— Par Roland Sabra —
La pièce a été créée il y 9 ans et profilée de nouveau en 2014. Elle a son compteur un nombre respectable et enviable de représentations. Sa longévité est gage de qualité. C’est une adaptation réussie du Dom Juan ou le festin de pierre de Molière. La pièce on le sait a un statut d’hybridité. Elle ne respecte pas la règle des trois unités chère au théâtre classique. On ne sait pas toujours à quelle catégorie l’affecter. On l’évoque donc quelques fois comme une tragi-comédie. Tous les metteurs en scène qui ont voulu ne s’en tenir qu’au texte rien qu’au texte ont été confrontés à cette hybridité, valorisant selon le cas tel ou tel aspect. Toute liberté prise avec le texte ne fait qu’amplifier, voire démultiplier ce questionnement. Adaptation et / ou réécriture ? Le Robert définit l’une comme la « traduction très libre d’une pièce de théâtre comportant des modifications nombreuses qui la mettent au goût du jour ou la rajeunissent ». On peut l’entendre comme une tentative de réappropriation culturelle d’une œuvre culturelle ayant déjà une identité qui lui est propre. On ne convoquera pas ici les problèmes éthiques afférents ! L’autre, la réécriture, peut s’entendre comme une dialectique non résolue, toujours ouverte entre la variation et la répétition, entre le même et l’autre, pour produire un texte second supposé « meilleur ».
Si l’adaptation use du registre des équivalences d’expression, d’un nouveau découpage, de l’invention de nouveaux modes de narration, d’expérimentations scéniques, de transformations, voire de détournements elle se situe coté fidélité. La réécriture avec ses transformations formelles, un monologue à la place d’un dialogue, amputation de scènes, ajouts de nouveaux textes, penche du coté de la trahison. Celle-ci peut par ailleurs être revendiquée comme une recherche esthétique, scénique ou même une position politique ou philosophique. Encore faut-il qu’elle soit clairement revendiquée comme telle.1
Bien sûr l’opposition ainsi construite tend à s’évanouir dans la pratique théâtrale sans pour autant disparaître. La mise en scène est aussi une écriture. C’est une écriture vivante, sujette à transformations dans sa longévité. Dom Juan 2.0 est est une illustration. Au projet initial, une « simple » adaptation est venue se greffer un penchant pour la réécriture limitée dans un premier temps à l’ajout de jugements moraux ou de simples remarques et réflexions des comédiens sur les personnages qu’ils incarnaient. Par exemple l’interrogation « Dom Juan est-il un pervers ou un frustré ? » revient sur un mode répétitif dans la pièce. Les ajouts portent aussi sur l’interprétation, sur le jeu des comédiens sur leurs performances, sur le metteur en scène, sensé être présent sur la scène. Ils prennent aussi la forme plus classique d’interpellations du public avec cet effet voulu et parfaitement accompli de tirer Le Festin de pierre vers la commedia dell’arte si ce n’est la farce. Car on rit de bon cœur, pas tout à fait à gorge déployée mais presque.
Cette mise à distance, ce « regard éloigné »sont-ils pour autant une réflexion sur le théâtre, sur le « théâtre dans le théâtre » que nenni et encore moins des interrogations pirandelliennes sur qu’est-ce qu’une représentation théâtrale. L’intrigue du Dom Juan de Molière est bien restituée, parfois résumée, ne sont supprimées que les longues tirades que le spectateur lambda n’est plus sensé pouvoir suivre addictif qu’il est aux SMS et à la pensée sous forme de slogans.
Aux rires provoqués par la distanciation produite par l’insertion de ces remarques s’ajoutent le plaisir d’assister à une belle performance d’une troupe soudée, débordante d’énergie et de complicité2. Le plaisir qu’ils ont à jouer est visible dans les fous-rires qu’ils ont parfois du mal à retenir. La richesse de ce qu’ils nous offrent en partage est aussi construite sur la durabilité, la constance d’une troupe qui n’aura vu que peu de renouvellements. Seul semble-t-il le rôle de Don Juan a changé de titulaire en 9 ans ! Elvire sera remplacée cet été en Avignon. Ils chantent justes, ils dansent avec aisance, ils font les acrobates avec une souplesse de chats à l’instar de Sganarelle, homme caoutchouc aux pirouettes invraisemblables, ils empruntent du coté du mime. Derrière cela il y a du travail, du travail et encore du travail mené jusqu’à ce point où il sait se faire oublier.
Est-ce pour autant la meilleure façon de découvrir la pièce ? Pas sûr car il semble que le plaisir du spectateur était d’autant plus grand qu’il connaissait, qu’il avait vu de par le passé de nombreuses mises en scène du Festin de pierre et que c’est dans cet écart que se situait son bonheur. L’attention portait plus sur sur ce qu’en avaient fait les comédiens, sur la dérision parfois pathétique mise en évidence que sur le propos au cœur de la pièce. Mais après tout celui-ci est-il univoque ? A quoi tient la magie au théâtre? Comme le dit Pierre Bourdieu le caractère poétique d’un texte destiné à la représentation relève de ce qu’il oblige « le lecteur à s’arrêter sur la forme sensible du texte, matériau visible et sonore, chargé de correspondances avec le réel, qui se situe à la fois dans l’ordre du sens et dans l’ordre du sensible.» ( P. Bourdieu, Les Règles de l’art, Paris, Éditions du Seuil, 1992, p.159.)
1 A cet égard, si Dom Juan 2.0 est une adaptation, Romyo & Julie est très clairement une réécriture avec le résultat que l’on sait.
2 C’est à la fin du Xe siècle qu’apparaît le mot « farce » pour la première fois. En France et en Angleterre, on employait le mot « farce » pour parler des phrases insérées entre kyrie et eleison dans les litanies et aussi pour parler des passages en français ajoutés entre les phrases en latin en chantant l’épître. Plus tard, on commença à l’employer pour décrire les interludes de jeu improvisés et farfelus joués par les acteurs au milieu d’un drame religieux au théâtre appelés mystères (on disait alors que l’on farcissait’ la représentation). Source Wipkipedia
Fort-de-France, le 22-04-2016
R.S.
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Au T.A.C. le 21/22/23 avril 2016 à 19h 30
MISE EN SCÈNE ET ADAPTATION
Luca Franceschi
SUR UNE IDÉE ORIGINALE DE
Thierry Auzer
Luca Franceschi
SCÉNOGRAPHIE
Thierry Auzer,
Vincent Guillermin
CRÉATION LUMIÈRE
Romuald Valentin
COSTUMES
Zoéline Getin
PHOTOS
Jean-Marie Refflé