Lettre ouverte de Corinne Mencé-Caster (ex-Présidente de l’Université des Antilles au 1er septembre 2016)
Il n’est pas toujours simple de dire au revoir, ni même de prendre la décision de s’interrompre, d’arrêter. C’est pourtant ce que j’ai pris le parti de faire, à l’aube de cette rentrée universitaire 2016-2017, qui aurait été ma quatrième en tant que présidente de l’Université. Cette décision, je l’ai mûrie et réfléchie, et je vous l’annonce, certaine d’avoir vraiment accompli tout ce qu’il était en mon pouvoir d’accomplir, dans le temps et les conditions qui m’étaient impartis.
J’estime, en effet, avoir fait ce que je pouvais faire, compte tenu des circonstances qui ont entouré ma mandature, et sur lesquelles je crois inutile de revenir ici.
Les statuts de l’université étant votés à l’unanimité, il me semble aujourd’hui important de permettre à l’établissement de se mettre en conformité avec eux, ce qui suppose la tenue d’élections renouvelant son conseil d’administration et son conseil académique le plus rapidement possible. La nouvelle équipe de gouvernance, issue de ces élections, pourra alors négocier avec le Ministère, un contrat pour les cinq ans conforme à sa vision et à son projet, pour les cinq ans à venir, et le mettre en oeuvre pendant la durée de son mandat. Tels sont du moins ma vision des choses et le sens de ma décision de mettre immédiatement fin à mes fonctions.
J’ai fait de mon mieux pour mettre l’Université des Antilles sur de bons rails, lui donnant désormais la possibilité d’envisager sereinement un développement sain et ambitieux. Et ce, nonobstant tout ce qui a été mis au travers de mon chemin…
Je suis réellement soulagée d’avoir pu mettre fin aux graves dérives financières, qui avaient cours au sein de l’institution, depuis de si longues années, et d’avoir contribué ainsi à assainir le fonctionnement de l’établissement.
Je suis heureuse d’avoir pu rencontrer toutes ces personnes merveilleuses, déjà au sein de mon équipe de gouvernance qui fut un roc indestructible, et ensuite autour d’elle, tous ces visages amis qui m’ont rappelé à quel point la solidarité et l’entraide sont un vrai rempart contre la méchanceté et l’absurdité.
Je voudrais simplement ici, de la manière la plus humble qui soit, remercier toutes celles et tous ceux qui ont cru en l’action que je menais et qui n’ont pas accepté de tenir pour une fatalité, les nombreux dérapages qui ont pu être constatés au sein de cette institution.
Il est toujours possible de remédier à ce qui ne va pas, d’assainir ce qui a besoin de l’être, surtout lorsqu’on a la charge de la jeunesse de pays qui ont tellement besoin de jeunes cadres honnêtes, investis et dynamiques.
Les intérêts de la jeunesse
Oui, cette mandature fut placée sous le signe de la lutte, de la résistance, de la ténacité et du courage, car il m’en a fallu, il nous en a fallu, pour faire face à ces déferlements de violences, de haines et de dénigrements qui se sont abattus sur nous, dès lors que nous avons fait le choix de prendre simplement nos responsabilités. Responsabilités face à la gestion de l’argent public. Responsabilités face aux rapports d’audit qui étaient produits. Responsabilités face aux jeunes étudiants qui nous étaient confiés. Responsabilités face à la Guadeloupe et à la Martinique, mais aussi face au monde, car les dérives n’épargnent, hélas!, aucun lieu.
J’ai heureusement bénéficié de l’immense soutien de la population qui, spontanément, s’est indignée des dérapages et s’est mobilisée pour défendre les intérêts supérieurs de son université, tout autant que le respect envers les personnes si violemment attaquées.
C’est pourquoi je veux dire un Grand Merci, à toutes ces femmes et à tous ces hommes qui nous ont accordé leur confiance et nous ont prodigué, à chaque fois qu’ils le pouvaient, des mots et des gestes d’encouragement et de profonde sympathie. Nous avons fait tout ce que nous avons pu pour garantir à notre jeunesse qui choisit d’étudier chez nous des conditions dignes et acceptables, pour préserver ses intérêts en matière de formation et d’insertion professionnelle, et veiller au règne de l’éthique et la déontologie dont elle devra s’inspirer pour s’insérer socialement et professionnellement.
Nous espérons que les institutions publiques, judiciaires et les futures autorités universitaires, aidées en cela par leurs instances de tutelle, continueront en ce sens, afin que les dérives que nous avons pu connaître ne se reproduisent jamais et que les procédures pénales en cours soient menées à leur terme, comme pour la procédure disciplinaire.
Mon seul regret aura été de constater à quel point il est difficile de faire appliquer simplement le Droit et d’être respectée, non seulement dans la fonction que l’on occupe, mais aussi en tant que femme, en tant que mère, en tant qu’être humain tout court.
J’encourage donc toutes les femmes de nos pays à prendre de plus en plus de responsabilités, à s’engager pleinement et à ne pas se laisser intimider par qui que ce soit, car il est temps, il est grand temps que, dans nos îles, on s’habitue à l’idée de la compétence des femmes, de leur potentiel de leadership, avec leur style et leur manière bien à elles. Je ne nierai pas avoir vécu des moments difficiles où je me demandais dans quel pays du monde on pouvait bien être, pour que de telles choses arrivent. Mais à aucun moment de ce combat, il ne m’est venu à l’idée de renoncer ou capituler, simplement parce que je refusais que d’autres puissent décider à ma place, que d’autres me contraignent à partir, en me harcelant et en me dénigrant, simplement parce que je gênais leurs intérêts immédiats.
Cette lettre ouverte se veut un témoignage bref mais sincère de mon engagement, à la cause de la jeunesse. Vous connaissez la suite…
Ma vigilance reste totale et mon implication aussi, car j’aime cette université, j’aime nos pays et je crois en leur immense potentiel. Il n’appartient qu’à nous de tenir, droits. Mais nous avons tenu bon et ne renoncerons pas! Le roseau plie mais ne rompt pas.
Corinne Mencé-Caster, professeure des Universités