Par Selim Lander
André Marcon, Catherine Frot et Denis Mpunga incarnent au cinéma, respectivement le comte de Beaumont, la comtesse épousée pour son argent et enfin le majordome noir en proie à de troubles sentiments qu’il exorcise en photographiant la comtesse dans les tenues de scène, parfois un peu osées, qu’elle collectionne. Car elle est passionnée d’opéra au point de travailler plusieurs heures par jour les grands airs du répertoire. Même si la musique est chez elle une passion ancienne, elle s’y est littéralement plongée après son mariage, compensant ainsi la négligence dans laquelle la tient un mari volage. Las, elle chante (très) faux.
Tout cela se passe dans le beau monde, l’argent ne manque pas. Ce sont les années folles, la comtesse est contente de s’encanailler dans des boites interlopes conduites par des jeunes gens autant intéressés par son argent qu’émus par son rêve impossible. Car elle s’imagine en diva. Et personne n’a osé lui révéler que même son argent sera impuissant à réaliser ce genre de miracle. Son argent qui n’a servi qu’à l’isoler dans le monde fantasmagorique où elle a plongé jusqu’à s’y noyer…
On n’en dira pas davantage là-dessus. Sinon peut-être pour remarquer qu’il y a au moins un point commun entre Le Fils de Saul – l’objet de notre précédent compte-rendu – et Marguerite. Comme Saul (le héros du film éponyme), Marguerite (idem) est prise dans un système carcéral (le camp d’extermination pour l’un, l’argent pour l’autre), lequel, appliqué à des personnalités fragiles, les mène directement à la folie.
Le film – on parle bien de Marguerite de Xavier Giannoli – à part ça, est plutôt gai. Et puis l’on est séduit par le soin apporté à la mise en scène, aux décors, aux costumes. Bien que tourné, pour les extérieurs, en Tchéquie, nous nous trouvons transportés dans la France des années 1920 telles au moins que nous sommes capables de les imaginer sous leurs plus beaux atours. Et puis les personnages, malgré leurs travers évidents, sont tous sympathiques. On pense au vers de Baudelaire, même s’il n’est pas vérifié à la lettre : les désordres intérieurs n’empêchent pas la société bien ordonnée ; la beauté plastique est partout : chez les comédiens (même si ce n’est pas celle des magazines), dans les demeures, dans les accessoires et dans la musique (tant que Margueritte n’y intervient pas !) ; le luxe est l’élément naturel dans lequel se meuvent tous les personnages, même les moins argentés ; seule la volupté ne semble pas au rendez-vous, du moins si l’on pense aux choses du sexe, pourtant l’attitude des personnages à l’égard de la vie a incontestablement quelque chose de voluptueux, d’esthétique à tout le moins. Enfin, l’interprétation est étonnante. Catherine Frot, presque constamment présente à l’écran, parvient à rendre crédible un rôle quand même peu vraisemblable (car on se demande comment, elle qui ne cesse d’écouter les plus grands voix de son temps – au début du microsillon – et de tenter de les imiter, ne se rend pas compte qu’elle chante comme une casserole…). André Marcon est également très bien en mari dépassé par les événements. Quant à Denis Mpunga, massif mais intérieurement fragile, machiavélique et sensible à la fois : une révélation.
Tropiques-Atrium à Madiana les 22et 27 janvier 2016.