Fuite des cerveaux et délitement de la famille : La Martinique et la Guadeloupe doivent ouvrir les yeux !

— Par Jean-Marie Nol, Économiste financier —

 fuite_des_cerveauxA l’heure ou la situation financière du bloc communal et des collectivités se dégradent et ou la crise sévit dans le secteur du BTP, ce n’est pas méconnaître le désarroi ou le dynamisme de certains politiques et chefs d’entreprises des départements d’outre-mer que de constater que la croissance économique dans nos territoires repose essentiellement sur la solidarité nationale. Les transferts publics directs versés sous forme d’allocations et de traitements alimentent le moteur de la consommation tandis que la production est soutenue par les subventions, la défiscalisation des investissements, les exonérations de charge sociale et la commande publique.

Le bilan de la mise en œuvre de ces soutiens financiers est globalement positif sur le plan social puisqu’il a permis aux DOM de rattraper la moitié de leurs retards sur l’Hexagone en moins de 60 ans de départementalisation effective.Aujourd’hui, tout semble compromis car la chute de l’épargne du bloc communal se confirme en 2016 et devrait perdurer en 2017. Les institutions financières prévoient une poursuite de la baisse des investissements, à un rythme soutenu, et un recours à l’endettement pour les financer, ce qui devrait engendrer une érosion de la capacité de désendettement des communes et des collectivités.A notre le dernier avatar de la CTM qui devra pour éviter une récession de l’économie Martiniquaise souscrire un nouvel emprunt de 125 Millions d’Euros en mi – 2016 , ce qui en fera désormais la collectivité la plus endettée de France après en avoir été classée 5ème en 2015 parmi les régions de France.En cause, bien entendu, des dépenses de fonctionnement qui progressent toujours plus vite (+5,6 %) que les recettes (+0,3 %). Néanmoins, bien que ces dernières soient pénalisées par la baisse des dotations, elles augmentent davantage qu’en 2014 (+0,1 %). Cela est lié notamment à la hausse de 2,9 % des taux des impôts en moyenne (TH, TFB et CFE), qui engendre une croissance des recettes fiscales.


Cependant avec un taux de chômage des jeunes supérieur à 50 %, la Martinique et surtout en ce moment la Guadeloupe ne sont pas vraiment sur le papier les meilleurs « pays » du monde pour que les jeunes diplômés trouvent du travail.


Un discours revient souvent dans la bouche des jeunes diplômés : « t’es fou,de t’évertuer à vivre en Martinique,quelle galère !!!.ça n’avance pas dans ce pays, les gens ne pensent qu’à vivre pépère dans le système d’assistanat et revendiquer toujours plus sans prendre en compte les nouvelles réalités économiques et la crise due à la restructuration économique voire numérique qui sévit dans le monde et surtout en Europe. Ils n’ont pas compris que la vie est un défi et que le monde est en mutation accélérée. De plus les problèmes sont connus depuis des années, alors qu’il ne serait pas si difficile de réformer la société et de modifier les choses si on changeait au préalable les mentalités et les pratiques politiques ». De fait, alors confronté à une réalité pesante, certains jeunes diplômés ne veulent pas entendre parler de retour en Martinique et en Guadeloupe pour le moment.
A force, cette question des mentalités à l’origine d’un laxisme ambiant et d’un refus de voir le monde tel qu’il est aujourd’hui peut devenir une vraie barrière. Pour Colette M. diplômée en médecine, arrivée il y a 10 ans en France Métropolitaine après une première année de médecine à l’UAG, “les amis ou la famille en Martinique ont parfois un peu de mal de nous voir épanouis et heureux en Métropole, il semble que cela ne leur parle pas. Ils n’ont pas cette dimension européenne ou internationale. Aujourd’hui on se sent mieux en dehors de la Martinique et nous ne souhaitons pas rentrer surtout quand on voit le » bordel et la gabegie « qui règne au CHU. N’est-ce-pas Christian Ursulet, l’actuel directeur martiniquais de l’ARS qui a aussi contribué à créer le CHU en Martinique à qui l’on reproche d’avoir été le fossoyeur de la santé en Martinique, qui déclare ce jour dans le quotidien FA « oui les Martiniquais peuvent disparaître, nous n’avons pas envie d’être peuple ! « .

