Par Roland Sabra
— Daniel Marcellin nous conte l’histoire d’Haïti, qu’il a écrite avec Philippe Laurent et que ce dernier met en scène dans un spectacle justement nommé AYITI. Comédien longiligne, formé au mime, Daniel Marcelin use non seulement de la souplesse de son expression corporelle mais aussi de ses talent d’imitateur pour entremêler tranches de vies et histoire majuscule. Ses propres enfants, sa femme, côtoient, Napoléon, Toussaint Louverture, Dessalines, Papa Doc et les autres. Il est seul sur le plateau avec pour tout dispositif scénique deux dizaines de valises de toutes sortes disposées en demi cercle, desquelles il extraira au gré de ses besoins quelques accessoires, un parapluie, des sacs à mains, une casquette, des lunettes pour figurer les différents personnages qu’il incarnera.
La question qui ouvre le spectacle et qui restera ouverte jusqu’à la fin, même si des éléments de réponses sont avancés, est celle-ci : Comment « La perle des Antilles, selon l’expression consacrée est-elle devenue un des pays les plus pauvres et les plus inégalitaires qui soient? Comment Haïti première République Noire, deuxième République du continent américain, a-telle sombré dans le sous-développement et la misère? La pièce évoque sans s’y attarder non pas tant les conditions d’obtention de l’indépendance que les moyens par lesquels celle-ci s’est affirmée. L’indépendance s’est construite sur le modèle du pouvoir colonial, comme un décalque caricatural de l’ancienne oppression esclavagiste. A la République française s’opposera la République haïtienne, à la Restauration royaliste fera face un royaume haïtien et son souverain, aux Empires napoléoniens répondra des Empereurs d’opéra. etc. Comme si l’indépendance débouchait sur une contre-dépendance parce que pensée sur le modèle de l’Etat-nation, posé comme universel, alors qu’il n’est qu’un produit historiquement, socialement, en un mot culturellement déterminé. La tragédie se répètera sur le même mode avec des scénarios différents au moment des indépendances africaines. Une des dernières répliques de la pièce boucle sur cette interrogation quand le comédien évoque les propos d’un écrivain haïtien contemporain qui affirme que c’est par la culture que ce pays s’en sortira. Ce dont on ne peut douter quand on observe la profusion d’artistes de toutes sortes qu’a produit un si petit pays.
Il faut redire que l’essentiel de l’intérêt de la pièce tient au formidable talent de Daniel Marcelin qui porte le texte de bout en bout, nous tient en haleine, jusque et y compris dans les épisodes archi connus, nous fait nous tordre de rire dans ses imitations désopilantes, notamment celle de Bébé-Doc, tout à fait réussie. La kyrielle de dictateurs est imitée sans jamais verser dans la redondance, la répétition ou la lassitude. La seule baisse de régime, si l’on peut dire, intervient au moment de la narration de l’occupation étasunienne à partir de 1915, quand il prend un tel accent yankee que le sens d’un mot sur trois nous échappe. Si la bande son se détache par moments pour souligner le propos elle ne le fait que trop rarement et le travail des lumières est bien succinct, pour ne pas dire à peine ébauché.
Encore une fois le moment de bonheur que procure cette pièce tient au fait que les personnages sont habités ce qui confirme cette vérité qu’il peut y avoir du théâtre sans texte, le Théâtre du Radeau par exemple, mais qu’il n’y a pas de théâtre sans comédien.
Fort-de-France le 04 février 2011
AYITI (La charge du Rhinocéros)
De Philippe Laurent et Daniel Marcelin
Philippe Laurent
Mise en scène
Avec
Daniel Marcelin
Olivier Wiame
Décor
Marc Doutrepont
Décor sonore
Xavier Lauwers
Eclairage
Albert Moléon
Conseiller et animation pédagogique
Les 04 et 05 février 2011
au CMAC de Fort-de-France