— Par Michel Herland —
On sait l’engagement des Editions Hervé Chopin en faveur du patrimoine martiniquais : recueils de cartes postales anciennes, ouvrages consacrés au patrimoine bâti ou non bâti, aux grands peintres de l’île, aux relations entre littérature et arts plastiques (qu’on songe aux deux ouvrages consacrés respectivement à Césaire et Picasso, à Césaire et Lam)… Un ouvrage récent met en lumière un fleuron de notre patrimoine culturel, à savoir le conte créole. Dans la lignée des Maîtres de la parole créole publié il y a une quinzaine d’années, ce recueil présente des conteurs toujours actifs, martiniquais, guadeloupéens ou guyanais. Conteurs ou conteuses, une particularité de l’ouvrage étant en effet de faire émerger des figures de raconteuses qui se sont affranchies de la sphère purement privée pour affronter le public. Elles sont cinq dans le recueil (sur treize en tout), dont quatre guyanaises. Seule exception, la Martiniquaise Yaya qui tient compagnie aux trois conteurs de chez nous présents dans cette sélection, à savoir Dédé Duguet (alias Misié Lasous), José et Valère Égouy.
Le recueil mêle les contes puisés dans la tradition et les contes modernes. Emblématique de cette seconde catégorie, Kont en rafal de D. Duguet qui joue sur des rimes indéfiniment répétées (d’abord en « foi », puis « ation », « ique » enfin). Ce n’est pas pour rien que l’auteur est plus connu désormais sur la scène artistique martiniquaise comme « Papa Slam ». Ce conte est d’ailleurs le seul dont le contenu soit directement et franchement politique.
Extrait : « Nous pouvons choisir le chemin de l’émancipation / Qui nous ouvre à l’époque de la réalisation / De notre souhait, de notre nous / Car dans cette vie où la vérité n’est qu’illusion / Ce n’est pas une raison pour se laisser aller à la dégradation ! »
Autre spécificité de Kont en rafal, en dehors du prologue il est écrit entièrement en français, contrairement aux autres qui sont évidemment restitués en créole avec traduction française à la suite. On notera cependant que José Égouy, pour sa part, joue sur les deux langues en faisant parler français les personnages « importants » de son conte (le curé, le diable, le Bon Dieu).
On notera également l’apparition très claire dans deux de ces récits du thème écologique. Il en est ainsi dans Ti kolibri-a de Rémy Aubert & Malou qui dénoncent le gaspillage de la viande par les chasseurs et la pollution de l’eau – et dans Tanay de Mauricienne Fortuné qui décrit la révolte des fourmis maniocs contre celui qui a entrepris de détruire leurs nids.
Le conte se conclut ainsi : « A partir di jodla, lè ou wè mo ké wè nich foumi-mannyòk, mo ké wè nich ti zòzyo, mo ké wè tout kalité ti bagaj laforè, mo pa ké kasé’y. Mo savé dèyè tou sa, a roun moun ki ka konstrui’y. Fo ou rèspekté travay sé ròt moun-ya. »
Les auteurs de ces deux contes sont guyanais. On pourrait s’étonner que la fibre écologique ne transparaisse pas en Martinique ou en Guadeloupe, deux îles où l’environnement est mis en mal, plutôt que dans les vastes espaces de la Guyane. L’explication tient sans doute à ce que les Guyanais sont restés proches de la nature contrairement aux habitants de nos îles des Antilles où il n’y a plus guère de campagne authentique.
Les contes sont destinés à enseigner une morale. Celle de ces contes-ci apparaît très conforme à la morale du catéchisme. La convoitise, l’amour démesuré des richesses, la gloutonnerie, la méchanceté, l’ignorance même sont punies. La bonté, la tolérance (par exemple envers un enfant « différent » in Léo et ti pwason-la d’Edgar Férus) sont encouragées. Dans ces récits, la ruse n’est guère mise en honneur. Pour preuve, la quasi-absence de compère lapin, le personnage dominant de tant de contes anciens. Il n’apparaît dans le recueil qu’une seule fois et dans un rôle subalterne. Hasard ou cela pointe-t-il vers quelque chose de plus significatif, une évolution des mœurs qui nous aurait rendus plus sensibles aux malheurs d’autrui, moins admiratifs des « petits malins » qui se jouent des faiblesses des uns et des autres ?
Les Nouveaux Maîtres de la parole créole. Présentation, transcription et traduction par Diana Ramassamy. Photo des conteurs par Anne Chopin. Paris, HC Éditions, 2016, 126 p., 18,50 €.