D’un autre côté, on est beaucoup moins solidaire du pays (du fait de la distance et des conditions de travail )”et c’est pour cela que la quasi totalité de ma promotion n’est pas rentrée au pays à la fin de leurs études ? Installée depuis 10 ans à Toulouse, Colette M.. mariée depuis peu à un Guadeloupéen, médecin cardiologue de son état, trouve également que ses “relations made in Martinique s’effilochent, malgré la joie intense de revenir dans la famille au moment des vacances.

Un nouveau regard…4 jeunes diplômés sur 5 ne rentrent plus en Martinique et Guadeloupe !

La confrontation à l’altérité change les personnes. L’expatriation vous transforme : en quelques mois, vous n’êtes plus tout à fait celui que ou celle que vous étiez au moment du départ. Le regard change sur sa propre culture, sur la société à laquelle on appartient, ses modes de fonctionnement et ses valeurs. Et ce qui semblait évident ne l’est plus…. Sans forcément changer d’avis sur tout, on réalise qu’il est une autre façon de voir les choses, et que souvent, ça tient la route aussi. Quelle frustration lorsqu’on rentre en Martinique ou Guadeloupe pour les vacances et que l’on se heurte à l’ignorance de nos proches, de nos amis, qui croient « savoir » mais n’alignent en fait que lieux communs et préjugés !

Une culture trop passéiste…

Après avoir voyagé dans pas mal de pays et vécu quelques mois aux Etats-Unis lors d’un stage de son école de commerce, Sandrine P a pris sa « première claque interculturelle au Japon. J’ai vraiment pu regarder ma propre culture créole et la juger sévèrement grâce au « miroir » que m’offrait la société japonaise. Ça a été tellement enrichissant. C’est un sentiment que je n’avais jamais eu auparavant ».

Pour Sabine B… étudiante en pharmacie en Belgique, la vie à Bruxelles a changé sa perception des choses: “Nous abordons l’immigration différemment, car nous sommes nous-même immigrés à présent ; de plus les comparaisons entre pays nous donnent aussi un regard un peu différents sur les « problèmes » de la Guadeloupe et nous trouvons parfois les gens en Guadeloupe un peu trop tournés de façon obsessionnelle vers le passé,trop râleurs et pas assez responsables pour se prendre en main quand on voit les choses de l’extérieur.”

Cécilia L…étudiante en lettres est venue au Québec après un précédent séjour en Métropole : « J’avais très hâte de quitter la Guadeloupe et ce malgré mon attachement à la famille, mais en arrivant à Montréal je me suis sentie quelque peu étrangère à cette réalité créole: la mentalité des gens, l’immobilisme des gens, la surabondance de consommation et le gaspillage, l’obsession des nouveaux moyens de communication (téléphones intelligents, réseaux sociaux, etc..) qui finalement creusent un fossé toujours plus profond entre les gens, et la violence présente partout… Je ne me sentais plus aussi à l’aise chez moi et ce d’autant que mon petit copain originaire de St Claude avait fait le choix auparavant de poursuivre ses études de gestion de l’énergie au Canada, et les gens qui m’entouraient en lettres à l’ IUT de Saint – Claude ne semblent pas désirer connaître ce qui existe ailleurs, obnubilée par le désir d’intégrer la fonction publique et profiter des 40%. »

Pas toujours indulgent !

François J, installée au Brésil depuis la fin de ses études d’ingénieur à Paris, n’en revient pas de l’attitude de ses compatriotes : “ils râlent: tout le temps,contre les patrons, les politiques, les petits désagréments mineurs d’une vie habituée au confort, les anticipations des prochains désastres : le coût de la vie, la hausse de l’essence, la santé, etc. Ils râlent principalement contre les autres Martiniquais,alors qu’ils sont désagréables avec les touristes,pas stressés par le travail, inconscients des enjeux de l’avenir, etc.”

