– par Janine Bailly –
C’est aussi sur les écrans de Madiana, dans des conditions matérielles un peu plus confortables, que sont projetés d’autres films des RCM.
Dimanche en soirée, j’ai découvert Paulina, de l’argentin Santiago Mitre, long métrage présent en compétition à La Semaine de la Critique au festival de Cannes en 2015. Un étrange portrait de femme qui donne à s’étonner, à penser, à s’interroger, ce que j’eus l’heur de faire avec quelques amis, la projection n’ayant pas été présentée plus que commentée, ni avant ni après, par quelque membre de l’équipe du festival.
Nous sommes en Argentine. L’héroïne Paulina, en opposition au monde bourgeois qui est le sien —son père n’est-il pas un juge important et influent dans sa région ?—, renonce à une brillante carrière d’avocate pour participer à un projet humanitaire relevant des Droits de l’Homme. Elle s’en va, forte de ses idéaux, et certaine d’être sur le bon chemin, enseigner la politique dans un coin reculé et des plus dangereux de son pays, la Patota (titre original du film). Hélas, de ses élèves, grands adolescents qui appartiennent à une tribu indienne, elle ne parle ni ne comprend la langue, ce qui ajoute à l’incongruité de sa présence en ce lieu, et qui par ailleurs donne naissance à quelques scènes ahurissantes où se manifeste l’incompréhension, par son public, de son langage, de ses intentions, de sa pédagogie décalée.
Du viol dont elle sera bientôt victime, Paulina attendra un enfant et elle refusera, contre l’avis de tous, d’avorter autant que de porter plainte contre ses agresseurs. Ainsi prétend-t-elle aller jusqu’au bout de son engagement, de sa généreuse mais peut-être folle utopie, ce pourquoi elle retourne affronter sa classe : « … ce n’est pas tant la faute d’une bande de garçons pauvres et sans éducation qu’elle choisit de porter sur ses épaules mais celle de la société, responsable à ses yeux. Idéaux sincères, considérations personnelles, engagement politique vécu comme une croisade, Paulina veut tout assumer jusque dans sa chair. ». (in le JDD du dimanche 10 avril 2016). Cependant Il est vrai que, tout en adhérant au film, je n’ai en tant que femme éprouvé aucune empathie pour le personnage, héroïne ou victime, tant il m’est apparu que sa réaction manquait de vérité et de force face au traumatisme vécu, « le plus atroce » lui hurlerait son père en désespoir de cause. Il y a de la sainte laïque dans cette obstination, dans ce qui nous apparaît comme une volonté de sacrifice, – ou de rédemption ? La première séquence du film, longue conversation où l’on voit le père et la fille alternativement mais, sauf pour quelques plans rares, jamais ensemble, comme s’ils se cherchaient sans jamais se trouver, cette séquence donc laisse à penser que la motivation de Paulina est aussi dans la contestation de ce père qui aurait renié les convictions gauchistes de sa jeunesse. Au contraire, le drame advenu, c’est dans un face à face violent et répété que nous les retrouverons.
Il y a par instants, dans la perfection physique et dans le jeu de Dolores Fonzi, dans la pureté de son visage et dans le langage de ses regards, un quelque chose du talent de Romy Schneider, pas celle de Claude Sautet mais plutôt la Romy tragique dévoilée par Andrzej Zulawsky ou Henry-Georges Clouzot. Il y a aussi par instants un jeu excessif qui ne s’imposait pas. Quant à la construction labyrinthique du film, qui n’est pas sans évoquer celle de certains romans actuels, elle nous fait découvrir d’abord une scène tronquée pour y revenir ensuite en la prolongeant. Si cette technique apporte un suspense intéressant à l’intrigue, si elle offre au spectateur le privilège de savoir parfois par avance ce que l’héroïne ne connaît pas encore, elle ne semble pas toujours offrir un véritable intérêt, emmêlant de façon systématique le fil de l’intrigue. De même, il est évident que les deux histoires, menées dans les premières séquences en parallèle, celle de Paulina et celle de ses futurs agresseurs, ne pouvaient que se percuter à un moment très proche. Ces petites réticences avouées, il me fut bon de voir cette œuvre originale et courageuse, qui demande plus à notre intelligence et à notre réflexion qu’à notre capacité d’émotion et de partage. L’ambiguïté demeure sur les dernières images, où l’on entend Paulina dire ce qui semblerait être une déclaration à un juge, mais cela passe si vite que je ne jurerais pas avoir bien compris.
Rendez-vous à l’acte trois de mes zooms festivaliers ! Et que, pour cette édition encore toute jeunette, les fruits passent bien vite la promesse des fleurs !
Janine Bailly, Fort-de-France, le 20 juin 2016