— Par Jean-Marie Nol, éonomiste-financier —
Le modèle économique et social Français, sous sa forme actuelle, habitue les citoyens de Martinique et Guadeloupe à un train de vie qui n’est virtuellement plus abordable car il est financé à crédit depuis 1974, date du dernier budget voté à l’équilibre. Depuis, la dette à littéralement explosée et pourrait alors devenir insoutenable. La solution ne peut être que radicale : la poursuite de réformes structurelles lourdes tout en continuant à marche forcée la réduction des déficits.
Le modèle social français, cumulait déjà deux principaux défauts et ce bien avant la crise économique actuelle. En premier lieu, les dépenses publiques sont bien trop élevées. Elles représentent 57% du PIB, un niveau parmi les plus élevés d’Europe et supérieur à celui de la Suède. Le poids de ces dépenses – tout comme celui de la dette, qui dépasse les 95 % du PIB – rend la France vulnérable à une remontée des taux d’intérêts. Une réduction des dépenses publiques de l’ordre de celle annoncée par François Fillon soit 110 milliards d’Euros concernera l’ensemble de la population française à des degrés divers : elle suppose l’absence de remplacement de la plupart des fonctionnaires partant à la retraite et la recomposition d’une partie des services, notamment territoriaux, de l’État et de ses opérateurs, une rationalisation de l’action des collectivités locales et une mise à jour importante des parcours de soin. À notre connaissance, un tel niveau de réduction de la dépense publique n’a jamais été proposé en France, et l’impact sera ravageur pour les Antilles.
Les taux d’impositions en France sont plus élevés que presque partout ailleurs sur le continent. Malgré tout, la France ne parvient plus à financer ses dépenses sur la base de ses seules recettes fiscales : le système social vit donc… à crédit. Avec une croissance zéro en Guadeloupe et une récession en Martinique comme cela s’avérera fort probable fin 2017, nous pourrons dire adieu au mode de vie auquel nous sommes tellement attachés : école gratuite pour tous, système de santé au top, protection sociale….etc..Croissance zéro ! L’expression a quelque chose de glaçant. Derrière la récession on imagine le rebond. Mais là ce deuxième zéro pointé consécutif illustre bien la panne économique, mais surtout psychologique et morale que subira la Guadeloupe et encore plus la Martinique : investissement des entreprises en recul, commerce extérieur réduit à epsilon, et la consommation des ménages n’y résistera pas sur fond d’inflation et de vie encore plus chère. Alors oui, tout le monde attend et implore le retour de la croissance, car tous nos dispositifs sociaux en dépendent et notre mode de vie repose sur des «sociétés fondées sur la croissance» : notre dynamique sociale, notre imaginaire sont construits autour de l’idée que la production doit croître indéfiniment afin de maintenir notre niveau de vie et nos avantages sociaux. Si les ménages français ont le moral dans les chaussettes, c’est qu’ils s’inquiètent de la situation de l’économie (91% se disent préoccupés sur cette question).
Les Français savent qu’il va se passer quelque chose en 2017… Car, depuis 40 ans la France est dans une phase de déclin : on suit la pente, c’est devenu presque confortable… mais les Antillais peuvent-ils, veulent-ils imaginer vraiment le décrochage et le précipice au bout du déclin ?
La croissance n’est pas pour demain et la solvabilité des collectivités locales se dégrade. Ne faut-il pas dire enfin la vérité aux Guadeloupéens et Martiniquais ?
Nous Antillais, nous aimons un monde prévisible, fait de recettes de cuisine toutes faites. Mais ce n’est plus notre monde…et, à l’inverse de Jean-Paul Sartre qui écrivait dans Le Diable et le Bon Dieu, « Je préfère le désespoir à l’incertitude », comprenons qu’il n’y a pas d’espoir sans incertitude ! et heureusement : quelle serait la place laissée pour l’innovation et la création de valeur dans un monde prévisible ? Mais comment faire dans le désordre croissant ? Peut-on diriger en s’appuyant sur l’incertitude au lieu de lutter contre elle ? La réponse paradoxale est d’oublier le présent et de penser à partir du futur, de privilégier la prospective… et de comprendre que l’incertitude est avant tout source d’espoir pour un véritable changement des mentalités en Guadeloupe et Martinique surtout si l’on prend la peine de s’attarder sur la situation nouvelle induite par la révolution numérique et l’impact pour les Antilles d’une rigueur pressentie pour 2017 avec l’élection probable de François Fillon !