Guillaume H habite hors de Guadeloupe depuis 8 ans et ne se sent plus en phase avec ses compatriotes: “Je suis parti à Londres parce qu’il y avait du travail là-bas (et pas qu’en finance). Je suis à Singapour pour la même raison. Je ne pourrai jamais travailler dans une entreprise française, encore moins en Guadeloupe: la culture des guadeloupéens trop centré sur le passé, le mépris des entreprises et des patrons… Je suis stupéfait de ne jamais avoir rencontré un guadeloupéen qui comprenne que l’économie n’est ni fermée, ni dépendante éternellement des transferts sociaux (exemple: il y a trop de chômeurs, donc on « redistribue » une quantité d’allocations sociales invraisemblable qui n’incitent pas les gens à travailler ! Même l’idée élémentaire de l’avantage comparatif n’existe pas dans le discours des Guadeloupéens.. Et économiquement, je trouve les idées de la Guadeloupe tellement vieilles et démodées… on dirait que rien n’a changé depuis les années 70”. Il ajoute : “ les syndicats, les hommes politiques, les patrons, les entreprises… j’entends tellement de clichés sur ces sujets que je n’ai même plus le courage de les réfuter. Ce que je vois le plus de la Guadeloupe, par contre,c’est la culture de l’émotion, la colère, le désespoir, l’agression, l’irrationnel. C’est aussi pour ça que je suis parti.

Si loin, si proche…

Malgré ce regard parfois critique, difficile de se détacher totalement de la Martinique. Pour certains, c’est même une révélation, la découverte d’une identité. “Tous ces petits riens, ces petits détails qui allaient de soi quand j’étais en Martinique, je réalise qu’ici, ce n’est plus « normal », banal, c’est « français », explique Max M., après 4 années d’études en école de commerce à Pau. Je suis originaire de Fort de France, je n’ai jamais été revendicateur, extraverti, fêtard, ou « grande gueule », tous ces traits de caractère qu’on prête facilement aux Martiniquais. Je croyais donc être dans mon élément au Luxembourg ou je travaille dans une grande banque, quelle n’a donc pas été ma surprise lorsque je me suis découvert des réflexes de « révolutionnaire » ici ! Ras le bol de se conformer aux vieux schémas de pensée hérités de mon éducation, d’accepter sans mot dire les règles de la politique en Martinique surtout depuis le débat récurrent sur le changement statutaire avec la CTM, par principe, même les plus absurdes, sans chercher à comprendre pourquoi elles sont là et comment elle ont pu conduire à la FRACTURATION en deux clans viscéralement opposés de la vie politique en Martinique…Tiens. Bizarre, en fait, » je suis très remonté !!! »quand je lis la dernière tribune de Jean Crusol :

« Au lieu de mettre en place les mesures de relance de l’économie martiniquaise auxquelles il s’est pourtant engagé devant les électeurs, Marie-Jeanne semble n’avoir qu’une obsession depuis plus cinq mois qu’il est aux responsabilités : prendre sa revanche politique contre Serge Letchimy. Et ceci, en défaisant tout ce que ce dernier a pu mettre en place, sans réfléchir le moins de monde à une alternative, fut-elle moins bonne!

Pour faire croire que Serge Letchimy a laissé les caisses vides, il annonce dès son arrivée aux responsabilités qu’il n’y a pas de trésorerie pour payer les salaires. (…)

Pour démontrer que son prédécesseur est un mauvais gestionnaire, il fait voter un compte administratif régional pour 2015, complètement fallacieux, où il fait apparaître un déficit factice de 23 M d’euros. (…)

Mais, Marie-Jeanne ne s’en tient pas là. Il va encore plus loin! Il rajoute sur les dépenses du compte administratif de 2015, 55 millions d’euros d’autorisation de programme et d’autorisation d’engagement qui, par définition, sont des dépenses pluriannuelles, et doivent par conséquent faire l’objet d’un étalement, ceci dans le but de porter le déficit global des deux institutions, Conseil général et Conseil régional, à 88 millions!  »


….Et encore plus décontenancé quand je prends connaissance de la Lettre au vitriol adressée le 12 avril 2016 au président du Conseil Exécutif Alfred Marie-Jeanne par Serge Letchimy dans laquelle il étrille son adversaire politique en termes très durs et particulièrement cuisants : 

« Contrairement à ce que vous affirmiez gratuitement, les caisses sont loin d être vides !

