— Par Roland Sabra —
Se pose toujours la question d’écrire ou ne pas écrire à propos d’un « mauvais » specacle. Et Beaumarchais de toujours venir en secours : « »…les sottises imprimées n’ont d’importance qu’aux lieux où l’on en gêne le cours ; que sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ; et qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits.«
La pièce créée et jouée par Denise Chalem avait été remarquée, saluée par la presse et récompensée par deux Molières en 2005. La reprise par la Cie Sur Les Rives ne restera pas dans les annales si ce n’est comme exemple d’un ratage miteux. Le constat est d’autant plus amer que l’argument présenté est pour le moins intéressant. Deux femmes, appartenant à deux mondes socio-culturels différents, voire opposés se retrouvent dans la même cellule d’une prison. Contraintes de cohabiter, de partager elles vont pas à pas passer d’une hétérogénéité de leurs discours de vie, à une acceptation mutuelle de leurs différences et finir par donner naissance à une amitié que la mort viendra interrompre inopinément. Solidarité obligée résultante de conditions de vie particulièrement difficiles ou solidarité féministe liée au genre ? On ne saura pas. A croire que la mise en scène ne s’est pas posée la question ! On pouvait penser que celle-ci venant de Guyane, la sensibilité particulière de ce territoire, inscrite dans sa chair, aux logiques d’enfermement, d’emprisonnement ou de déportation aux bagnes serait restituée et donnerait une couleur particulière à un texte sans ancrage territorial particulier, volontairement universaliste dans son propos. Que nenni ! L’inscription guyanaise se limite à deux chants a capella en créole qu’une jeune femme, micro en main, venue des coulisses, coté jardin vient débiter face au public. De temps en temps, une quatrième femme, venant du coté cour, prononce un commentaire sur la situation pénitentiaire, dénonçant les conditions d’incarcération, la promiscuité, l’exploitation éhontée du travail des détenues et faisant le procès d’une justice de classe. Discours en surplomb, soulignant, surlignant dans un didactisme bêtement militant le propos pour qui n’aurait pas compris de quoi il s’agissait. La direction d’acteurs ? Inutile de s’attarder sur ce qui n’existe pas.
Le spectacle s’éternise, plongeant le spectateur dans l’ennui. Les smartphones, dont on a demandé juste avant la représentation la fermeture, se rallument subrepticement, cachés au fond du sac à main ou sous le prospectus ramassé à l’entrée de la salle. On baille. On regarde sa montre. On se demande par quelle aberration ce spectacle a été programmé. On s’interroge sur la nature, sur l’origine des compromis qui ont été imposés au Directeur de la scène nationale pour qu’une telle indigence soit à l’affiche. Concession ou compromission ? L’obsession du régionalisme, du localisme programmatique a-t-elle encore frappé ? On peut légitimement se le demander. Mais il s’agirait dans ce triste exemple d’une défense contre-productive des intérêts artistiques antillo-guyanais. Amateur en Mai, le festival programmé au T.A.C. ces dernières semaines a fait la preuve qu’un théâtre non-professionnel de qualité était possible, qu’il existait sur nos territoires et qu’en tout cas il se situait à un niveau d’exigences n’ayant rien à voir avec ce que nous a proposé cette « mise en scène ».
Un mauvais moment à oublier.
Fort-de-France, le 04/06/2016
R.S.
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« Dis- à ma fille que je pars en voyage »
Avec Anne-Laure Allègre, Graziella Florimond, Véronique Spitz & Taija Tourbillon
Voix-off : Anne Lacogne-Désiré & Corinne William
Bande-son : Anne-Laure Allègre
Site de la compagnie : sur-les-rives.fr
Production : Cie Sur Les Rives
Avec le soutien de : DAC Guyane, ville de Kourou, ville de Mana, Théâtre de Macouria – scène conventionnée de Guyane, Complexe Eldorado