MJF2016. J3. Du risque de l’innovation!

— Par Roland Sabra —

dam_ncoMême cause même effet ? Frédéric Thaly le Monsieur Jazz de Tropiques-Atrium Scène nationale s’emploie depuis plusieurs années à un renouveau du Martinique Jazz Festival. Ses audaces, dont il faut le créditer, ne sont pas toujours récompensées. Il y cinq ans il proposait une soirée en deux temps avec Grégory Privat puis Erik Marchand. On se souvient, qu’après avoir accordé à l’enfant du pays un accueil délirant d’enthousiasme disproportionné, de la grossièreté d’une partie du public quittant le concert au beau milieu des morceaux de taragot, au motif qu’il n’entendait rien aux musiques des mondes slaves et celtiques. De belles âmes péroraient dans le hall de de l’édifice sur le thème. « Le sextet d’Erik Marchand n’avait pas sa place dans le MJF2011 ». Belle preuve d’ouverture d’esprit !

Lire : MJF2011, le renouveau d’un festival plus ouvert sur le monde.

Ce qui ne se comprend pas se répète. Nouvelle tentative d’ouverture au monde lors de la troisième soirée du MJF2016 avec de nouveau Grégory Privat dans le premier set et en fin de soirée une autre nouveauté toute fraîche celle-là et dans un tout autre domaine que celle des recherches du musicien-musicologue celte, le groupe Dam’nco étoile montante au firmament d’un jazz qui mêle et entremêle rock, funk, pop, metal, revisité par des Gavroche, des titis parisiens ayant planté leur campement du coté de Belleville et Barbés. Emmenés avec brio par la gouaille de leur leader Damien Schmitt, ils se baignent et s’accomplissent dans une fusion des genres en teintant avec des accents du bled et de la médina le rock progressif, le rythme and blues, la soul et tous les genres musicaux rencontrés sur les pavés multicolores de Paname. Une audace inouïe, au premier sens du mot, et tranquille, sans artifice, sûre d’elle-même car s’appuyant sur un solide passé d’accompagnateurs des plus grands. Une musique incroyablement pensée, réfléchie et qui garde une part de spontanéité, d’invention, d’improvisations parfois délirantes, est mise en scène, théâtralisée, ou du moins scénarisée comme l’entrée en scène du leader ou cet épisode de la mise à mort métonymique du guitariste guadeloupéen Yann Négrit, sa guitare en l’occurrence. Une procession de moines encapuchonnés envahit la scène. L’un d’entre eux lève un simili poignard sur le corps gisant à terre de la guitare coupable de ce pêché, mortel en l’occasion, de jouer de la musique… Musique et religion…

L’éclectisme multiculturel de Dam’nco se concrétise dans leurs compositions par une utilisation d’instruments électrifiés ou non venant de tous horizons. Michael Lecoq (claviers) Fred Dupont ( claviers et talkbox) s’en donnent à cœur joie bien soutenu par Michel Alibo à la basse. La pièce maîtresse de Dam’nco est bien entendu Damien Schmitt dont la palette de talents par son étendue ne laisse pas d’étonner. Batteur, bien sûr, mais aussi pianiste, compositeur, chanteur ( il a été candidat à l’émission The Voice, la plus belle voix.), il est aussi producteur et réalisateur. Rien ne le laisse indifférent, avec cette aptitude non pas a copier bêtement, à imiter servilement, mais à inventer, à créer. Quand en 2012 il se lance dans le chant il invente rien moins qu’un nouveau style musical le Smart step, un mélange de musiques savantes (jazz, classique) et électroniques (dubstep, drum and bass).

Qu’une partie du public, aux oreilles étroites, ait pu préférer, le jazz « variétisé » d’un pianiste qui confond virtuosité et précipitation, dont la pioche du toucher de clavier, est d’une brutalité aux antipodes de celui que montrait la veille au soir Randy Weston, laisse sans voix. Non pas que Grégory Privat soit un mauvais pianiste, loin de là, mais il a encore tellement à apprendre pour enfin s’émanciper, pour cesser d’être dans la monstration exhibitionniste de ce qu’il sait faire et dont on ne doute pas ! Le succès surfait qu’il rencontre ici en Martinique et la faible réceptivité du public à l’étrangeté, questionne sur la fragile étendue du registre musical proposé par les médias. Est-ce toujours cette question d’une identité peu construite, peu sûre d’elle-même qui génère une sorte de protection, de fermeture à ce qui vient d’ailleurs ? Question irrésolue qui travaille la musique et les arts de la scène en général.

R.S.

Fort-de-France, le 27/11/2016

 Voir un petit extrait : https://fr-fr.facebook.com/damandco/

Le programme du Martinique Jazz Festival 2016

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