QUESTION A INSCRIRE A L’ORDRE DU JOUR DE L’ASSEMBLEE PLENIERE DU CONSEIL REGIONAL
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Mme la Présidente,
L’année 2012 a été marquée par l’irruption du pouvoir judiciaire dans le domaine de l’agriculture, tout particulièrement le secteur de la banane. Il a fallu l’intervention du juge administratif pour faire entendre les préoccupations sanitaires et environnementales exprimées par la société civile guadeloupéenne.
Alors que le pouvoir politique semblait incapable de s’affranchir de la loi du marché et de la pression des lobbies, les juges ont rappelé le principe posé tant par le Droit communautaire que le droit national, dans les termes suivants :
– Article 9 de la directive européenne 2009/128/CE :
« 1. Les Etats membres veillent à ce que la pulvérisation aérienne soit interdite.
2. Par dérogation au paragraphe 1, la pulvérisation aérienne ne peut être autorisée que dans des cas particuliers, sous réserve que les conditions ci-après soient remplies :
a) Il ne doit pas y avoir d’autre solution viable, ou la pulvérisation aérienne doit présenter des avantages manifestes, du point de vue des incidences sur la santé humaine et l’environnement, par rapport à l’application terrestre des pesticides ;
b) Les pesticides utilisés doivent être expressément approuvés pour la pulvérisation aérienne par l’Etat membre à la suite d’une évaluation spécifique des risques liés à la pulvérisation aérienne ;
(…)
e) Si la zone à pulvériser est à proximité immédiate de zones ouvertes au public, l’autorisation comprend des mesures particulières de gestion des risques afin de s’assurer de l’absence d’effets nocifs pour la santé des passants. La zone à pulvériser n’est pas à proximité immédiate de zones résidentielles (…) »
– Article L253-8 du Code Rural et de la Pêche Maritime :
« La pulvérisation aérienne des produits phytopharmaceutiques est interdite.
Par dérogation, lorsqu’un danger menaçant les végétaux, les animaux ou la santé publique ne peut être maîtrisé par d’autres moyens ou si ce type d’épandage présente des avantages manifestes pour la santé et l’environnement par rapport à une application terrestre, la pulvérisation aérienne des produits phytopharmaceutiques peut être autorisée par l’autorité administrative pour une durée limitée, conformément aux conditions fixées par voie réglementaire après avis du comité visé à l’article L251-3 »
Hier encore, on stigmatisait ceux qui alertaient, dès 1979, sur la toxicité du chlordécone.
Aujourd’hui, le constat de la tragédie est partagé par tous : 550 cas de cancers de la prostate révélés chaque année et 100 décès en résultent par an.
L’enquête « Hibiscus » a révélé, en Guadeloupe, la présence préoccupante de deux polluants particulièrement toxiques et depuis longtemps interdits : le chlordécone et le DDT. On trouve du chlordécone à des doses élevées :
– dans 67 % du sang maternel ;
– dans 27 % du sang du cordon ;
– dans 100 % de la graisse sous-cutanée abdominale ;
– dans 40 % du lait maternel.
On trouve du DDT et ses dérivés :
– dans 71% du sang maternel ;
– dans 48% du sang du cordon ;
– dans 77% de la graisse sous-cutanée ;
– dans 94 % du lait maternel ;
Le Centre international de recherche sur le cancer a classé le chlordécone comme «cancérogène possible» pour l’homme, décision confirmée par une étude baptisée « KARUPROSTATE », menée par des chercheurs de l’INSERM et du CHU de Pointe-à-Pitre, qui établit clairement le lien entre l’exposition à la molécule et le risque de cancer de la prostate.
Par ailleurs, un rapport de l’INSERM de 2008 a établi la présence de résidus de chlordécone dans le sang d’un échantillon de 100 Guadeloupéens testés (100%).