En Guadeloupe et Martinique, le travail en « free-lance » s’étend à un nombre croissants de professions. Le salariat, pilier de notre modèle social, est-il condamné ?….Il y a cette vision que la nouvelle économie du numérique va engendrer de grandes destructions d’emploi et qu’une partie non négligeable de personne va se retrouver au chômage, et nombre de professions libérales devront fermer boutique. La transformation du marché de l’emploi est déjà à l’œuvre. Depuis 2000, la durée des contrats de travail s’est réduite comme peau de chagrin. Entre 2000 et 2015, le nombre d’embauches en CDD de moins d’un mois ou en intérim a augmenté de 70 %. Hors intérim, la part des embauches en CDD très court, de moins d’un mois, a atteint 75 % fin 2015, tandis que le nombre des recrutements en CDI stagne pour ne représenter que 20% des embauches en 2016. Il s’agit d’une transformation profonde, les CDD longs étant remplacés par de multiples CDD courts, analysent les économistes du Centre de recherche en économie et statistique (Crest). S’il est un sujet qui ces derniers temps nourrit la presse mais pas la campagne électorale des candidats à la présidentielle, qui ne pipent mot sur le sujet, c’est bien celui évoquant la fin du salariat ou l’évolution incontournable de ce statut du fait des coups de boutoir de l’économie numérique. Victimes de la révolution technologique, des millions d’êtres humains sont actuellement sans emploi ou sous-employés. Des catégories entières d’emploi ont d’ores et déja disparu et le chômage va vraisemblablement grimper en flèche : les machines remplacent rapidement le travail humain et annoncent une économie de production quasi automatisée d’ici au milieu du XXIème siècle. Les innovations technologiques et l’économisme nous poussent à l’orée d’un monde presque sans travailleurs. Les progrès technologiques pousseront-ils vers un monde sans travail?
La préoccupation provient notamment de la digitalisation de toute l’économie qui devrait bientôt laisser place à la robotisation.Le chômage technologique qui s’en suit amène peu de réponses de la part des économistes qui s’avouent pour la plupart dépassés pour anticiper ce qu’il adviendra du marché du travail. De fait, l’employabilité et la carrière protéenne du salarié actuel vont l’amener à changer plusieurs fois d’employeur et aussi à faire des pauses de formation longue, notamment la reprise d’études. Nous pouvons déjà constater aujourd’hui que de nombreux individus reprennent des études au bout de dix, quinze ou vingt ans de vie professionnelle. Ainsi, des parcours qui pourraient paraître aujourd’hui erratiques (par exemple : salariat, reprise d’études, création d’entreprise, salariat, free-lance, salariat etc.) selon une vision conservatrice de la carrière risquent fort de devenir la norme (ou à tout le moins une certaine norme) dans les prochaines décennies, avec une nouvelle génération prompte au changement, à l’entrepreneuriat, à l’envie d’apprendre et de se « faire plaisir » de quelque manière que ce soit. Selon moi, vu cette nouvelle donne qui présentement échappe à l’écrasante majorité des guadeloupéens et martiniquais, nous assisterons à un grand découplage des revenus en Guadeloupe et Martinique et à une montée exponentielle de la pauvreté des couches populaires et le revenu médian de la classe moyenne sera nettement plus bas dans les 10 ans à venir y compris pour les retraités. À la première révolution industrielle, nos aînés ont apporté des innovations comme éducation généralisée puis la sécurité sociale. Il faudra très certainement des nouvelles idées du type revenu universel ou revenu minimum de base qui actuellement devient un thème en vogue, notamment du côté des candidats à la présidentielle. François Fillon a peut être raison d’affirmer qu’il supprimera 500 000 postes de fonctionnaires sauf qu’il omet de préciser que cela se fera en grande partie par la numérisation intensive et accélérée de l’administration Française.
