— Par Selim Lander —
Oui « encore » et merci au programmateur de Tropiques Atrium et merci, surtout, à Hong Sang Soo de nous donner à voir toujours le même film – plus précisément une variation sur le même thème – sans nous lasser : un cinéaste, éventuellement prof de cinéma, d’âge mûr, est attiré par une jeune fille ou femme, laquelle est impressionnée par sa renommée. Si la jeune fille ou femme est charmante, l’homme n’est guère séduisant et son verbe est d’une pauvreté insigne, puisqu’il en va ainsi des dialogues de Hong Sang Soo (contrairement à ceux de Rohmer auquel on le compare à tort). Comment faire un film réussi avec de tels ingrédients : tel est le mystère Hong Sang Soo.
« Une merveille d’intelligence et de drôlerie » proclame l’affiche du film. Rien de moins exact que cette publicité. Le film n’est pas particulièrement « intelligent » puisque le cinéaste nous ressert une recette qui a déjà servi et que les dialogues n’ont rien de brillant. Quant à « drôle » c’est le diable si l’on ébauche plus d’un rire ou deux en regardant le film.
Alors que reste-t-il ? Il y a d’abord pour le spectateur occidental qui n’a jamais mis les pieds en Corée (du Sud) la découverte de ce pays, enfin ce pays tel que Hong Sang Soo le voit : une Corée urbaine, moderne mais où existent encore des quartiers paisibles, avec des temples, des maisons basses étagées sur les collines ; une Corée où les principaux personnages du film ne donnent jamais l’impression de vraiment travailler ; une Corée où l’on mange dans des petits restaurants, où l’on boit, surtout, des petits verres d’alcool de riz, les uns derrière les autres, jusqu’à perdre sa lucidité (ce qui n’arrange pas les dialogues, évidemment). Si l’on ajoute une langue parfaitement incompréhensible, inaudible plutôt pour nous, et des acteurs dont le physique ne ressemble à rien de ce à quoi nous sommes habitués, le dépaysement est garanti. Et il subsiste même lorsqu’on a vu plusieurs films d’Hong Sang Soo, à ceci près qu’il y a alors quelque chose de bizarrement familier dans cet exotisme, de même que les amateurs des films et des séries hollywoodiennes se sentent un peu chez eux, sans jamais y a voir mis les pieds, dans les suburbs américains – avec leurs belles maisons à pignons posées sur la pelouse impeccable, le garage pour plusieurs voitures à droite ou à gauche, aucune séparation entre les terrains mitoyens… – à force de les avoir contemplés au cinéma et à la télévision.
Cependant la fascination de l’exotisme ne peut pas tout. Il faut autre chose pour faire un cinéaste apprécié des cinéphiles. Y a-t-il une accoutumance à Hong Sang Soo comme au tabac ? Le goût de la première cigarette n’était pas agréable : cela n’empêche pas de devenir fumeur. Les films d’Hong Sang Soo plairaient-ils simplement parce qu’il serait capable d’induire une addiction chez le cinéphile ? Nous n’irons pas jusque là. Alors que reste-t-il ? Avant tout des images dont on a tout le temps de s’imprégner, le cinéaste privilégiant les plans fixes. Et puis un scénario qui, malgré l’indigence (voulue) des dialogues, ne laisse pas parfois de donner à réfléchir.
Une question sous-tend toute l’œuvre de Hong Sang Soo : l’amour existe-t-il ? Si la réponse n’est pas clairement énoncée, elle est négative. Ses personnages ne croient pas à l’amour. Ils connaissent le désir ; ils peuvent tout au plus jouer l’amour.
C’est encore le cas dans Right Now, Wrong Then, le dernier film du réalisateur tourné l’hiver dans une petite ville où la neige finira par tomber, dernière image silencieuse et poétique comme Hong Sang Soo en a le secret. Avant, il y aura eu comme de juste beaucoup de beuveries et des propos embrumés par l’alcool, deux personnages principaux plus typés peut-être qu’à l’ordinaire : l’homme défiguré par une coiffure horrible et plus nigaud que jamais (pendant la plus grande partie du film) ; la jeune fille sublime (pour qui apprécie les beautés asiatiques) : le cou très long, le teint de lait, le visage régulier, le nez petit et fin, les sourcils arqués. Les deux très bons comédiens, au demeurant, elle surtout qui est contrainte d’exprimer des sentiments plus variés que son partenaire. La photo est, comme à l’ordinaire, parfaite avec de délicates touches de couleur qui rompent à peine l’atmosphère hivernale. Une scène saisissante, celle où les deux protagonistes se retrouvent à manger (et à boire, bien sûr) chez des amis. Elle est assise au fond, face à nous, donc, les quatre autres de part et d’autre. On la voit se décomposer pendant qu’une de ses amies démonte le personnage du cinéaste, un faiseur sans grandes idées, très loin de l’impression que peuvent donner ses films. La caméra qui présentait jusque là le repas en plan fixe focalise brièvement sur le visage de la jeune fille : son silence exprime plus éloquemment que des mots la désillusion qu’elle ressent à ce moment-là.
Particularité du scénario : la même histoire est racontée deux fois. La première se termine sur un échec total ; la seconde est plus optimiste : quelque chose s’est passée qui ressemble à de l’amour.
Programmation de Tropiques-Atrium à Madiana les 22 et 27 avril 2016.