec eux ! Moussa, Vlad, Rarek, Anita, Kossi, Yanis, Sali, Dit Mir, Adama, Garda, et l’Albanais, et « les deux noirs », et « la femme », et « les quatre des Balkans », et tant d’autres qui frappent à nos consciences, tentent de réussir l’impossible, de prendre la bonne route, la bonne trajectoire, de marquer un but, de contourner le mur…
C’est au coeur des mots que Michel Simonot est allé tracer les sillons d’errance, « les lignes de lunes à fleur de fer ». Un texte fort. Un coup… franc et poétique.
Dans sa mise en scène, Hassane Kassi Kouyaté souhaite « un spectacle où l’histoire tisse son cours en arrière-plan des vies humaines », et, dans la nudité du plateau, le digne fils du capitaine de l’équipe de football du Burkina Faso fait de la scène une surface de réparation.
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« Les lignes de lunes à fleur du fer nous précèdent. Nous guident. Jusque l’entrée du tunnel. Corps lueurs de fuite. Pierres concassées. Petites. Chevilles qui cèdent à chaque arrête de pierre. Être en survol, en suspens. […] Il faudra caler un pied contre un rail et le longer l’effleurer, faire confiance à la caresse du fer contre l’obscurité noire. Je l’explique à Moussa sur mon épaule. Deux fois il a déjà tenté ce passage par le tunnel, avant son grand salto arrière de champion dans le sable. La première fois pour moi. Sans Moussa. De là-bas il me parle. Je l’écoute. Il me dit. Être lent, retenu, patient pour ne pas être mordu par un boulon, par un raccord d’acier. […] Pied droit pied gauche bâton dans les pierres métronome. L’oreille est devenue notre oeil. Un bras tendu parfois devant pour s’assurer de l’autre. Ne pas être abandonné. Ne pas s’abandonner. Convois d’êtres humains sans train. Nous sommes les wagons. Le dedans et le dehors des wagons. Le tunnel pour parois. L’Albanais a déjà tenté par deux fois. La dernière fois avec Moussa. Il a connu Moussa. Deux fois l’Albanais est revenu. Déjà deux fois il a vu là-bas, loin, tout au bout du tunnel le petit trou de lumière. Deux fois il a vu tout au bout là-bas s’agiter des petites pointes jaunes. Comme cette nuit. Ils sont là. Les hommes casqués. Ils nous attendent. Alors se retourner s’en retourner s’enfuir en arrière en silence. Ne pas trébucher sur ceux qui tombent. Ne pas s’affoler. Mais le souffle court. Ne pas tomber. S’alléger. Planer au dessus des traverses. Relever ceux qui tombent. Retenir ceux qui vacillent. Retenir son cri. Revenir tenter il faudra. Revenir et tenter la nuit où le trou de lumière tout au bout sera vide. Libre. Vlad nous a dit mes frères sont passés. Moi je dois recommencer. »
Le but de Roberto Carlos, « Le tunnel » (extrait)
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Un jeune garçon – comme il en est tant, et toujours davantage -, fuit son pays d’origine où la vie est devenue un enfer, pour chercher ailleurs un avenir.
Cet ailleurs – un rêve pour lui -, est notre territoire à nous, citoyens de ce début du XXIe siècle que la crise économique ou la guerre n’ont pas encore jetés sur les routes.
Que faisons-nous des rêves des autres ? Leurs rêves nous sont-ils étrangers ? À quoi ressemblent les nôtres ? » – Claudine Galea, auteur de l’avant-propos.
La puissance de vie du texte de Michel Simonot, sa langue précise, brisée, toujours dans un élan, nous conduit, au-delà du thème traité, à une interrogation sur notre instinct de survie et notre capacité à penser le monde autrement.
Mise en scène & Scénographie : Hassane Kassi Kouyaté
Avec : Elie Pennont
Ngoni & Chant : Tom Diakité
Ngoni & Flûte Peul : Dramane Dembélé
Création visuelle & Animations :David Gumbs
Création lumière : Marc-Olivier René
Costumes : Anuncia Blas
© crédit photo : Agnès Brézéphin-Coulmin
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Michel Simonot
Michel Simonot est homme de théâtre, écrivain et metteur en scène. Il est également sociologue. Il a écrit une vingtaine de textes, tous portés à la scène ou réalisés à France Culture. Il fait partie du Groupe PETROL*, avec Lancelot Hamelin, Sylvain Levey et Philippe Malone. Actuellement en résidence à Anis Gras (Arcueil), il est dramaturge auprès d’artistes de la scène, théâtre et musique. Il a été, précédemment, auteur-metteur en scène associé au Théâtre Gérard Philipe de Saint Denis (C.D.N), sous la direction d’Alain Ollivier. Il a été auteur associé et dramaturge auprès de compagnies de théâtre et de danse. Il collabore, actuellement, avec le compositeur Franck Vigroux. Il a, entre autres, été adjoint d’Alain Trutat, à la direction des fictions de France Culture, fondé et dirigé l’ANFIAC, été responsable des formations au Ministère de la Culture et codirigé la Maison de la Culture du Havre. Il a accompagné Michelle Kokosowski dans la création et l’aventure de l’Académie Expérimentale des Théâtres. Il a publié de nombreux ouvrages et articles sur l’écriture et la scène, ainsi que sur les politiques culturelles.
Parmi ses derniers textes :
Roms & Juliette. Editions Théâtrales. 2012. Petrol* (Lancelot Hamelin, Sylvain Levey, Philippe Malone, Michel Simonot).
Le Faiseur d’éloges, 2009. Teatro de Almada. Lisbonne. Portugal – Traduction et édition – (O Vendedor de Elogios. Ed. Livros de Areia)
L’Extraordinaire tranquillité des choses, Éditions Espaces 34, écrit avec Lancelot Hamelin, Sylvain Levey, Philippe Malone. Création au Théâtre Gérard Philipe, Saint Denis, CDN. 2006.
Cargaison, Nouvelle création. Paris. 2003-2004 et Cartoucherie, Théâtre du Chaudron. Avignon, Théâtre des Halles. Coproduction Centre des Bords de Marne, Le Perreux.
Rouge derrière les yeux. Création : Chorégraphie Brigitte Dumez. Paris. 2004
La Nuit des portes-paroles, Création, Actuel Free Théâtre, Kremlin Bicêtre, 2003
La Mémoire du Crabe, édition Les Cahiers de l’Égaré. 2003. Création à Mont Saint Aignan en 2003
Hôtel des Lunes, 2000, mise en espace de Thierry Atlan, La Chartreuse de Villeneuve les Avignon.
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Hassane Kassi Kouyaté
Né au Burkina Faso, Hassane Kassi Kouyaté est à la fois un griot, un conteur, un comédien, un musicien, un danseur et un metteur en scène de renommée mondiale.
Il joue dans plusieurs compagnies africaines puis aborde le théâtre européen. Il a travaillé avec Peter Brook durant près de 20 ans, aux côtés de son père, Sotigui Kouyaté.
Personnalité qualifiée du Collège de la Diversité, il fait partie du comité de lecture des Francophonies en Limousin et donne des stages de formation dans le monde entier.
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Elie Pennont
Comédien, conteur, metteur en scène, il débute au théâtre en 1980 au SERMAC. En 1982, il fait partie des 8 comédiens sélectionnés pour la formation agréée par le ministère de la Culture et de la Communication. En 1990, il a dirigé le CDR de Martinique, mis en scènes ou joué des grands auteurs et a travaillé au cinéma. Il dirige le Théâtre de la Solidarité nouvelle et est formateur au SERMAC.
Création