C’est donc une catastrophe écologique, sanitaire et économique qui affecte notre pays pour 100 ans, à cause de la soumission du pouvoir politique aux exigences des planteurs/importateurs qui, de 1990 à 1993, ont bénéficié de dérogations à l’interdiction du chlordécone sévissant en Europe. A l’époque, on disait que c’était pour sauver la banane contre le charançon. Aujourd’hui on avoue que c’était pour écouler les stocks de chlordécone que deux dérogations avaient été accordées !!!
Même la logique économique qui avait présidé à l’octroi de ces dérogations s’avère aujourd’hui inefficiente, quand on voit que l’Etat est obligé d’investir 33 Millions d’euros, au demeurant largement insuffisants, dans un « Plan chlordécone ».
En dépit de ces considérations légales, judiciaires, sanitaires et environnementales, un groupement de planteurs vient de déposer une nouvelle demande de dérogation pour pratiquer encore l’épandage aérien sur nos terres déjà gorgées de poisons.
Ce n’est pas au Préfet qu’il revient de dire si, au vu d’un dossier bien savamment « ficelé », quelle orientation donner à notre agriculture, ni de mesurer quel degré de risque que la terre et les habitants de Guadeloupe sont encore prêts à prendre, au vu de l’état des lieux et de notre prétention à en faire la 1ère éco-région de la Caraïbe.
C’est aux élus du peuple, entre autres les conseillers régionaux, que revient le devoir de définir les grandes orientations économiques de ce territoire.
L’agriculture est un pilier incontournable de la société et de l’économie guadeloupéennes. Pendant des siècles, la canne et la banane ont pratiquement constitué les seuls produits bénéficiant de l’aide financière et de la considération des autorités locales, nationales et communautaires.
Mais depuis quelque temps, sous la pression des betteraviers et des multinationales de la banane dollar, le régime privilégié dont ces deux productions agricoles bénéficient est fortement remis en question.
Récemment, dans son rapport annuel de 2011, la Cour des Comptes affirmait ceci :
« Pour répondre aux particularités de ces régions, les objectifs opérationnels du POSEI-France de 2006 étaient les suivants :
– améliorer l’auto-approvisionnement de la population locale, par l’augmentation de la production et la substitution aux importations (produits végétaux et animaux) ;
– développer des filières de diversification organisées et structurées, notamment par une gestion collective de la commercialisation, sur le plan local ou pour l’exportation ;
– consolider et pérenniser le développement de la filière canne à sucre, là où elle est présente ;
– créer de la valeur ajoutée avec les produits locaux, qu’il s’agisse de transformations fermières, artisanales ou industrielles ;
– mettre en place des démarches « qualité » et des signes distinctifs, pour les productions se démarquant des productions européennes ou mondiales.
Ces objectifs mettaient donc clairement l’accent, en plus du maintien des filières exportatrices, sur les filières de diversification locales et sur l’auto-approvisionnement en produits transformés et de qualité.
En réalité, l’ODEADOM ne s’acquitte pas de cette mission et aucun document ne fournit un récapitulatif de toutes les aides agricoles versées pour l’outre-mer. Une estimation a permis d’avancer un montant total de 370 M€pour 2008.
Sans les subventions, le revenu des entreprises agricoles serait très fortement négatif, ce qui pose la question du maintien du modèle économique en place.
Le programme POSEI-IV, approuvé par la commission européenne le 16 octobre 2006, couvre la période 2007- 2013 ; il a été complété par une décision du 22 août 2007 relative à un programme POSEI particulier pour la filière banane.
De ce fait, ces deux cultures reçoivent une part des aides très supérieure à leur poids dans la production agricole des quatre départements : 14,5 % et 19,1 % respectivement 256. Une telle répartition n’est pas cohérente avec les objectifs prioritaires de diversification et d’auto-approvisionnement retenus par le programme POSEI.
Ces chiffres reflètent, certes, les fortes contraintes propres au secteur de la banane : incidents climatiques fréquents, fragilité sanitaire, éloignement des marchés de consommation et concurrence de pays tiers à bas niveau de salaire. Ils sont néanmoins difficilement compréhensibles dans un contexte de rareté budgétaire, et conduisent à s’interroger, dans une perspective à moyen et long terme, sur la meilleure stratégie à retenir pour développer l’emploi et l’activité économique dans les départements d’outre-mer.