Le 29 mars 2016, à la plénière consacrée au vote des comptes administratifs du Conseil régional et du Conseil général, votre comportement démagogique, votre volonté de manipuler l’opinion, et de nuire au pays, ont atteint le comble de l’indécence.(…)
Ainsi, au mépris le plus total des règles qui régissent la procédure budgétaire, vous vous êtes livré à un exercice machiavélique de manipulation des données comptables, dont le seul objectif était de faire apparaître un déficit du compte administratif de la région, ceci pour vous permettre de continuer à abuser l’opinion, comme vous et vos représentants se sont évertués à la faire, au cours de la dernière mandature.

(…)Toutes ces manœuvres politiciennes ne visaient qu’un but : afficher un déficit inexistant de 88 millions ! Pour cela, vos manipulations n’ont eu aucune limite.On le voit donc : vos manœuvres budgétaires relèvent plus de la grossière propagande politicienne que d’une communication transparente et sincère !(..) Car aujourd’hui, pour seules réponses, vous proférez des menaces à mon égard et à celui de l’opposition. Des menaces physiques et judiciaires. Je serais, selon vos propos, passibles de la Cour d’Assise. Et je ne suis pas le seul : les violences verbales et les accusations gratuites, la pression psychologique sont maintenant le quotidien des salariés de la collectivité territoriale de Martinique !La Terreur est de mise.En fait, la catastrophe financière fictive est votre principale arme pour instaurer le chaos, justifier vos thèmes de campagne, et surtout camoufler l’évidence : votre absence totale de projet pour ce pays !

Vous abaissez votre fonction de Président dans la médiocrité !….

Considérant les graves soupçons de maquillage des comptes par des écritures fausses, je demanderai au représentant de l’Etat de saisir la Chambre régionale des comptes pour que la vérité soit dite, que la salubrité revienne.

Je vous assure, M. le Président, d’une considération qui ne concerne que votre fonction. »

La Guadeloupe une igname de plus en plus brisée non sur le plan politique mais économique !

De Los Angéles, Carole M. Moulienne diplômée de l’école de commerce EDHEC de Lille ( 4ème meilleure école dans le classement des grandes écoles en France) explique : “Entre deux chaises, j’aurais aimé rester assise. En vain. Car jambes en tailleur, dos au vent, je vis désormais sur un bon gros tapis volant et un très gros salaire. Une bienheureuse expatriation certes mais qui en effet m’éloigne, d’année en année, de notre douce Guadeloupe et de mes chers compatriotes. Un point de vue plus aérien en somme. Ainsi, après douze années hors de ma Terre natale, cet igname brisée comme le disait Sony Rupaire, je porte un regard totalement différent sur elle. les grèves pour un oui ou pour un non..! ET DES SALAIRES pour moi native de l’île pas à la hauteur de mes compétences, et ce alors que les métros recrutés depuis la France via l’APEC ou cadre emploi, trustent tous les postes de cadres aux Antilles !

S’adapter ou repartir

Face à ce décalage que l’on peut ressentir lorsque l’on rentre en Martinique ou Guadeloupe après ses études, deux options : s’adapter, ou repartir ! Morena N de Basse- Terre, installée à Paris depuis 5 ans et depuis 2 ans en Allemagne,s’interroge déjà : “Quand on a goûté à l’expatriation, peut-on rentrer sans dommage dans son petit pays ? J’aime la Guadeloupe, je suis son actualité chaque jour, sans doute même plus sérieusement que quand j’étais sur place. Mais si je rentre pour de bon, est ce que je ne risque pas de m’ennuyer ? De trouver tout à coup que tout me semble pauvre, petit, étroit, étriqué ? La gymnastique mentale de jongler avec d’autres cultures m’a créé un réseau de concepts, de nuances bien plus fin que je n’aurais pu l’imaginer… En comparaison, la vie en Guadeloupe ne nous semblera-t-elle pas terne surtout pour mon mari qui est un métis Allemand docteur en économie ? On verra bien, rien ne presse, j’ai encore le temps d’y penser…d’autant que je pars en décembre 2016 m’installer en Afrique de l’est ou Markus mon mari vient de trouver un job dans une multinationale. Et d’ici là, avec l’Europe, la mondialisation, les échanges scolaires et universitaires, peut être que tout ça sera devenu normal, banal pour nos jeunes générations ? »