N’en doutons pas la sphère politique sera elle aussi impactée avec une forte poussée du populisme, du racisme, du communautarisme, des identités exacerbées, des tensions nationalistes, et par voie de conséquence de l’émergence de régimes autoritaires et protectionnistes comme l’a vu récemment encore aux USA avec l’élection de Donald Trump qui était somme toute prévisible si on prend en compte les éléments suivants : Dans les 20 dernières années, les premières victimes de l’automatisation et de la mondialisation de l’économie furent les employés américains peu qualifiés, chassés par millions des usines. Beaucoup ne sont pas parvenus à retrouver un emploi, à s’offrir un toit, et ont sombré de ce fait dans le désespoir, et souvent pour ceux des minorités dans la délinquance. La baisse généralisée du pouvoir d’achat a augmenté considérablement le nombre de pauvres. La population active a été en reflux dans la plupart des secteurs. Actionnaires et patrons se sont quant à eux enrichis grâce aux gains de productivité induits par les restructurations. La vague de reengineering a provoqué ensuite le déclin de la classe moyenne, dont le nombre d’emplois, les salaires, ainsi que la protection sociale ont chuté de manière critique. Et il faut le souligner avec gravité le même phénomène est à l’œuvre actuellement ,( certes avec moins d’intensité ), dans d’autres pays notamment Européens dont la France.
Dans les années qui viennent, nous estimons au vu des difficultés actuelles de l’Etat providence, de la réduction à venir des transferts publics, de la diminution drastique de la dépense publique, de la révolution numérique en marche, que le changement de paradigme sera considérable pour la Guadeloupe et la Martinique. Cette situation résulte d’une conjonction de facteurs extérieurs et intérieurs, à l’image de ceux, tour à tour favorables et hostiles, qui circonscrivent les pays Guadeloupe et Martinique à l’état uniquement de pays de consommation, bien sûr inséparable de celui de la mondialisation. Et de fait, la Guadeloupe subit actuellement une crise multiforme de société, d’économie qui aura pour manifestation première un dépérissement lui aussi pluriel : social avec plus de chômeurs, de phénomène accru d’exil des jeunes et économique avec la crise prochaine en vue de la fin des quotas de l’industrie sucrière et de la diminution des subventions à la production bananière . L’urgence de la mise en œuvre d’un nouveau modèle de développement tant en Martinique qu’en Guadeloupe doit être une préoccupation majeure de tous les responsables politiques, économiques et sociaux de nos pays respectifs, de manière à minimiser les effets destructeurs que le numérique aura sur l’activité des services , principal pourvoyeur d’emploi à ce jour dans nos régions .
Demain ne sera pas comme hier. Il sera nouveau et dépendra de nous. Il est moins à découvrir qu’à inventer. A ce propos, on peut également citer Bertrand de Jouvenel qui écrivait : « À l’égard du passé, la volonté de l’homme est vaine, sa liberté nulle, son pouvoir inexistant (…). Le passé est le lieu des faits sur lesquels je ne puis rien, il est aussi du même coup le lieu des faits connaissables » (ce qui n’exclut pas qu’il donne lieu à plusieurs interprétations). Alors, au contraire, que « l’avenir est pour l’homme, en tant que sujet connaissant, domaine d’incertitude, et pour l’homme, en tant que sujet agissant, domaine de liberté et de puissance ».
Sur le plan économique, la Guadeloupe et la Martinique bien qu’en retard de développement ont connu l’évolution de tous les pays dits aujourd’hui dit » développés « . Mais le contexte de cette évolution comporte des spécificités très fortes.Aux Antilles, le monde des entreprises, et plus particulièrement des dirigeants et des responsables syndicaux, est resté marqué par ce que l’on peut qualifier de culture historique et c’est là que réside le piège.
Un fait est évident : la période esclavagiste, la colonisation, puis la départementalisation ont façonné chacun à leur niveau l’héritage culturel de l’entreprise en Guadeloupe et Martinique, cultivant bon an mal an un système de valeurs anti – économiques, et là réside le danger . Il faut noter qu’au cours de toutes ces périodes et ce à quelques exceptions, l’activité commerciale n’était pas considérée comme une activité noble . Patron en Guadeloupe et Martinique a très longtemps été synonyme de maître . Ce n’était pas sa fonction industrielle ou commerciale qui le définissait, mais un rapport de domination et d’autorité sur d’autres hommes. Cela explique,en grande partie, que exploitation, autoritarisme et paternalisme ont été indissociables dans la plupart des entreprises de l’époque. Le patron n’avait de cesse de transformer le profit qu’il tirait de son activité économique en rente de type coloniale qui lui garantissait un statut social et de gros revenus. Et quoiqu’en dise certains, l’économie de la Guadeloupe et de la Martinique se ressent encore de nos jours de cet atavisme, et ce à travers l’absence d’une véritable économie de production capable de créer localement de la richesse. La traditionnelle vision segmentée de l’industrie et des services ne résiste plus à la réalité économique de ces dernières années.