Tant dans leur conception que leurs effets, les aides à l’agriculture des départements d’outre-mer ne sont pas parvenues à favoriser une activité compatible avec les critères du développement durable, dans ses dimensions économiques, sociales et écologiques.
A – Un maintien des emplois non assuré
Les enjeux en termes d’emplois agricoles ont été fréquemment avancés comme objectif du programme POSEI, y compris pour la filière banane.
Force est de constater que, malgré le niveau des aides, les résultats sont décevants, en particulier aux Antilles,
Exposées à une forte concurrence, avec la disparition progressive des protections douanières, les cultures destinées à l’exportation ont été l’objet de regroupements de producteurs et d’une diminution du nombre d’ouvriers agricoles. Les aides pour les maintenir ont plus servi à préserver le chiffre d’affaires que l’emploi.
Il est, en revanche, remarquable que, dans les départements autres qu’antillais, les surfaces cultivées en banane et l’emploi ont augmenté, dans des exploitations qui pratiquent une agriculture diversifiée, tournées majoritairement vers les marchés locaux.
Les coûts du transport sur longue distance et son bilan carbone permettent difficilement d’envisager une augmentation des exportations.
C’est bien plus par le développement d’une production endogène, et sans méconnaître les difficultés de la réorientation qu’il implique, que le taux de couverture des importations par les exportations pourrait être amélioré, en diminuant les importations.
D – Une agriculture biologique insignifiante
Même si elle est en progression, la surface exploitée en agriculture biologique reste très faible : en 2008, 109 exploitations et 2 843 hectares, soit 10,5 % des surfaces en Guyane, mais seulement 0,2 % en Guadeloupe, 0,7 % en Martinique et 0,5 % à la Réunion, à comparer à la moyenne nationale de 2,5 %.
Un « plan d’action chlordécone 2008-2010 » en Martinique et Guadeloupe a été annoncé par le Premier ministre en janvier 2008. Piloté par le ministère chargé de la santé, il prévoit un ensemble d’actions, un rapport interministériel annuel et une enveloppe financière de 33 M€.
La prise de conscience de la nécessaire évolution du secteur paraît engagée.
Au-delà, le modèle de développement à mettre en place dans les départements d’outre-mer mérite d’être reconsidéré. La production agricole devrait être plus adaptée à la consommation locale et aux demandes liées au tourisme, plutôt que vers des cultures exportatrices.
En conséquence, la Cour formule les recommandations suivantes :
– redéployer les aides en privilégiant la diversification des produits et les circuits de transformation, avec un objectif de réduction des importations ;
– prendre en compte le « bilan carbone » dans les raisonnements économiques, en vue de favoriser un développement plus endogène des productions ;
– lier le versement des aides au strict respect de la réglementation environnementale, et d’une manière générale, à des objectifs de développement durable mieux ciblés ;
– opérer un suivi du « plan chlordécone », en liaison avec le ministère chargé de la santé, pour ce qui concerne en particulier l’impact sur l’agriculture et l’aquaculture ;
– améliorer l’intégration des filières entre producteurs et transformateurs, en vue de répondre à la consommation locale, et développer la publicité en faveur de ces filières ;
– utiliser les instruments de maîtrise foncière, notamment ceux prévus par la loi n°2010-874 du 27 juillet 2010 de modernisation de l’agriculture et de la pêche ;
– astreindre l’ODEADOM à établir le bilan des aides agricoles outre-mer, prévu par le code rural ;
– favoriser l’élargissement des bénéficiaires du régime spécifique l’alimentation animale ;
– confier à l’ODEADOM le versement de l’ensemble des aides du POSEI et des aides nationales liées, tout en renforçant sa maîtrise de l’instruction et de la liquidation, pour chacun des dispositifs concernés. » (Fin de citation du Rapport de la Cour des Comptes)
Suite aux Assises nationales de l’Agriculture biologique qui se sont déroulées en Octobre 2012, le Ministre de l’Agriculture et de l’Agro-alimentaire a adressé une circulaire en date du 14 Novembre 2012 aux Préfets, pour relancer l’élaboration du programme national « Ambition bio 2017 » qui sera mis en œuvre conjointement avec les Régions.
