— Par Roland Sabra —
« Des actions contre nature produisent des désordres contre nature. »
William Shakespeare ; Macbeth (1605)
Disons le tout net de Roméo et Juliette il ne reste pas grand chose dans « Romyo & Julie » que nous présente Hervé Deluge, mais vraiment pas grand chose. Les rares traces de Shakespeare que l’on trouve dans le texte viennent d’autres œuvres de l’homme de Stratford-upon-Avon, de Hamlet déclarant à Ophélia « Doute que les astres soient de flammes, doute que le soleil tourne, doute de la vérité même, mais jamais ne doute que je t’aime » ou de la célèbre tirade de Shylock du Marchand de Venise : « Un Juif n’a-t-il pas des yeux ? Un Juif n’a-t-il pas des mains… » par exemple. Il y a aussi du Jean-Paul Sartre, celui qui écrit “L’important n’est pas ce qu’on a fait de moi mais ce que je fais moi-même de ce qu’on a fait de moi. ». Il y a aussi un petite pique gratuite à l’encontre de « Tous créoles » et encore un « Touche pas la femme blanche » de Marco Ferreri . Bref un salmigondis de citations plus ou moins approximatives et dont l ‘opportunité peut faire, c’est le moins que l’on puisse dire question tout comme le prologue qui nous rappelle un peu lourdement que l’origine du mot lynchage se situe du coté d’un certain Charles Lynch (1736-1796) juge de paix étasunien qui pour réformer la justice de son Etat introduisit des jugements expéditifs et des exécutions sommaires.
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Et pourtant l’idée d’adapter le drame shakespearien au contexte de l’abolition de l’esclavage était bonne mais voilà, la Julie de Deluge, fille de béké est une gamine en conflit avec son père et c’est par dépit, par provocation, presque par calcul qu’elle décide d’aller « s’encanailler » par une belle nuit plus ou moins étoilée du côté des nouveaux libres. Et là elle tombe amoureuse de Romyo, membre d’un groupe mené par Maximilien, un révolutionnaire extrémiste. Non nous n’inventons rien. Il s’appelle bien Maximilien! Le clin d’œil est un un peu appuyé, un peu lourd mais bon on l’aura compris, on n’est pas là pour faire de la dentelle.
Mais ce par quoi pèche essentiellement ce Romyo & Julie c’est par l’absence de direction d’acteurs. Ils semblent livrés à eux-mêmes sans ligne de conduite précise, trimbalés entre humanisme dégoulinant de bons sentiments, didactisme redondant, extrémisme de pacotille, réformisme de compromission et cynisme à la petite semaine sans qu’aucun des personnages qu’ils sont sensés incarner ne soit véritablement construit, charpenté. Et c’est d’autant plus regrettable que la scénographie, décors et lumières, est tout à fait réussie. Sur scène il y a quatre containers, annonciateurs de la future économie de comptoirs qui dans le siècle qui suivra l’abolition va s’épanouir, l’un d’entre eux posé sur deux autres et le dernier en déséquilibre, suspendu entre cintres et plateau. Seul un des trois pourra être occupé par intermittence. Il figure l’intérieur de la maison du maître. De belles illustrations décoratives comme des photos-vidéos seront projetées sur les parois des boites, mises en valeur par ce travail de lumières contrastées tout en oppositions cher à Dominique Guesdon.
Ce travail inabouti donc, d’Hervé Deluge, est le symptôme même de la crise existentielle que traverse le théâtre martiniquais. Une grande quantité de moyens, une débauche diront certains, une trentaine de personnes mobilisées, dont pas moins de vingt-quatre comédiennes et comédiens, à faire pâlir d’envie la presque totalité des troupes hexagonales si ce n’est européennes, au service d’une absence de lecture théâtrale sans aller jusqu’à dire d’un manque de culture théâtrale. On ira pas à cette injure. Mais tout ça pour si peu ! Ces comédiennes et ces comédiens, on les connait, on les a vus, on les a appréciés, on a pu les critiquer, mais là on les devine embarqués sur un bateau sans gouvernail. Était-ce parce qu’il s’agissait, ce jour là, d’une représentation réservée aux seniors qu’il y avait si peu d’entrain sur le plateau, si peu de dynamisme, que les choses se traînaient nonchalamment comme une marche forcée sous un soleil lui-même épuisé d’avoir déjà tant donné?
Ce travail, inabouti donc, est à mettre en lien avec l’histoire du théâtre en Martinique. Une histoire récente toute jeune d’à peine soixante-dix ans alors que celui-ci existe depuis plus de deux mille cinq cents ans en Europe. Évoquer en contre-point l’existence au XIXème siècle d’un théâtre à Saint-Pierre est un cache-misère qui n’a aucun sens. De quelle programmation s’agissait-il ? Et pour qui ?
On rappellera que dans l’histoire récente du théâtre en Martinique on peut légitimement en vouloir aux politiciens qui ont signé l’arrêt de mort du CDR ( Centre Dramatique Régional) alors qu’il prenait son essor. Ne sont-ce pas d’ailleurs les mêmes qui aujourd’hui sont aux commandes ? Bon nombre de celles et ceux présents sur le plateau de Romyo & Julie sont passés et ont été formés par feu le CDR. Plus que jamais se pose la nécessité d’une école d’art dramatique en Martinique. Il faut donc aller voir Romyo & Julie pour se conforter dans cet avis ou s’en convaincre le cas échéant. Et puis, et puis il y a quelques beaux refrains, issus du patrimoine, repris a cappella et que l’on se surprend à fredonner.
Fort-de-France, le 13/03/2016
R.S.
Lire de Selim Lander : Roméo et Julie : du théâtre populaire
1848, Romyo & Julie
Le Vendredi 15 et le Samedi 16 Avril 2016 à 20h
D’après Roméo & Juliette de Shakespeare
Adaptation & mise en scène : Hervé Deluge
Collaborateur artistique : Michel Bourgade
Assistant : Marc-Julien Louka
Création Lumière : Dominique Guesdon
Scénographie : Maud Hostache
Consultant pédagogique : Jean-Durosier Desrivières
Photo-Vidéo : Frédérique Chantossel
Musique : Groupe Bulma : Maurice Mouflet, Eddy Erepmoc, Jean-Marc Réunif
© visuel : Frédéric Lagnau
Avec :
Jean José Alpha, Jocelyne Béroard, Sully Cally, Max Cicéron, Aliou Cissé, Françoise Dô, Jean-Michel Dubray, Sarah-Corinne Emmanuel, , Daniely Francisque, Marina Jean-François, Joël Jernidier, Francky Joseph, Jean-Claude Lamorandièe, Charly Lérandy, Marc-Julien Louka, Aymeric Manuel, Florine Mullard, Gustavo Paz, Emile Pelti, Yannik Rivalain, Robert Ténébay, Virgil Venance, Vincent Vermignon, Patrick Womba