— Déclaration du Groupe Révolution Socialiste —
Il y a celles et ceux qui voient dans le changement de majorité dans la direction des affaires martiniquaises une « véritable libération », une « ère nouvelle », etc. L’avenir ne tardera pas à montrer l’outrance du propos. Mais en ce qui concerne l’autre nouveauté de la période, à savoir l’alliance Marie-Jeanne/Monplaisir, les mêmes commentateurs se divisent en deux: celles et ceux qui y voient une transformation importante inaugurant une coopération profonde, durable, riche de promesses ; et celles et ceux pour qui cette simple manœuvre électorale ne modifiera en rien la ligne des « Patriotes ».
En réalité nous avons affaire là, à une accentuation assez radicale d’une tendance largement présente dans les orientations marijeannistes. Du fameux « blan douvan/blan dèyè » qui a prolongé le pouvoir RPR d’Émile Maurice en 1989, jusqu’à l’alliance avec Pierre Petit, il y un fil conducteur d’alliance avec telle ou telle fraction de la droite. L’incorporation ici ou là d’un ou d’une politicienne de droite dans telle ou telle liste « patriotique » avait valeur de confirmation. Il y a même une petite musique pour justifier cette ligne : les notions de droite et de gauche ne seraient que des notions « occidentales » sans valeur aux colonies. Au nom de cela, les Patriotes parlementaires ont même pu voter sereinement l’investiture et/ou les budgets de gouvernements de la droite chiracosarkosienne.
Pourtant, l’alliance d’aujourd’hui franchit une étape. Si l’Appel de Basse-Terre (émanant de Lucette Michaux-Chevry, Antoine Karam et Alfred Marie-Jeanne en décembre 1999) prolongeait la tendance à l’alliance à droite, au moins elle se faisait sur la base d’une revendication vaguement autonomiste de « statut particulier ». Celle d’aujourd’hui hui en revanche, se fonde sur l’abandon de toute contestation du système, aussi bien sur le plan des institutions que sur celui du contenu économique et social. Pour bien le prouver et écarter toute ambiguïté, la totalité des postes à connotation financière ou économique a été confiée à la droite : affaires financières et budgétaires, octroi de mer, fiscalité, fonds européens, développement économique, emploi, aides aux entreprises…
Ainsi, après avoir longtemps dénoncé le moratoire de Césaire sur la question du statut tout comme la « nouvelle droite » PPM, le MIM et ses alliés vont plus loin que celui-ci sur ces deux plans. C’est d’ailleurs à ce prix qu’ils ont pu le surprendre et le terrasser avec ses propres armes. La dénonciation par le PPM de cette « alliance contre nature » n’a eu aucune crédibilité pour la bonne et simple raison que lui-même n’avait cessé de se placer sur le même terrain en se félicitant de chaque prise sur sa droite, au nom de la doctrine dévoyée du plus large contre le plus étroit !
Notre critique, on s’en doute, ne porte pas sur le passage d’un ou d’une politicien/ne de droite à un camp patriotique ou autonomiste, mais sur le fait que ces alliances ne se basent sur aucune rupture réelle avec les positions politiques de droite antérieures. En rejoignant les patriotes, Monplaisir et Laventure ne renoncent ni à leur assimilationisme ni à leur orientation pro-capitaliste acharnée. Mieux, c’est leur programme libéral qui sera mis en œuvre avec l’aval d’une coalition « Gran sanblé » pourtant largement majoritaire.
Le plus affligeant c’est de lire sous la plume des partisans de ces alliances des manifestations de joie devant les « querelles subalternes », les « intérêts partisans » surmontés! Ainsi donc colonialisme ou anticolonialisme, capitalisme ou anticapitalisme ne sont donc pour eux que des vieilleries idéologiques surannées sans aucune importance face à « l’intérêt supérieur du pays », se résumant finalement à un mot d’ordre bien sommaire : chasser Letchimy !
Il y en a bien sûr qui se réjouissent de cette clarification en déclarant que cette alliance est dans la nature des choses et n’a donc rien de contre-nature. Il n’empêche qu’aujourd’hui, on peut légitimement ajouter à la perspective d’une régression économique et sociale pour le plus grand nombre, celle de la capitulation idéologique de la majorité du camp anticolonialiste et progressiste. Quand on pense à ces partis qui sont nés sous le signe du refus radical du « bout de chemin avec l’usine », du rejet virulent du révisionnisme au nom de la « ligne ouvriers et paysans » ou encore de la « guerre de classes », il est quand même clair qu’un Rubicon à été franchi.
L’ignorer en pratiquant la politique de l’autruche ne servirait à rien. Se lamenter non plus. Il ne reste plus au camp des travailleurs et du peuple qu’à se coordonner et mieux à s’unir pour, dans l’action, sur le terrain, défendre sans transiger les intérêts et les aspirations émancipatrices des masses.
Fort-de-France le 18 janvier 2016
Pour le GRS
Rita Bonheur, Max Dorléans, Gilbert Pago, Philippe Pierre-Charles, Max Rustal