— Tribune de Philippe Pierre-Charles & Max Rustal —
Une nouvelle mode a vu le jour : celle de brandir le mot de « politique » pour discréditer toute lutte sociale. Mais en vérité, est-ce si nouveau que cela ?
Les pompiers réussissent, après de multiples tentatives plus ou moins fructueuses auparavant, à sensibiliser sérieusement la population et à interpeller vigoureusement les élus sur les graves problèmes que connaît ce service public d’incendies et de secours vital pour tous. Les voici aussitôt accusés de vouloir « déstabiliser la nouvelle gouvernance » à peine installée !
Un syndicat nouveau au Club Med proteste contre le licenciement illégal d’une déléguée syndicale, et voici le très politique patron, patriote récemment déclaré et propagandiste audacieux du « moratoire social », qui dénonce avec fracas la manœuvre de déstabilisation politique ! Pas de veine toutefois puisque deux élus qu’on ne saurait soupçonner de sympathie pour EPMN, à savoir Nilor et Gémieux, ne semblent guère de cet avis.
Des centaines de travailleuses et travailleurs de la jeune CTM ruent dans les brancards contre le refus de renouveler des contrats de travail dont près d’une centaine concernent des emplois durables indispensables au travail de la Collectivité, et voilà les dirigeants qui crient tous en chœur à la manœuvre politicienne de ceux de l’ancienne majorité qui n’acceptent pas le verdict des urnes… « C’est donc une paralysie politique du pays qui est organisée » ajoute le président de l’exécutif. Rien moins. Ladite ancienne majorité serait bien fière d’avoir un tel pouvoir de nuisance, mais passons.
Les élèves du lycée Schoelcher refusant le démantèlement de leur établissement et désireux de savoir dans quelles conditions se fera leur prochaine rentrée dans quatre mois, exigent d’être entendus et associés aux travaux préparatoires. Mouvement assurément téléguidé, manipulation évidente, désinformation, complot fomenté par des revanchards etc. puisque – contre toute vraisemblance – la rectrice et les responsables de la CTM prétendent que tout est prévu, qu’il n’y a aucun souci, que tout ira très bien.
Le mouvement ouvrier et la jeunesse, toutes nuances confondues, doit porter la plus grande attention à faire échec aux argumentaires qui fleurent bon l’hypocrisie, et qui en réalité renforcent la bonne vieille idéologie dominante: « les syndicats sont politisés… les chefs sont des fonctionnaires…ils sont financés par l’étranger… leur but c’est de ruiner l’économie… leur objectif c’est de déstabiliser le système … etc.». Depuis les premiers balbutiements du mouvement syndical dans notre pays comme partout dans le monde, la bourgeoisie développe cette rengaine pour obtenir par le bourrage de crâne ce qu’elle n’arrive pas à imposer par la matraque et éventuellement le plomb. Ce discours visant à affaiblir les syndicats, à détourner les citoyens des vrais problèmes, à masquer les vraies responsabilités, les dispense en même temps de faire face à leur propre incapacité à tenir leurs promesses électorales, si tant est qu’ils en ont jamais eu l’intention.
Dans le cas du conflit de la CTM, l’affligeant est que les discours rétrogrades sont tenus par des responsables qui jouissent du soutien d’authentiques organisations syndicales de travailleurs ! Le responsable aux affaires sociales qui aurait dû en réalité se réjouir d’une lutte visant à s’opposer à la diminution de moyens indispensables à la mission dont il a la charge, se trouve obligé de faire le sale boulot : justifier l’injustifiable et chercher à anéantir le mouvement. C’est lui-même qui se cache derrière les décisions de l’ancienne équipe coupable – selon lui – d’avoir programmé les licenciements de CDD ; mais auxquels il acceptait procéder avec une touchante docilité. Dans le même ordre d’idées, Bertrand Cambuzy qui à juste titre se réjouit de voir la Cour de cassation lui donner raison dans son exigence que seuls les syndicats en grève soient habilités à négocier la fin des grèves qu’ils conduisent, doit supporter d’entendre aujourd’hui Alfred Marie-Jeanne exiger pour négocier la présence à la table… du syndicat non gréviste du moment à la CTM ! Et pourquoi pas celle du Medef tant qu’on y est !
Trêve de balivernes : si la lutte pour sauver des emplois est politique, c’est que la décision de les supprimer l’était déjà au moins autant. Elle n’est rien d’autre que la mise en œuvre d’une pratique bien rodée de dégraissage des services publics censée contribuer au rétablissement de l’équilibre financier. Le « président » autoproclamé de la CTM n’y va pas par quatre chemins sur sa radio : « Ni an lo moun fok yo pati ! ». Ce qui de surcroît donne la fâcheuse impression que la liste noire est dressée depuis belle lurette… et qu’elle ne se limite pas aux seuls CDD.
Sans qu’elle soit en contradiction avec l’idéologie libérale dominante dans l’équipe dirigeante de la CTM, cette dérive politique freinée par l’ampleur de la mobilisation est tout de même choquante à plus d’un titre. D’abord la manière, au point que Francis Carole s’est senti obligé de reconnaître qu’il était quelque peu inconvenant d’annoncer au téléphone à un salarié que ce n’était pas la peine de revenir. Mais plus au fond, on se rappelle que les actuels gestionnaires avaient promis tout le contraire dans leur programme électoral. Ils s’étaient très tôt efforcés de rassurer les personnels des deux collectivités exprimant leurs craintes de licenciements après la mise en place de l’assemblée unique. Un tel engagement avait d’ailleurs répondu aux vœux des usagers les plus lucides, bien conscients que la fusion des deux conseils en une seule entité doit être l’occasion d’améliorer les services rendus à la population, et non de dépouiller de leurs maigres moyens les services existants. C’est d’ailleurs ce qui est en jeu aujourd’hui puisqu’il s’agit d’apporter la preuve que, grâce à l’équipe expérimentée et immédiatement opérationnelle, le vote « historique » de décembre 2015 rapportera davantage aux masses que les quelques kilos de chaines, fièrement récoltés et brandis par leurs élus, visiblement aussi à l’aise avec le coupe-boulon qu’avec les coupes sombres.
Fort-de-France le 22/04/16
Philippe Pierre-Charles
Max Rustal