Une vision de moins en moins pertinente face à la révolution numérique dont la montée en puissance annoncée surprend encore par sa rapidité, et nous oblige à repenser totalement l’actuel modèle de développement. Le numérique inversera bientôt tous les paradigmes du système productif : le client, l’usager devient à la fois producteur et consommateur et l’efficacité se centre autour de la qualité, de la sécurité du produit et des services qui lui sont liés. Il est vrai que pour l’instant, plus de 90% des travailleurs guadeloupéens et martiniquais sont des salariés. Mais d’ici à 10 ans, nous allons nous retrouver avec 50% de travailleurs indépendants. Le temps où des armées d’ouvriers et d’employés se lèvent tôt pour aller pointer dans une usine ou une administration sera bientôt révolu. Aujourd’hui, le capitalisme 2, 3 puis n point zéro se caractérise par la multi-activité où la figure de l’auto-entrepreneur est centrale. Nous allons vers un renforcement des relations contractuelles au détriment des relations hiérarchiques qui caractérisent la société du salariat. Autrement dit, demain il sera plus facile de trouver un client qu’un emploi. La fin programmée d’une société régie uniquement par le salariat et le contrat de travail va engendrer la mort de la sécurité sociale telle qu’elle est aujourd’hui. En effet, comment financer une protection sociale basée sur les cotisations sociales des salariés? Il va être nécessaire de réorganiser les transferts de solidarité. Comme nous l’avons déjà écrit dans une précédente chronique le revenu universel pour tous de l’ordre de 500 Euros s’imposera peut être aux Antilles comme la solution du pire.
Pourquoi ces services créateurs de valeur ajoutée, liés à l’industrie, doivent -ils être demain les moteurs de la construction d’un nouveau modèle économique sur les bases d’un « produire et consommer autrement » ?
la révolution numérique joue, d’ores et déjà, un rôle clef dans la croissance et le renouvellement des services. Elle secoue l’ensemble de l’économie et impacte la sphère sociale. L’urgence est d’anticiper cette vague de fond dont la nature supranationale avec les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) peut lui permettre d’ignorer les frontières, les lois et les pratiques économiques, fiscales, sociales et culturelles et pose des questions de régulation, d’éthique et pouvoir. L’enjeu est capital pour notre développement futur car à l’ère du numérique, l’imbrication de l’industrie et des services bouleversera le travail, son sens, son contenu, son organisation interne. Ces évolutions interrogent aussi l’emploi en qualité et en nombre ainsi que l’évolution générale des qualifications. Nouveaux métiers, nouvelles formations, de quels outils disposons-nous aujourd’hui pour nous inscrire dans ce processus sans le subir ? La question devra se poser dès maintenant avec force pour les Guadeloupéens et Martiniquais, car le numérique accélérera la mobilité, développera le travail à distance, va profondément modifier l’organisation du travail et favoriser de nouvelles formes d’emplois avec l’apparition de plates-formes et de contributeurs indépendants. Les technologies de l’information et de la communication séparent déjà en deux la population mondiale : d’une part l’élite des manipulateurs d’abstraction et d’ algorithme, d’autre part la masse croissante de travailleurs constamment ballottés et précarisés.La logique du marché pousse l’entreprise à sa restructuration interne, qui signifie une baisse du personnel, en particulier celui des cadres moyens, qui seront 80 % à avoir perdu leur emploi à la fin de ce phénomène. Les méthodes informatisées de traitement des dossiers rendront inutiles bon nombre d’employés. Les emplois peu qualifiés sont à risque et ces changements pourraient creuser les inégalités. Le fossé entre riches et pauvres se creusera encore plus, et les tensions toujours plus fortes pourraient aboutir à une révolution sociale. Il est selon moi urgent de nous préparer à une économie qui supprimera l’emploi en masse dans la production, la distribution, l’administration d’Etat voire territorial , et d’agir sans plus tarder en mettant tout en oeuvre pour enfin accoucher d’un nouveau modèle économique et social en Guadeloupe et Martinique.
Jean-Marie NOL, économiste-financier