— Par Roland Sabra —
Il y a un public pour la musique de variétés à tel point que celle-ci a obtenu la reconnaisance d’une certaine unité dans son singulier « La variété ». L’expression est une invention française qui n’a pas d’équivalent en anglais si ce n’est l’expression « Middle of the road » nettement plus péjorative puisqu’elle renvoie aux musiques d’ascendeurs ou de supermarchés. La variété est pourtant fille du music-hall et peut-être des arts circassiens. On lui préférera l’expression musique populaire plus juste en ce qui concerne Guy Vadeleux. Les trois représentations de « Valse Bleue Pasillo » qu’il a données les 4, 5 & 6 novembre 2016 à Tropiques-Atrium se sont jouées à guichets fermés. Pas la moindre place disponible. Un public que l’on ne voit pas habituellement dans la salle de la Scène nationale et qui ne demande qu’une chose pouvoir y revenir plus souvent. Un public âge à l’image de la Martinique vieillissante comme l’assènent les démographes. Un public dont l’enfance a été bercée de ces airs qu’il connaît sur le bout des doigts, il faudrait dire sur le bout de la langue mais l’expression suggère une part d’oubli fort éloigné de la réalité. Les artistes le savent et ne se privent pas de solliciter l’auditoire pour qu’il reprenne les refrains et les couplets. Bon enfant celui-ci s’en donne à cœur joie. Et quand en intermède se produisent Lé Fouben avec leurs histoires vaudevillesques créolisées dans lesquelles le fameux « Ciel mon mari » devient « Ciel ma maîtresse », la salle se plie en deux au propre comme au figuré. Impressionnant de voir 1000 personnes se tenir les côtes de rire à en pisser dans leurs culottes. Lé Fouben, avec leurs grivoiseries, leurs histoires salaces s’adressent à un public qui les entend au delà des mots, qui sait de quoi il en retourne. Succès assuré.
Les prestations musicales puisées dans le répertoire « national » antillais sont adaptées aux goûts du jour. Des nombreux arrangements modifient la perception des classiques qui constituent l’armature du spectacle. Le côté premier, quelque fois rugueux et lié aux conditions d’émergence de la biguine par exemple, est effacé, édulcoré, aseptisé pourrait-on dire. Il en est de même, suivant d’autres modalités, pour les autres genres musicaux. La tonalité générale est quelque peu sirupeuse. La présence des ballets, dont les costumes prêtent à discussion, verse dans l’illustration et rappelle la prédominance de l’image dans la société d’aujourd’hui. L’impression est renforcée par les vidéos projetées en fonds de scène parmi lesquelles on notera toutefois une belle série de portraits. Le spectacle hésite dans un entre-deux dont il ne sait se départir. Music-hall ou opérette ? La deuxième option supposerait un scénario qui existe en filigrane, comme le laisse entrevoir « Komplo nèg » de Guy-Marc Vadeleux et un abandon de la scénographie quelque peu kitch ( Ah les balançoires fleuries et champêtres !) et qui flirte éhontément avec le doudouisme (Ah les costumes coloniaux des danseurs avec les casques appareillés!). Quant à Jean Emmanuel Émile le présentateur on lui décernera la palme de la « beaufitude » bien mâtinée de sexisme, ça va de soi, avec cette remarque pleine de spiritualité au moment d’appeler Arielle, une participante qui tardait à se présenter sur le plateau : « Alors Arielle, toujours à la lessive ? »
Encore une fois il existe un public nombreux pour ce genre de divertissement et il n’y a pas lieu de le priver de ces représentations. Qu’il ait droit à la Scène nationale de Tropiques-Atrium n’est que justice. Que des artistes se réclamant de ce courant veuillent la monopoliser est plus que discutable. Les arts et les avant-gardes? Les arts et le grand public? Il y a fort à parier que celui qui se déplacera pour le Martinique Jazz Festival ne sera pas tout à fait le même. Le Jazz avec des origines semblables est devenu, lui, une musique savante, que les classes dominantes se sont appropriées. Dans ce domaine des arts comme dans d’autres la diversité, voire le métissage sont une richesse.
Fort-de-France, le 06/11/2016
R.S.