Julie Ostan-Casimir est
Psychologue clinicienne (Paris, 1978)
Docteur en psychologie de l’enfant et de l’adolescent (Paris, 1983)
Docteur en psychopathologie et psychologie clinique (Toulouse, 2006)
Vient de publier un troisième ouvrage : « L’éducation bientraitante contre la violence »
(K. éditions 2015)
Madinin-art : Pourquoi avoir publié un ouvrage sur l’éducation ?
Julie Ostan-Casimir : Lors de la parution de « Adolescents dans la tourmente, Troubles des conduites et des comportements » (K.Editions, 2013) de nombreuses questions de lecteurs ont porté sur l’éducation. Un entretien avec madame Manin, Présidente du Conseil Général d’alors, a aussi porté sur l’éducation. Par ailleurs de jeunes parents s’interrogent sur leur mode éducationnel. En temps que psychologue, il m’a paru important d’ouvrir le débat, car l’éducation se pose en processus et participe à l’élaboration de la personnalité. Je me suis intéressée pour l’heure à la période des 0-11 ans, me proposant de publier ultérieurement un ouvrage dédié aux adolescents.
Madinin-art : Proposez-vous des recettes ?
Julie Ostan-Casimir : Il ne s’agit surtout pas dans cet ouvrage de donner des recettes, mais simplement de tenter une approche dans le domaine de l’éducation, interrogeant certains concepts et théories dans le champ de la psychologie, pour inviter tout un chacun à la réflexion, pour dégager des pistes que le parent pourra adapter librement. Comme pour les deux premiers ouvrages, mes analyses s’appuient sur une expérience clinique de terrain auprès d’enfants et d’adolescents en difficultés psychologiques. Et j’ai fait de gros efforts d’explication dans l’utilisation des concepts du domaine de la psychologie, afin que l’ouvrage soit accessible à tous.
Madinin-art : Pourquoi le terme « Bientraitant » ?
Julie Ostan-Casimir : Ce concept bientraitance ne se réduit pas à l’absence de maltraitance. Elle se définit par une recherche permanente d’individualisation, et de personnalisation. Eduquer dans la bientraitance relève d’une culture partagée du respect de la personne, de sa dignité et de sa singularité. Les caractéristiques et repères de la bientraitance, tels que déterminés par l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements sociaux et médico-sociaux (ANESM) nous autorisent à élargir son champ à l’éducation dispensée dans la structure familiale. Le sujet est écouté, son expression valorisée. Les échanges sont continus entre les personnes de la structure. Et le cadre familial stable, intègre « des règles claires, connues et sécurisantes pour tous, et d’un refus sans concession de toute forme de violence ». La bientraitance implique un questionnement, un aller retour entre penser et agir. Concrètement, elle est la démarche qui répond aux droits de l’enfant, qui vise à promouvoir son bien-être.
Madinin-art : Une problématique mettant en cause la violence est soulignée.
Julie Ostan-Casimir : La violence a toujours existé. Elle prend forme et figure selon la période. Présentement, la société est débordée par certains de ses enfants. Mais, les constats ne sont pas à généraliser, à tous les enfants, à toutes les familles, à toute la structure scolaire, en un mot à toute la société.
Madinin-art : On dit que des enfants sont violents déjà à la maternelle.
Julie-Ostan-Casimir : Des petits en maternelle, peuvent présenter un comportement agressif. Leurs difficultés sont à analyser avec prise en compte leur histoire de vie, les rapports réciproques qui s’instaurent dans l’institution scolaire. Savons nous que l’éducation commence dés la naissance, que le rapport de confiance aux adultes s’installe dés le premier jour. Pendant la période dite « sensori-motrice », qui s’étale de 0 à 18 mois environ, l’enfant ne parle pas encore. Toutefois, le développement mental au cours des dix-huit premiers mois de l’existence est particulièrement rapide et particulièrement important. L’enfant y élabore un certain nombre de réactions affectives qui détermineront en partie son affectivité ultérieure, met en place les bases de ses structures cognitives, point de départ de ses constructions intellectuelles.
Madinin-art : Quels sont les domaines traités ?
Julie-Ostan-Casimir : 41 courts chapitres se remarquent. Les premières pages abordent l’éducation en tan lontan, afin de permettre aux lecteurs de mieux comprendre l’évolution subie par le processus. Les dernières présentent les différents spécialistes auxquels les parents pourront éventuellement faire appel.