Par le biais des réseaux sociaux et Internet, je sais ce qui se passe en Martinique comme si j’y étais. » Marie trouve nécessaire de rentrer une fois par an. Mais après, “nous sommes ravis de revenir à Paris, ravis d’échapper à la morosité ambiante en Martinique avec toutes ces grèves et débat sans fin sur la viabilité financière de la CTM, de rapporter du bon rhum, des produits locaux, d’autres photos, et de retrouver ce petit goût de choix, la liberté que donne toute expatriation. En un mot, nous avons toujours besoin de vérifier que nos racines tiennent fermement, qu’elles nous accueilleront toujours, et que décidément qu’est ce que l’on a bien fait de partir ! »Suis-je un cas exceptionnel ? Je ne le pense pas. Tant en Métropole qu’à l’étranger lors de mes stages, j’ai eu l’occasion de croiser bon nombre de Martiniquais. Tous, sans exception, ont quitté la Martinique pour suivre des opportunités professionnelles et ne compte pas y retourner de sitôt, en dépit des avantages financiers du plan de retour mis en place par l’ex région Martinique.

Tous ces témoignages sont authentiques et ont été recueillis auprès de proches et montre bien l’étendue du phénomène nouveau des jeunes diplômés qui ne veulent plus revenir vivre et travailler au pays.Et c’est peut-être là une vérité qui fait mal et qu’on essaie de cacher : on quitte la Martinique et la Guadeloupe car on pense mieux réussir sa vie ailleurs. Cette vision des choses n’avait pas cours chez les jeunes diplômés des années 60 / 70 qui pour la plupart rentrait dans leur famille à la fin de leurs études. Mais peut-être tout simplement n’y a-t-il plus de place pour le sentiment d’attachement à la terre natale dans ce monde de mondialisation et encore moins de sentiment affectif ou de commisération pour les familles de plus en plus nombreuses qui sont tout simplement sans leurs enfants, vivant en Martinique et Guadeloupe…et le pire c’est que c’est désormais la norme !

Comment en est -t-on arrivé à ce phénomène croissant de société à savoir le refus de plus en plus marqué des jeunes diplômés martiniquais et guadeloupéens de ne pas vouloir rentrer au « pays » à la fin de leurs études, et ce alors même que la Martinique et la Guadeloupe ont et auront besoin de talents pour le développement de leur économie dans les 10 ans à venir.

Valeurs perdues des jeunes, bonheur perdu des aînés : pourquoi notre société déprime et dérive dans la violence ? Cette question sous tend la décomposition actuelle de la famille en Martinique et Guadeloupe par la perte des valeurs héritées de l’histoire. L’hostilité et la défiance pour les institutions, alors que leur demande d’intervention de l’État sous la forme de toujours plus d’assistanat dans tous les domaines sociaux – économiques, sont responsables de la névrose de notre société.


1. Une société d’hostilité et de peur


Les Guadeloupéens ont perdu progressivement du respect pour les valeurs morales, perte qui s’est accélérée depuis une dizaine d’années et surtout depuis le LKP, tandis que les Martiniquais vivent dans le déni de réalité avec leurs élus autonomistes et indépendantistes qui votent la censure du gouvernement tout en réclamant toujours plus d’aide financière ou de garantie d’emprunt à ce même gouvernement de l’État Français.

Toute morale vient du passé : elle s’enracine dans l’histoire, pour la société, et dans l’enfance, pour l’individu. C’est ce que Freud appelle le surmoi, qui représente le passé de la société.

