— Par Selim Lander —
Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, Angélica Liddell ne laisse personne indifférent. Au début de Qué Haré Yo con esta Espada ? (Approximación a la ley y al problema de la belleza), histoire de nous mettre dans l’ambiance, un homme vêtu d’une toge traverse la scène, laisse tomber son vêtement et apparaît entièrement nu. Puis A. Liddell apparaît, vêtue d’un robe en lamé dorée. Elle se juche sur une sorte de comptoir de cuisine, relève sa robe et les jambes bien écartées comme une parturiente, exhibe devant le public son sexe complètement épilé. Par la suite, on la verra, rhabillée et le plus souvent seule sur la scène, déclamer ou plutôt crier son texte en espagnol (sur-titré) dans un micro sur un rythme accéléré. Son discours est censé exprimer les tourments d’une femme hantée par le sexe et par la mort. Ce thème dominant est illustré par deux événements violents, d’abord l’assassinat sauvage par un Japonais, Issey Sagawa, d’une blonde étudiante d’Europe du nord qu’il avait ensuite dépecée et avalée, ensuite les attentats du 13 novembre 2015 à Paris.
Le discours du personnage interprété par A. Liddell est celui d’une malade qui crie son besoin de mort, pour elle et pour les autres : père, mère, enfants, etc. La beauté se greffe là-dessus en tant qu’instrument de séduction, puisqu’il convient de séduire le tueur avant qu’il ne tue et fasse l’amour à sa victime. Tout ceci accompagné d’une question récurrente : « Que ferais-je moi de mon épée ? » (Qué Haré Yo con esta Espada ?), car le personnage est conscient d’écrire seulement ses fantasmes sans pouvoir les réaliser. Qui est-il au fond ? Un malade comme ses propos semblent l’indiquer, ou un affabulateur, quelqu’un qui cultive l’artifice, un simple artiste donc ? Le spectateur restera avec cette interrogation. Interrogation redoublée par celle portant sur la distance entre A. Liddell et son personnage. Son texte a un tel accent de vérité qu’on est prêt à croire que c’est bien elle qui parle et pas un personnage de théâtre.
La folie du discours devient carrément gênante lorsqu’A. Liddell (son personnage) proclame qu’elle a elle-même attiré, par son besoin de mort violente, le massacre du 13 novembre, que si elle n’avait pas été à Paris ce jour-là les attentats n’auraient pas eu lieu. Est-il légitime de s’approprier ainsi un événement réel et tragique pour y épingler ses fantasmes ? Une autre interrogation pour le spectateur.
Le spectacle se déroule tantôt avec A. Liddell seule en scène qui crie son texte comme on l’a dit, tantôt avec les figurants muets qu’elle a conviés pour ce spectacle : trois Japonais, une japonaise, huit jeunes femmes aux longs cheveux blonds. Très vite, nous n’ignorons plus rien de leur anatomie et leur nudité nous apparaît vite comme normale, ce qui confirme que le tabou de la nudité n’est qu’un vernis culturel pas très résistant. S’enchaînent des tableaux vivants, un peu de danse, beaucoup d’exhibitionnisme, accompagnés par une belle musique (de Purcell en particulier). Le clou du spectacle ? Cela dépend des goûts, peut-être le moment où les belles demoiselles blondes s’excitent sur des pieuvres, exercice dont elles sortent passablement sanguinolentes. Tout cela est un peu long mais il y a deux entractes et l’on n’est pas obligé de rester jusqu’à la fin. À voir au moins par curiosité.