Le directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe s’est éteint à l’âge de soixante-sept ans, après avoir servi avec cœur et talent le meilleur du répertoire du Vieux Continent.
On apprenait samedi la mort à soixante-sept ans du metteur en scène Luc Bondy, à la tête de l’Odéon-Théâtre de l’Europe depuis mars 2012. On le savait malade. En juillet, il avait dû se rendre en Suisse pour des soins intensifs. Son état de santé ne l’empêcha pas, à force de volonté, de conduire jusque sous perfusion les répétitions d’Othello, spectacle prévu pour janvier. Né à Zurich, cet artiste brillant, issu d’une famille de haute culture (son grand-père avait dirigé le Théâtre de Prague, son père, journaliste, avait gagné la Suisse pour fuir le nazisme), accomplit une brillante carrière tant en Allemagne, où il participa, de 1985 à 1987, aux côtés de Peter Stein et Klaus-Michael Grüber, à la renommée de la Schaubühne de Berlin, qu’en Autriche, où il eut la charge du Festival de Vienne dix ans durant (de 2003 à 2013). Il excellait en effet aussi bien dans le registre dramatique proprement dit que dans l’art lyrique, pour lequel il était relativement moins connu en France, où il avait passé son enfance et sa première jeunesse, suivant les enseignements de Jacques Lecoq, chez qui il apprit à signifier par la souplesse du corps et la mobilité expressive du visage, puis en passant par l’université du Théâtre des Nations à Paris. Ses premières armes en Allemagne, il les avait exercées sur des œuvres classiques, celles de Goethe et Shakespeare entre autres, ainsi que sur des auteurs contemporains (Beckett, Ionesco, Genet, Gombrowicz, Botho Strauss…). En France, il fut révélé aux Amandiers de Nanterre en 1984, à l’invitation de Patrice Chéreau, par sa réalisation de Terre étrangère, de l’auteur viennois Arthur Schnitzler. Le raffinement visuel de ce spectacle, où s’illustrèrent Michel Piccoli et Bulle Ogier, avec en fond sonore le bruit incessant de balles de tennis à la volée, lui offrit la plus belle carte de visite. Il s’est surpassé dans Marivaux. On se rappelle son travail lumineux sur la Seconde Surprise de l’amour (2008), par exemple, avec Audrey Bonnet, Clotilde Hesme, Pascal Bongard, ainsi que ses Fausses Confidences du printemps dernier, où Isabelle Huppert faisait merveille. Son ultime spectacle à l’Odéon, où causa grand bruit sa nomination après l’éviction cavalière d’Olivier Py – ça faisait tout de même « pousse-toi de là que j’m’y mette » –, fut cet Ivanov, de Tchekhov, dans lequel une aura crépusculaire nimbait Micha Lescot. S’il est carrément impossible de fournir la nomenclature de tout ce qu’a créé Luc Bondy, peut-être est-il loisible d’esquisser une approche de l’être qu’il fut. Un homme à vif, sans doute, spirituel en diable, cachant élégamment, sous un sourire mozartien, ses blessures non dites de fils de juif, triomphant aux lieux mêmes où s’affirma l’épouvante. À cheval sur deux cultures prégnantes, si lourdes d’histoire, Bondy a représenté, avec une grâce non exempte de persiflage, un parangon de culture européenne au plus fort sens du terme. Artiste de haut goût, insatiablement curieux, liseur fanatique, il n’eut de cesse, d’Ibsen et de Strindberg, par exemple, jusqu’à Guitry et Yasmina Reza en passant par Pinter, d’explorer un répertoire éclectique où exercer son talent délié.
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