L’objectif stratégique de ce programme national est la commercialisation, en lien avec la consommation, en vue de doubler, d’ici fin 2017, le pourcentage de surface agricole utile en agriculture biologique. Pour élaborer ce programme national, le Ministre a décidé de mettre en place une large concertation régionale, assurée par les Préfets, en co-pilotage avec les Présidents de Conseils régionaux. La circulaire du 14 Novembre 2012 avait fixé la date de fin de la concertation régionale à la fin du mois de Mars 2013, afin de dévoiler le nouveau plan « Ambition Bio 2017 » au début juin, lors du « Printemps bio 2013 ».
D’autre part, le Rapport de la mission sénatoriale sur l’impact sanitaire des pesticides, rendu public fin Octobre 2012 a été remis à Stéphane Le Foll, Ministre de l’Agriculture, qui a salué sa « qualité ».Ce rapport constate notamment que les dangers et les risques des pesticides sont sous-évalués et que les protections ne sont pas à la hauteur. Par ailleurs, le suivi des produits après leur mise sur le marché n’est qu’imparfaitement assuré, au regard de leurs impacts sanitaires réels. Le rapport conclut à un nécessaire renforcement du plan Ecophyto 2018 parmi 109 propositions.
Enfin, l’article 27 de la loi Grenelle 1 « Loi Grenelle 1 » avait fixé comme objectif, la protection d’ici à 2012 des 500 captages les plus menacés par les pollutions diffuses. Les ministres chargés de l’écologie et de l’agriculture ont adressé le 11 janvier 2013 une circulaire aux services déconcentrés de l’Etat relative à la protection des 500 captages d’eau potable les plus menacés par les pollutions diffuses dans laquelle ils leur demandent d’assurer la mise en œuvre effective des plans et programmes d’actions qui s’imposent. Où en est-on aujourd’hui ?
Autre sujet qui est fondamental c’est celui de la protection du foncier agricole. Il fait l’objet de spéculations immobilières sans précédent, avec la complicité de certains maires qui transgressent et manipulent les PLU, de nous mêmes, conseillers régionaux à travers le SAR et en l’absence de réelle volonté de contrôler les transactions et mutations foncières. L’agriculture guadeloupéenne semble sacrifiée sur l’autel de la spéculation immobilière : On a perdu 10 000 ha de surface agricole utile (SAU) en 10 ans. A ce rythme, dans 30 ans, il ne restera plus rien.
Toutes ces informations ne peuvent laisser indifférents les élus que nous sommes.
Nous ne pouvons laisser aux associations de défense de l’environnement le soin de défendre, seuls, les angoisses légitimes de la population guadeloupéenne quant à l’utilisation des pesticides dans l’agriculture et à la contamination avérée de la chaîne alimentaire ( eau, ignames, patates, carottes, burgots, ouassous… etc ).
Il nous paraît urgent que nos collectivités majeures, la Région et le Département, s’emparent de la question et ouvrent de toute urgence un débat sur l’avenir de l’agriculture en Guadeloupe. Ce sera l’occasion de soulever, entre autres, les questions suivantes :
– La place des pesticides et autres intrants chimiques ;
– La diversification agricole et le développement du marché intérieur ;
– L’état des lieux et perspectives du développement de l’Agriculture biologique ;
– La nécessaire réforme de la PAC (Politique Agricole Commune de l’Union Européenne )
– Le contrôle de l’importation ;
– L’inventaire du patrimoine foncier régional.
Nous vous demandons, Mme la Présidente, que cette question soit inscrite à l’ordre du jour d’une toute prochaine assemblée plénière.
Nous nous tenons à votre disposition pour toute information complémentaire et vous prions d’agréer nos meilleurs sentiments.
Les signataires
Prénom Nom Qualité