« Occident »

— Par Michèle Bigot —
occidentTexte de Rémi de Vos,
m.e.s. Dag Jeanneret, production de la Cie In situ
Théâtre Joliette Minoterie, Marseille, 10-12/03/2016

Cette pièce de Rémi de Vos ne date pas d’hier ; écrite et publiée en 2006, elle a été montée par Dag Jeanneret dès 2008 et depuis, elle a tourné sur différentes scènes parmi les plus importantes : TGP de Saint-Denis, Théâtre du Rond-Point, Théâtre des Halles à Avignon. Cependant, elle trouve aujourd’hui une actualité toute particulière, du fait du lien qu’elle institue entre la dimension politique et la dimension psychologique.
En effet le titre « Occident » renvoie autant au nom du groupuscule d’extrême droite de sinistre mémoire, qu’aux mœurs occidentales en matière de vie de couple et de sexualité. De ce fait, « occident » s’impose à la fois comme un emblème du rejet de l’étranger, spécialement arabe et comme moment de crise dans la vie du couple occidental. Les deux aspects étant intimement reliés à travers les propos racistes, haineux et misogyne du personnage masculin (interprété avec brio par Christian Mazzuchini, qui prend le relais de Philippe Hottier). Comme le dit Rémi de Vos : « Occident est une pièce noire. Elle met en scène un couple monstrueux et comique. Il et Elle ne tiennent plus que par un jeu (de mots), une danse (de mort), un rituel (intime) qui les font se tenir encore l’un en face de l’autre. L’extrémisme dont il est question est une donnée du jeu.» Le rite apparaît alors tout à la fois comme l’expression d’une douleur et sa thérapie. Mise en scène de la misère affective et sexuelle d’un couple et de la misère sociale qui s’évacue en propos haineux, le dialogue tourne à la ritournelle, nourrie de violence verbale. Il est scandé par le reproche, la menace et l’insulte et culmine dans un déferlement verbal de fantasmes sexuels.
La mise en scène de Dag Jeanneret sert habilement ce rituel réparti en sept tableaux et un épilogue, qui se découpent à la faveur d’un retour au noir sur fond de concerto de Vivaldi. L’effet de contraste est garanti entre cette musique énergique et joyeusement puissante et le marasme où s’enlise ce combat verbal d’un couple entre l’impuissance de l’un et l’attachement névrotique de l’autre ( Stéphanie Marc incarne la femme, tout en force retenue).
Lui est un pauvre gars qui passe ses journées à boire au Palace ou au Flandre : il s’agite, se répand en gestes incontrôlés d’ivrogne violent , elle ne fait rien, reste à l’attendre : elle s’impose par son calme, son immobilité. Le ton monte entre Lui et Elle, et le combat de paroles leur tient lieu d’étreinte. Comme un jeu purement sexuel, il débouche sur un orgasme verbal : Lui éructe une ribambelle de « Je t’aime », de plus en plus inarticulés, Elle, passive, reçoit ces paroles amoureuses et en repaît son âme de façon insatiable.
Le dispositif scénique (trois praticables noirs dans une formation en U ouverte sur le devant de la scène, en fond de scène un écran blanc, à droite et à gauche un mur de parois blanches) favorise la lecture de ce rituel chorégraphié, en soulignant la dimension obsessionnelle de la répétition.
On ne se lasse pas de cet Occident dont le soleil ne s’est pas couché. Il peut revenir encore sur les scènes de France et d’ailleurs. Le texte fait figure d’inépuisable et les mises en scène peuvent en proposer de multiples variations.

Michèle Bigot

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