— Par Jean-Marie Nol, économiste financier. —
François Hollande a annoncé, jeudi 1er décembre en direct de l’Elysée, qu’il ne sera pas candidat à l’élection présidentielle en 2017. Dès le départ, il y avait un vice de forme. L’élection de François Hollande devait assurer la convergence des gauches, elle sera une machine à produire de la divergence !
La course à la succession de François Hollande s’annonce d’ores et déjà destructrice pour un parti socialiste et une gauche aux fractures désormais béantes .Une fracture sociale s’est progressivement traduite par une fracture politique, qui concerne aujourd’hui la France. Il existe donc maintenant à l’évidence en France une fracture politique doublée d’une fracture sociale et culturelle. Cette situation nouvelle nous interpelle à plus d’un titre etIl y a trois questions à se poser: Où en sommes-nous dans le cycle économique actuel ? Quel type de ralentissement allons-nous avoir ? Et, enfin, quel est le pronostic vital pour le modèle social dont François Hollande dans sa dernière allocution télévisée estime que » le projet que porte François Fillon met en cause notre modèle social et nos services publics sans aucun bénéfice, au contraire, pour notre économie et avec un risque d’aggravation des inégalités. » ? En fait, tous les chiffres nous indiquent aujourd’hui que nous sommes dans la phase terminale du cycle, et non pas au milieu. La seule explication économique qui se démarque nettement aujourd’hui est la théorie des cycles . Cette théorie, développée il y a 80 ans par Ludwig von Mises, s’appuie sur un constat: toutes les récessions sont précédées d’un boom qui découle d’un gonflement artificiel du crédit et de la masse monétaire. Pendant le boom, les investissements irréalistes se multiplient et mènent à une distorsion générale des prix et de l’activité économique. La récession survient parce que ces investissements non rentables doivent nécessairement être liquidés.
La récession est une phase inévitable de rééquilibrage avant que la croissance puisse reprendre. Tenter de l’empêcher par des programmes de dépenses ou une baisse des taux d’intérêt, comme le proposent keynésiens et monétaristes, ne peut que la prolonger en ralentissant le processus nécessaire de liquidation, tout en créant de nouveaux malinvestissements.Un peu partout dans le monde, les leaders des grands pays sont à la recherche de cette fameuse « croissance », qui semble avoir disparu depuis les années 2000 dans le monde occidental, tandis qu’aujourd’hui, même la Chine éprouve des difficultés. Manifestement, ces gens entourés de docteurs en économie ne semblent pas comprendre ce qui se trame : fin d’un cycle de révolutions technologiques, de courbes démographiques qui se tassent et s’inversent alors que la dette est arrivée à des niveaux critiques. Si bien que l’on ne pourra plus exploiter le crédit pour créer de la croissance artificielle. Pour toutes ces raisons, nous sommes à la fin d’un cycle économique majeur avec des conséquences politiques non négligeables.
En bref, la croissance à 3 ou 2 %, c’est fini. Ce qui signifie que nous devons complètement revoir nos modèles économiques, les politiques de développement ainsi que les leviers de l’action publique . Le processus économique actuel tend à exclure du système de production les personnes peu ou pas qualifiées. En outre, ces catégories semblent être celles qui sont le plus affectées par les conséquences concrètes des transformations économiques et sociales contemporaines : délocalisations, précarité de l’emploi, logement dans des quartiers difficiles, accès limités à certains services publics, agressions physiques, etc. Pour ces catégories, une sorte de contrat de sécurité implicite qui les liaient à diverses instances a été brisé, remettant ainsi en cause un grand nombre de certitudes : garantie d’un emploi stable par l’entreprise, d’une retraite assurée et de remboursements de soins par le système de Sécurité sociale, d’une sécurité physique et de certains services publics par l’Etat, d’une représentation et d’une prise en compte de leurs préoccupations par des instances intermédiaires, au premier rang desquelles des organisations syndicales, d’une stabilité affective par le couple ou la famille, d’une qualité de l’alimentation, ou de voir la génération suivante bénéficier de meilleures conditions de vie. Toutes ces certitudes volent aujourd’hui en éclat d’ou la fin d’une époque en France . Cela se traduit par l’existence de vives tensions au sein de la société Française et une perte de repères et la quête d’une explication d’autant plus simple que la situation est complexe, et donc de la recherche de bouc émissaires.
