« Les longues nattes de POÉTICA »
Editions JASOR, octobre 2012.
Poética est une bien étrange petite fille. Une petite fille différente de tous les autres enfants.
C’est en réalité une fille-fleur rêveuse. Elle s’est créée un monde dans lequel elle détient des pouvoirs magiques. Et cela, grâce à une chevelure hors du commun. Deux longues, très longues nattes capables d’agir comme un être vivant.
Les illustrations de Marielle PLAISIR nous introduisent dans le monde poétique de son personnage. Le surnom qu’elle lui attribue est en étroite correspondance, à travers le déroulement de ses quatre longues syllabes, avec les volutes et arabesques sinueuses de ses nattes noires. A l’image du monde imaginaire dans lequel l’enfant se réfugie, c’est un motif végétal, celui de la liane, qui va être utilisé pour représenter ces nattes exubérantes. Dans le même temps, la délicatesse du tracé renvoie à la fragilité de l’enfance, symbolisée par la fleur. Celle que tient Poética, ou celles qui parsèment le récit au fil des pages. Ou encore celles qu’évoquent les robes-corolles de la fillette, tantôt bleue tantôt rouge orangée comme un coquelicot. Des fleurs qui tapissent aussi, comme des motifs de papier peint, le verso de la première et de la quatrième de couverture. Associé à celui de la fleur, un second symbole graphique est omniprésent, celui de l’oiseau. L’oiseau dans une cage suspendue, l’oiseau perché sur une balançoire ou celui, tout juste échappé d’une cage brisée, dont la présence est suggérée par quelques plumes qui volent.
« Et sinon l’enfance, qu’y avait-il alors qu’il n’y a plus » ? disait le Poète.
Le monde de l’enfance tel que l’évoque Marielle PLAISIR, c’est tout d’abord un monde entouré de femmes, telles des fées : une lignée de femmes fortes et fières dont les portraits, véritable galerie d’ancêtres, sont suspendus à un mur tapissé d’un motif lui aussi à volutes. Des portraits photographiques attestant d’un monde bien réel. Et d’une culture, la culture créole, dans laquelle Poética baigne. Or, cette culture qui lui est transmise fait une place importante à la magie, aux maléfices, mais aussi au merveilleux. Ainsi, Poética dès sa naissance est victime d’un sortilège inexpliqué : une chevelure pour le moins encombrante et qui la marginalise. Rapidement elle en découvre les pouvoirs magiques. A partir de là commencent une série d’aventures dont elle sortira au final indemne. Puis, en grandissant, Poética fera le deuil de ses longues, longues nattes de petite fille. Mais aussi, avec celles-ci, de ses rêveries poétiques.
Quelques éléments suffisent à Marielle PLAISIR pour évoquer une enfance créole. Un cadre ancien en forme de médaillon ; une moustiquaire vaporeuse protégeant le landau du bébé ; la mosaïque d’un carrelage ; un lit d’enfant à barreaux ou encore l’arrondi d’un balcon en fer forgé. Sans oublier la fine dentelle dépassant d’une robe légère. La palette des sentiments éprouvés par la fillette est tout aussi subtilement rendue par les variations graphiques utilisées pour le tracé des deux longues nattes. Relevées en forme de lyre, les nattes traduisent la disposition rêveuse de la fillette. A l’opposé, lorsqu’elles sont disposées comme une traîne derrière l’enfant, elles rendent compte d’un véritable handicap. Au moment où Poética danse avec sa grand’mère, en se rejoignant, ses deux nattes forment une boucle affectueuse. Mais elles peuvent aussi bien exprimer la perplexité, la crainte, l’abattement et même, dressées à la verticale, une exaltation joyeuse.
Le récit, aux allures de conte, permettra aux enfants, en se projetant dans le personnage de Poética, de satisfaire leurs désirs de toute puissance. Tout en les mettant en garde. C’est parce que son secret sera découvert que les ennuis vont commencer pour Poética. Exactement comme cela fut le cas dans la Bible pour Samson. Parallèlement, ce conte leur fournira la possibilité, à travers la métaphore de la chevelure coupée, d’extérioriser une angoisse profonde : celle de la mutilation de leur corps, la chevelure, chez les très jeunes enfants, étant perçue comme un élément vivant, au même titre qu’un bras ou une jambe.
Finalement, et c’est ce qui en fait son intérêt, Poética est étrangement une petite fille ordinaire.
Elle n’a rien de très différent des autres enfants : tous les enfants s’y reconnaîtront. Et adoreront.
A n’en pas douter.