La société a donc, vis-à-vis de chaque enfant puis de chaque adulte, le devoir de lui transmettre les règles morales qu’elle a adoptées (parfois depuis des siècles), dans le cadre de ses valeurs fondamentales. Ce sont ces règles qui définissent le permis et le défendu, le louable et le méprisable, le possible, l’impossible et l’obligatoire. Il ne faut pas compter sur la culture traditionnelle créole héritée de l’esclavage et de la colonisation – comme on a trop tendance à le faire en Guadeloupe avec l’érection d’un Mémorial act’– pour remplacer les règles morales.


Par le passé, il existait un référentiel de valeurs traditionnelles qui œuvraient dans les rapports interpersonnels et dans la communauté Antillaise. Ce référentiel avait ses canaux de production et de reproduction.


• Ce référentiel a été confronté aux facteurs de changement des modes de vie (apparition de nouveaux besoins), de la mobilité des populations (rural/urbain,Martinique / Guadeloupe/France Métropolitaine), et aux changements des canaux de production des valeurs : l’école, les médias, les réseaux sociaux, et de la complexification de la société contemporaine dans le contexte de mondialisation.


• Actuellement aux Antilles, il y a plusieurs valeurs en compétition et une multiplicité de canaux de leur production ; on assiste à l’ouverture du marché des valeurs et à un processus de refondation de leur système, avec des valeurs traditionnelles qui sont encore à l’œuvre chez les aînés et des valeurs émergentes chez les jeunes.


Hélas en Guadeloupe, et particulièrement depuis la dernière décennie, la transmission de la culture (dont la morale fait partie) se fait bien moins et bien plus mal. C’est particulièrement vrai du fait de la famille, de l’église et de l’Éducation nationale en crise larvée en Guadeloupe.La Martinique résiste encore sur le plan culturel mais pour combien de temps encore ?


La perte de respect pour les valeurs morales affecte d’abord le respect de « l’autre ».La perte de respect de l’autre se manifeste par un individualisme et un égoïsme croissants dans la société Antillaise. Chacun met en avant ses droits et considère que leur satisfaction est primordiale. Chacun s’affirme, considère que son opinion a de la valeur et doit être prise en compte, même si son inculture rend cette opinion infondée : la crise de 2009 est passée par là. Chacun pense que ses différences sont légitimes et en est fier ; d’où (par exemple) le phénomène nouveau de fracturation de la société traditionnelle Antillaise (Afro centrisme et indianisme) ou chacun cherche à imposer des valeurs et coutumes découlant de l’origine ethnique qui n’ont plus cours sur un mode traditionnel dans ce monde moderne. On ne respecte plus les autres, mais on exige toujours plus de la société consumériste. Et résultat (parmi les couples qui se marient) à l’instar de la France Métropolitaine la moitié des mariages se terminent par un divorce en Guadeloupe et le phénomène est accentué en Martinique, on ne se comprend plus, car on ne partage plus les mêmes valeurs.Que dire ou penser de ce foisonnement de femmes seules « Plus diplômées, plus célibataires que les hommes « qui existe actuellement aux Antilles ? Selon une étude publiée par l’INSEE, les femmes aux Antilles ont, le plus souvent, un meilleur niveau d’étude que leur conjoint.Avant la départementalisation, les femmes avaient, en majorité suivi moins d’études que leur conjoint. Mais, après la loi de 1946, plusieurs paramètres ont profondément transformé le tissu sociétal Antillais : l’élévation du niveau d’éducation de la gent féminine, son entrée massive sur le marché du travail notamment dans l’enseignement et l’administration, le développement de la contraception et la fin de la tutelle du mari sur sa femme. Par ailleurs, l’élévation du taux de chômage, en augmentant l’incertitude attachée aux carrières masculines, a aussi contribué à changer les moeurs. Respecter un schéma traditionnel « femme à la maison, mari au travail » est devenu plus risqué : l’arrivée d’un deuxième soutien économique dans la famille devenait le bienvenu.Si les changements survenus depuis les années 50 ont profondément fait bouger les lignes dans la répartition des rôles, l’égalité parfaite n’est pas encore de mise aux Antilles et cela se révèle source de tensions entre hommes et femmes. Les hommes moins diplômés ont, par exemple, moins d’opportunités de vivre sereinement la vie de couple, preuve de « la persistance d’un modèle “genré”, dans lequel le statut social de l’homme importe plus que celui de sa conjointe ». En d’autres mots, la conséquence est la fracturation du couple Antillais et l’émergence du phénomène de nombreuses femmes seules.