Ces vingt dernières années en effet, les sociétés mondiales ont connu des mutations économiques, sociales, technologiques et géopolitiques sans équivalent dans l’histoire. Télescopage brutal qui provoque tout à la fois une déstabilisation de la nature, des sociétés et des consciences. Quels sont les mots-clés que l’histoire retiendra de ce chambardement ? Pollution, destruction, agression, fragilisation, déséquilibres, fragmentation, précarisation, exclusion, dépression… Choc traumatisant s’il en est, qui laisse traîner derrière lui un sentiment diffus de fatalisme mou selon lequel le cours des choses de la vie échappe désormais à la logique des hommes – et d’abord au politique – et qui fait dire que notre seule certitude, c’est que demain sera pire qu’aujourd’hui ! Alors,pour certains esprits chagrins autant retourner à hier…Mais avec l’effondrement du communisme tout s’est accéléré sans retour en arrière possible : mise en concurrence mondiale, délocalisations massives, dumping social, fiscal et environnemental. Le libre-échange met en concurrence les travailleurs du monde entier et en l’absence de régulation les entreprises vont là où c’est le moins cher. Pendant toutes les années 1990 nous avons observé cette évolution vers un capitalisme (retour aux sources) où tout est fait pour l’amélioration du capital, notamment grâce à l’émergence du capitalisme financier, alors que le fordisme et le keynésianisme répartissaient la valeur ajoutée entre le capital, le travail, le client et la collectivité. Les économistes actuels persistent à penser qu’un peu de keynésianisme suffit à équilibrer les excès du libre-échange à la Friedman. C’est ce qui se passe en Europe .Que va-t-il se passer en France dans les décennies qui viennent ?
Un modèle essaye de s’imposer : le « modèle californien », c’est-à-dire la perpétuation du modèle friedmanien sur d’autres bases, le triomphe du numérique sur fond d’idéologie hyperindividualiste.
L’« ubérisation » désigne le fait que la révolution numérique casse tous les systèmes en place, notamment toutes les professions qu’elle met en concurrence. Il en est de même de l’auto-entreprenariat. D’un côté une robotisation massive supprime massivement les emplois, de l’autre les gens sont à la fois consommateurs et producteurs de biens et de leurs propres données qui deviennent une marchandise.
Le système, contrôlé par les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), accroît les inégalités. Entre les start-up, le monde d’Internet, réservés à quelques gagnants et la masse, les classes moyennes, qui furent la force du keynésianisme (lequel les avait fabriquées), continuent de se rétrécir. L’ultralibéralisme de Milton Friedman détruit ces classes moyennes en Occident, au nom de l’efficience des marchés, de la mise en concurrence globale. Et avec la numérisation sans contrôle, le règne des nouvelles technologies, le fossé s’élargit. Le constat général est sans appel pour la génération du baby-boom. Le capital est concentré entre les mains d’une génération qui aura au final profité au maximum des vertus de la libéralisation de l’économie et qui laisse en bout de course une montagne de dettes aux générations suivantes.Nous sommes entrés dans cette phase gramscienne, du nom du philosophe italien Antonio Gramsci (1891-1937) à qui est attribué cette citation célèbre : « La crise, c’est quand le vieux se meurt et que le jeune hésite à naître »…
Sommes-nous condamnés pour les années qui viennent à subir « la grande stagnation » et entrons nous dans le pire des mondes avec la fin d’un cycle économique et politique ?
