— Par collectif —
Le 26 septembre, le Cnesco a rendu public un rapport pointant la progression inquiétante, ces dernières années, des inégalités scolaires en France, et la dégradation du niveau des élèves issus de milieux populaires.
Nous, enseignants en lycées « éducation prioritaire » et membres du collectif « Touche pas ma ZEP », lisons dans les résultats de ce rapport une confirmation de la légitimité de notre combat actuel pour une carte élargie de l’éducation prioritaire pour les lycées et la garantie de moyens pérennes permettant la réduction des effectifs par classe, le maintien d’un maximum de cours en demi-groupes et de tous les projets permettant la réussite de nos élèves.
Pour expliquer la progression des inégalités, le Cnesco souligne la responsabilité d’une offre éducative qui « donne plus à ceux qui ont déjà le plus ». En tant qu’acteurs de terrain, nous ne pouvons que confirmer ce constat. Nos élèves, majoritairement issus de milieux populaires, sont doublement défavorisés : en raison de la distance sociale entre leur univers familial et les exigences de l’école, et en raison de leur scolarisation dans des établissements qui manquent cruellement des moyens nécessaires pour réduire cette distance.
Or, à rebours de ce qui a pu être affirmé à tort dans certains médias, Nathalie Mons, présidente du Cnesco, déclare dans un récent article : « Il n’a jamais été question de préconiser la suppression de l’éducation prioritaire. On ne va pas ôter à ceux qui ont déjà si peu de ressources. Ce serait la double peine. » Le rapport du Cnesco va d’ailleurs jusqu’à se demander si ces inégalités n’auraient pas encore davantage progressé en l’absence de politiques compensatrices.
Le rapport identifie cependant trois causes essentielles à l’efficacité limitée de ces politiques. D’une part, la ségrégation sociale qui concentre les élèves issus de milieux populaires dans ces établissements. D’autre part, le temps plus important de gestion de classe qui en découle (lié aussi à la présence d’enseignants moins expérimentés et moins stabilisés qu’ailleurs) et qui réduit d’autant le temps dédié aux apprentissages. Enfin, des moyens supplémentaires insuffisants qui ne permettent pas de baisser le nombre d’élèves par classe de façon significative.
Des résultats mis en péril chaque année
Nous sommes en accord avec la plupart de ces analyses. Dans nos lycées, ce sont souvent plus des deux tiers de nos élèves qui sont issus de milieux populaires, et notre pratique quotidienne nous montre bien que l’amélioration des conditions d’apprentissage est un levier essentiel pour réduire les inégalités.
C’est bien parce que des moyens supplémentaires conséquents ont été accordés pour permettre des enseignements en petits effectifs, et parce que la cohésion des équipes a permis leur stabilité, que certains lycées d’éducation prioritaire parviennent à des taux de réussite au baccalauréat tout à fait honorables. Un enthousiasme à nuancer cependant, tant ces résultats sont paradoxalement mis en péril chaque année par la baisse des moyens alloués à ces établissements !
Pourtant, dans un communiqué de presse du vendredi 30 septembre, le ministère de l’éducation nationale annonce de façon détournée la sortie des lycées de l’éducation prioritaire, ce que le collectif « Touche pas ma ZEP » considère comme une aberration puisque cette décision consiste à donner encore « moins à ceux qui ont déjà si peu ». Sauf à croire que les difficultés sociales et scolaires disparaissent par magie entre les classes de troisième et de seconde, on ne comprend pas bien comment la baisse de moyens qui découlerait de cette décision pourrait améliorer les choses !
Des seuils contraignants pour les rectorats
Alors même que nos préoccupations portent sur la qualité et les conditions de l’enseignement proposé à nos élèves, Mme Najat Vallaud-Belkacem ne répond dans ce communiqué qu’en termes de « prolongement » d’une indemnité pour les enseignants, vouée à disparaître, faisant fi des moyens accordés aux établissements, et ignorant les compensations spécifiques qui incitent à la stabilité des enseignants.
Depuis, la ministre a certes déclaré devant une commission parlementaire que « les enseignants des lycées en éducation prioritaire ont raison ». Mais, mardi 15 novembre, lors d’une séance de questions au gouvernement, elle a renvoyé la question des lycées en éducation prioritaire à un très hypothétique futur quinquennat. Cela ne peut en aucun cas satisfaire des enseignants en attente de réponses rapides pour assurer la réussite de leurs élèves.
Donnons véritablement « plus à ceux qui ont le moins ». C’est la raison pour laquelle nous demandons, pour nos lycées, un statut qui inclue des baisses d’effectifs significatives, avec des seuils contraignants pour les rectorats. On augmenterait alors le temps d’exposition aux apprentissages parce que les problèmes de gestion de classe seraient diminués. Le collectif exige également le maintien et l’élargissement à tous les personnels d’une indemnité et de compensations spécifiques qui, en s’ajoutant à l’amélioration des conditions de travail et d’enseignement, permettraient de stabiliser les équipes et de conserver des enseignants expérimentés.
Le Cnesco souligne d’ailleurs que la réforme de l’éducation prioritaire de 2014 a permis de réduire légèrement le turn-over dans les collèges qui ont été classés REP. Pourquoi en irait-il différemment en lycée ? Sortir les lycées de l’éducation prioritaire, c’est démanteler l’éducation dans les quartiers populaires et accentuer tout ce qui explique la montée des inégalités ; c’est rendre impossible le maintien d’effectifs déjà peu réduits, c’est organiser voire précipiter le départ des personnels qui forment le ciment de nos établissements, c’est ruiner tous les efforts entrepris depuis maintenant des années pour lutter contre l’échec scolaire. En répondant positivement aux demandes du Collectif avant 2017, le ministère a, au contraire, l’occasion de donner enfin véritablement « plus à ceux qui ont le moins » !
Collectif (Touche pas ma ZEP)