Les valeurs du devoir et du respect entre membres du couple, indispensables à la cohésion de la famille, sont d’autant plus dévaluées que la religion n’est plus assez influente pour jouer son rôle traditionnel de cohésion sociale.

2- La perte du sens du devoir.

La famille est de plus en plus dévaluée, ce n’est plus qu’une valeur ringarde qui ne donne droit à aucun respect entre conjoints ou encore entre parents et enfants d’où une violence intra – familiale de plus en plus prégnante aux Antilles et ce surtout envers les femmes dont l’évolution vers un mode de pensée à l’occidentale ( je veux vivre ma vie en pleine liberté sans contrainte d’un homme réputé machiste aux Antilles). Cette situation sème l’incompréhension et suscite des réactions de violence chez certains hommes totalement désemparés face à ce phénomène en vogue actuellement chez la femme Antillaise.

Autre élément, la baisse de la proportion de jeunes couples qui s’engagent à vivre ensemble en se mariant, et la forte proportion de divorces parmi ceux qui se sont mariés, ne sont que deux aspects d’un mal plus profond, qui touche énormément de gens en Martinique autant qu’en Guadeloupe : le refus de s’engager durablement et l’oubli de la parole donnée au moment de la célébration du sacrement du mariage. De plus en plus de jeunes refusent de s’engager à fonder un foyer stable, ou à consacrer leur vie à un idéal du vivre ensemble dans la durée, ou à se consacrer entièrement à la réalisation d’une éducation réussie pour les enfants. Ils n’ont plus d’idéal, ou plus assez de foi pour s’adonner à fond dans une vie de couple harmonieuse ; ils n’y croient plus, n’espèrent plus, sont découragés avant même d’avoir essayé de fonder un foyer. Et pourtant, la famille est la première institution où se transmettent et se reproduisent les valeurs.
Le sens du devoir n’est plus ce qu’il était pour transmettre ces valeurs basées sur l’autorité et la confiance : voilà pourquoi le respect et l’engagement personnel ont reculé au sein de la famille Antillaise.

Inutile de s’appesantir sur les parents de plus en plus nombreux qui n’accordent pas assez de temps à l’éducation de leurs enfants, qui les mettent devant la télé, les jeux vidéos, ou dans la rue pour s’en débarrasser, ou ne cherchent pas à savoir pourquoi ils ont de mauvais résultats scolaires ou font de grosses bêtises. Ils s’étonneront peut-être, quelques années plus tard, que leurs enfants les oublient à leur tour.


Les perspectives d’avenir laissent déceler une véritable déconstruction de la famille en Guadeloupe (et donc une dérive de plus en forte de la jeunesse restée au pays sans perspectives ). Les instances qui l’ont supplantée n’ont pas fait mieux qu’elle. L’école a déçu les espoirs et l’État providence n’a pas pu satisfaire toutes les aspirations et répondre à la problématique identitaire. Bien sûr cette jeunesse a deux faces et est en réalité constituée de deux jeunesses bien distinctes. La distance sociale et idéologique s’accroît entre les jeunes selon qu’ils sont restés ou non au pays et disposent ou non d’un niveau d’études minimum ( ces deux jeunesses aux destins de plus en plus divergents). En Guadeloupe, plus qu’ailleurs, l’écart entre ces deux jeunesses s’est accru, et la Martinique n’est pas en reste. Les jeunes générations sont l’avenir de la société et c’est pour cela que leurs attitudes présentent un intérêt particulier : se situent-elles dans la continuité des valeurs des autres générations ou un décrochage se manifeste-t-il dans certains domaines, qui serait annonciateur d’une « rupture générationnelle » et d’une « fracture culturelle » qui conduirait donc à une aggravation de la crise actuelle de société que connaît la Martinique et la Guadeloupe ? A méditer donc ……Mais se révolter contre une situation qui se dégrade n’est pas toujours facile.


Jean-Marie NOL,Économiste financier