Les citoyens que nous sommes devrons sans plus tarder prendre la mesure de la fracture politique et sociale qui travaille en profondeur la société française. La question fondamentale est donc bien celle du risque de fragmentation de la vie politique avec un danger d’éclatement de l’unité sociale et culturelle de la France, cette dernière étant prise en étau dans des systèmes économiques et politiques en pleine mutation. C’est tout l’enjeu de la future présidence française, surtout quand on sait d’ores et déja que le monde connaît un bouleversement économique, social et culturel sans précédent, une mutation du rapport au temps, à l’espace, mais aussi à la communauté Française y compris l’Outre-Mer . Aujourd’hui, les Français, comme la plupart des peuples, sont en proie au doute. Ils s’interrogent sur leur avenir, leur place dans le monde. Ils se demandent si les grands principes de leur vie sociale, auxquels ils sont profondément attachés, seront préservés ou voleront en éclats, pour faire place à d’autres systèmes de valeurs, à d’autres références culturelles. Si nous savons à quoi ressemblait la Guadeloupe et la Martinique d’hier, nous ignorons encore ce qu’elles seront demain. Mais la vraie question est : à quoi voulons-nous qu’elles ressemblent ?
Comment faire pour penser un nouveau type de développement et cela ressemble – t- il à une gageure dans le contexte actuel de mondialisation ? le futur de nos pays respectifs est ainsi interpellé et l’on ne pourra pas continuer longtemps à naviguer entre le rafistolage et l’incantation…
À droite comme à gauche, les discours des politiques patinent. Une majorité de citoyens dit ne pas trouver crédibles leurs actions .
En effet, et à supposer que les dirigeants Antillais savent où ils veulent aller avec une Guadeloupe et une Martinique plus caribéenne, personne n’est capable de dire quel est l’objectif à atteindre : s’il existe, il n’est pas clairement énoncé et surtout le chemin est parsemé d’incohérences et de louvoiements qui ne concourent pas à la création d’un élan salvateur pour redresser une situation de crise larvée et de dépendance accrue vis à vis de l’extérieur . Dans cette incertitude généralisée, tous les agents économiques (ménages, entreprises, institutions financières…) préfèrent la prudence et veulent conserver leur situation considérant pour reprendre des expressions triviales que « un tient vaut mieux que deux tu l’auras » car « on sait ce qu’on perd mais on ne sait pas ce qu’on gagne ». Au final, c’est de la société qui reste figée sur des positions et des avantages considérés comme éternellement acquis alors qu’ils sont dans les faits hérités d’une époque révolue, et ce même si les politiques et de nombreux corps intermédiaires de la société ne l’admettent pas pour des raisons électoralistes évidentes et/ou idéologiques.Or nous pensons que la révolution numérique pourrait saper les fondements du développement actuel de la Guadeloupe et de la Martinique. Le nouveau levier du pouvoir serait les « infostructures », et non plus les infrastructures .Il faut aussi anticiper le fait que la révolution numérique n’est pas « schumpétérienne » [elle détruit plus d’emplois qu’elle n’en crée]. Elle ne l’est pas. Il y aura du temps libre.Où est pensée cette stratégie de mutation en Martinique et Guadeloupe ? Nulle part.
Plus largement, le défi pour la Martinique et la Guadeloupe est celui de l’avenir du modèle social Français . En effet, derrière les problématiques de fiscalité, de marché du travail, ou encore de périmètre de l’Etat, c’est en réalité la question du modèle social qui ne peut plus être maintenu en l’état qui se pose, à fortiori avec une croissance économique aussi faible. In fine, le risque est celui d’une explosion sociale non contrôlée si l’économie ne s’adapte pas à un environnement qui a changé.
La crise larvée que nous vivons aux Antilles est le résultat d’un long et continu délitement de l’action politique, à gauche comme à droite. Une classe politique « professionnelle » qui a du mal à se renouveler, qui n’est plus très représentative de la population et qui est de plus en plus déconnectée des réalités rencontrées par les citoyens.Nous allons donc assister à un déclin économique global. Combien de temps cela va durer, quelle sera l’intensité de cette chute ? Je ne sais pas, l’histoire le dira.Mais plus que jamais nous avons besoin d’une nouvelle génération de femmes et d’hommes capables de sortir nos pays de la profonde crise de société qu’ils traversent . Il est urgent de proposer un projet commun de développement autour duquel auraient envie de se mobiliser massivement tous les citoyens, particulièrement les jeunes .
Comment faire pour passer de notre société actuelle vouée à l’échec, à long terme, à une autre société, juste et solidaire ? Ce devrait être un débat de fond tant en Martinique qu’en Guadeloupe : quelle société pour demain,quels modèles sociaux et économiques ?
Jean-Marie NOL