Par ailleurs, je pense que de nombreux martiniquais sont marqués par cette éducation que je définis autoritaire d’il y a 50-60 ans. Je crois aussi qu’un centre comme la Tracée a marqué symboliquement l’imaginaire du pays. Des personnes regrettent et réclament l’éducation d’il y a 50 ans, et certains requièrent l’ouverture de maisons de redressement comme « la Tracée », structure maltraitante dans laquelle on cassait les petits durs.
Madinin-art : Mais peut-on éduquer dans ces prisons ouvertes, lieu d’exclusion, de stigmatisation, de marginalisation, du développement du caïdat ?
Julie-Ostan-Casimir : Les prisons ouvertes ou fermées ne semblent pas la solution. En conséquence, j’aborde les regards portés sur l’enfant, et les actions en sa faveur ont beaucoup évolués. L’histoire est jalonnée des sévices subis. Dans les années 70, le fonctionnement éducatif autoritaire est mis en question. « L’enfant doit-être épanoui ».
Afin de reconnaître et protéger ses droits spécifiques, la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE, aussi appelée « Convention relative aux Droits de l’Enfant ») traité international, adoptée par l’Organisation des Nations Unies (ONU) en 1989 est une déclinaison spécifique aux enfants des droits de l’homme. La convention introduit le concept novateur de « l’intérêt supérieur de l’enfant » qui consacre l’enfant comme « sujet de droit », quand celui-ci n’était que « objet de droit ».
L’article 26 consacre le droit de la personne à toute éducation dans la Déclaration Universelle des droits de l’homme de 1848.
Pour certains, l’éducation doit se borner à l’instruction. Sont confondus enseignement et éducation. Enseigner, c’est éduquer, mais éduquer n’est pas seulement enseigner. Educateurs, enseignants (…) ont en charge une mission d’éducation et concourent à l’exercice de l’autorité, qui participe à l’acte d’éduquer. Se pose la question de l’autorité des parents, Le mot « éducation est issu du mot latin educio, dérivé lui-même de ex-ducere signifiant guider, faire se développer, mais aussi commander. Commander ? Est-ce ordonner ? Donner des ordres ? Dresser ? Rappelons que l’autorité parentale, ne devient jamais un droit absolu et illimité. Elle s’arrête là où commencent les Droits de l’Enfant.
Faut-il le frustrer? Comment lui transmettre le sens de l’effort ? (et non plus le gout de l’effort) Comment l’aider à faire face à la frustration, à s’affranchir du principe de plaisir, et passer à celui de la réalité ?
Madinin-art : Quelles est donc la problématique de ces enfants qui se positionnent sur-puissants, intolérants à la frustration ?
Julie-Ostan-Casimir : Certains sont présentés trop « cireurs » ou plus grave, atteint de ce trouble très à la mode : trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH ou TDA/H).
Une excursion dans le domaine de la psychologie nous permet succinctement d’expliquer comment le sujet se construit, de donner du sens aux concepts éducatifs tels que « accompagner, guider », pour traiter de « l’autorité » et de « l’obéissance ». Comment dans un tel contexte éduquer sans châtier, punir, sans utiliser « la ceinture », « le cuir », ou autres. Nous souhaitons une société intégrant des enfants, adolescents non-violents, il nous appartient de ne pas leur apprendre la violence. Interdire la violence aux jeunes, c’est d’abord nous l’interdire à nous parents, et autres adultes.
Un auteur écrit justement que « l’éducation ne consiste pas à tout faire pour que les enfants obéissent, l’éducation consiste à les élever jusqu’à ce point où ils pourront choisir d’obéir ou de désobéir. L’être humain est alors « augmenté du sentiment de liberté… »
Nous voulons le mieux pour nos enfants. Une avancée progressiste dans le domaine de l’éducation, a pour objectif de permettre à ces sujets en de-venir de tenir leur place de citoyens. Ce modèle éducatif bénéficie de l’introduction de valeurs démocratiques. Les rapports hiérarchiques aux parents sont interrogés. Il est question « d’autorité qui autorise avant d’interdire ». Il est proposé un style éducatif qui n’humilie pas, ne soumet pas, ne disqualifie pas, en utilisant quotidiennement des mots comme « méchant », « imbécile », « couillon », « crétin », « ababa », des mots qui rabaissent, ayant un rôle délétère sur l’estime de soi.
L’autorité dite éducative émerge actuellement « comme une réponse complexe mais indispensable à la transmission et à la pérennisation des idéaux démocratiques ».