Le Festival d’Avignon ne perd pas le nord

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Jeudi à la Fabrica, « 2666 » : douze heures de spectacle signées du Lillois Julien Gosselin.

Ivo van Hove magistral, Angélica Liddell diabolique, Julien Gosselin démesuré, Anne-Cécile Vandalem incisive et drôle : le 70e Festival d’Avignon démarre tambour battant. Revue critique.
Fort d’un taux de réservation exceptionnel, de 84% pour une jauge de 125.000 places sur trois semaines, Avignon In démarre sous de bons auspices cette année. De quoi faire râler les spectateurs qui n’arrivent plus à réserver en dernière minute, mais pas ­Olivier Py! Douché l’an dernier par le succès très mitigé de son Roi Lear, confronté en 2014 à la grève des intermittents, le ­directeur du festival respire un peu. Mieux, son Prométhée ­enchaîné, d’après ­Eschyle, sous forme itinérante dans les faubourgs extra-muros de la ville, bénéficie déjà de bons échos.

« Il est vain d’opposer théâtre de recherche et théâtre populaire, le ­public réclame aussi des artistes qu’il ne connaît pas, des découvertes, de l’émergence », a-t-il souligné lors de sa première conférence de presse mercredi. Autre bonne surprise : le triomphe des Damnés, magistrale mise en scène du Flamand Ivo van Hove d’après le scénario du film de Luchino Visconti dans la Cour d’honneur. Une réussite qui scelle le retour de la Comédie-Française dans la Cité des papes, après vingt-trois ans d’absence. La pièce n’est pourtant pas de celles dont on sort indemne. Avec ses personnages funestes qui pactisent avec les nazis dans le seul but de préserver leur capital, elle interpelle notre passivité face à la résurgence des extrêmes.

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Des poulpes qui sentent l’esbroufe

Autre succès immédiat, mais sur le mode de la légèreté et de la passion des planches, celui de la Piccola Familia. Chaque jour à midi, sur tréteaux en plein air et en libre accès dans un jardin, la troupe de Thomas Jolly chronique les éditions passées du festival, qui célèbre ses 70 ans. Pas d’unanimité en revanche – on s’y attendait – à la première de Que ferai-je, moi, de cette épée? par la sulfureuse Angélica Liddell. Né d’une réflexion sur l’érotisme et la mort, la nature et la loi, la beauté et la laideur, son spectacle furieusement binaire fait le lien entre deux faits réels, deux sommets d’horreur : les attentats du 13 novembre à Paris, et un fait divers qui la fascine depuis l’enfance, celui du Japonais cannibale Issei Sagawa dans les années 1980… Un programme démoniaque pour lequel la Catalane se transforme en pasionaria du mal, en samouraï nihiliste. Sans ménagement, elle insulte son public, maudit l’esprit français qu’elle juge moraliste et médiocre, montre son sexe comme toujours. Impassibles, nus et bien droits, quatre Japonais, huit jeunes blondes aux fesses pures et deux vieillards, dansent. Au besoin avec des poulpes qui sentent l’esbroufe autant que la mer. Ces chorégraphies, tour à tour splendides et écœurantes (exploitant même Kiss The Devil, de Eagles of Death Metal), sont lourdement référencées (Hokusai, Jérôme Bosch, Cranach…). Du sublime au grotesque, il n’y a qu’un pas que Liddell adore revendiquer et examiner. Effet comique et transgressif garanti, décapant, pas si sûr. Car après une heure, ses monologues mégalos et ses ballets pompeux ont tout dit : pas grand-chose passé le plaisir de la provocation sous forme de philosophie de comptoir. Or le spectacle dure quatre heures…

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