—Par l’économiste Michel Branchi —
La publication le 26 novembre 2015 par le grand journal parisien « Le Monde » d’une étude menée conjointement avec l’Institut Montaigne qui diagnostique que la Région Martinique est « la 5ème région française la plus endettée » a déclenché la panique chez « Ensemble pour une Martinique Nouvelle » de Serge Letchimy. Ce classement défavorable vient 20 jours après celui tout autant décapant de la revue économique « Capital » plaçant la Région Martinique parmi « les plus mal gérées de France » et dénonçant ses « dérives liées au clientélisme » (cf Justice n° 46 du 12/11/2015).
Le néo-PPM et ses alliés immédiatement publié le 27/11/2015 à titre de contre-offensive un commentaire intitulé mensongèrement : « Le journal « Le Monde » confirme les analyses et les retombées des actions de Serge Letchimy ». Mensongèrement parce que EPNPM annonce : « Nous avons repris les grandes lignes de ce diagnostic qui confirme le changement de braquet opéré dès 2010 par l’équipe menée par Serge Letchimy » alors que les 29 points présentés comme étant l’analyse du « Monde » sont des reproductions tronquées ou épurées de ses aspects négatifs pour la majorité régionale et truffées d’ajouts faisant parfois dire au « Monde » le contraire de ses appréciations. Cela sans distinguer ce qui est du « Monde » et ce qui est de EPNM !
- Un diagnostic sévère : La Martinique peine à valoriser ses atouts
Que dit en résumé l’étude « Le Monde/ Institut Montaigne) sur l’Etat économique et financier de la Région Martinique ? La réponse est synthétisée par la formule « La Martinique peine à valoriser ses atouts », titre de l’article. En voilà un échantillon.
• Une région qui perd des habitants ;
• Un fort de taux chômage ;
• Une économie tertiarisée : La répartition sectorielle des emplois en Martinique est particulièrement déséquilibrée (commerce et services) ;
• Une croissance économique encore fragilisée par la crise de 2009. Les difficultés structurelles continuent de pénaliser l’économie locale : le secteur agricole doit faire face à la fois à une baisse des rendements des plantations de bananes, aux suites de l’utilisation massive du chlordécone et à la baisse de la production de canne à sucre ; le secteur du BTP est particulièrement affecté par la baisse de la commande publique, dont il dépend fortement ; enfin, l’activité touristique peine à se développer malgré les efforts déployés, etc.
• Une consommation des ménages qui ne stimule pas suffisamment l’économie locale ;
• Région : La proportion des dépenses d’investissement est en nette diminution ; des dépenses orientées vers les services généraux ; Une hausse de la fiscalité locale ;*
• L’endettement : La 5e région française la plus endettée par habitant ; Une épargne brute (ndr : Produits – charges de fonctionnement – charges d’intérêt) en très nette diminution ; Une capacité de désendettement qui se dégrade ;
- Quelques honteuses falsifications du néo-PPM
Prenons quelques exemples de falsifications de l’étude « Le Monde-Institut Montaigne ».
- Sur le taux chômage inférieur à 20 %
EPNM fait dire au « Monde » : « Le taux de chômage en Martinique est près de deux fois supérieur à celui de la France (19,4% contre 10,3%). Néanmoins, la Martinique est le seul département d’outre-mer dont le taux de chômage est inférieur à 20%. (Soit 19,4%) ».
« Le Monde » a réellement dit : « En Martinique, en 2014, le taux d’activité reste légèrement en deçà de celui de la France métropolitaine (66,6% contre 71,4%), alors que le taux de chômage y est près de deux fois supérieur (19,4% contre 10,3%). Néanmoins, la Martinique est le seul département d’outre-mer dont le taux de chômage est inférieur à 20% ». Précisons que le taux de chômage de 19,4 % en 2014 été calculé par l’Insee suivant une nouvelle méthode d’enquête qui l’a fait baisser et l’a rendu non comparable avec les taux antérieurs (22,8 % en 2013). Les taux antérieurs calculés avec la nouvelle méthode d’enquête Insee par la Fedom (Fédération des entreprises de l’outre-mer) donnent des taux inférieurs à 20 % depuis 2007 (17,9 %). Par exemple : 18,6 % en 2010, date de l’arrivée de Serge Letchimy à la Région. Le taux de chômage a donc augmenté de près d’un point en 2014.
Rappelons en outre que les taux de chômage de la Martinique, tout en étant élevés, ont toujours été inférieurs aux taux de chômage des autres DOM (par exemple de 2 à 3 points par rapport à la Guadeloupe). Cf. Justice n° 43 du 22/10/2015 et n°44 du 29/10/2015. Il faut ajouter pour être complet que le nombre de demandeurs d’emploi n’a cessé d’augmenter entre 2010 et 2015 (+ 8 000) et qu’à l’inverse la Martinique a perdu 5 600 emplois sur la même période dont plus de 3 000 dans le privé.
- Sur la croissance économique
EPNM attribue à l’étude le jugement suivant : « La croissance en Martinique a atteint 1,4% en 2014, un taux nettement supérieur à ceux constatés au cours des trois années précédentes ».
Le Monde avait écrit : « La croissance en Martinique a atteint 1,4% en 2014, un taux nettement supérieur à ceux constatés au cours des trois années précédentes. Cette augmentation est due principalement à un effet de rattrapage par rapport à 2013, où la croissance était négative (– 0,9%) en raison, notamment, de la baisse de la production de produits pétroliers ». Donc le rebond de 2014 est du essentiellement à la reprise des exportations de produits pétroliers (Cerom- n° 25 septembre 2015). Et nous avons montré que le PIB de la Martinique (richesse globale) est fin 2014 inférieur au niveau atteint fin 2008 (- 1,74 % et moins 140 millions d’euros), donc avant la crise sociétale de 2009 (Justice n° 46 du 12/11/2015).
- Sur l’endettement galopant
EPNM indique que l’étude mentionne : « 27. En trois ans, la dette de la Région Martinique s’est accrue. Il est à noter tout de même que en 2009 la Région c’était zéro euro d’emprunt !
La dette moyenne par habitant s’élève ainsi, à la fin de l’année 2013, à 470€ par habitant, soit près de deux tiers de plus que la moyenne nationale (hors Corse et Île-de-France – 285€/habitant). Au premier janvier 2015, conformément au rapport sur le budget 2015 des régions du ministère de l’intérieur – DGCL publié en 2015, l’endettement de la région au 1er janvier 2015 est de 133,2 millions d’euros soit un endettement de 337 euros/ habitant. Il est à noter qu’à la même date, la Guadeloupe affiche une dette par habitant de 534 euros/habitant ; la Guyane et l’Ile de la réunion respectivement de 453 euros/habitant et de 342 euros/habitant. La Martinique reste donc en deçà de la moyenne outremer enregistrée à 397 euros/habitant. (Source – dgcl – budgets primitifs 2015 des régions.) ».
Le Monde avait écrit : « La 5e région française la plus endettée par habitant«
En trois ans, la dette de la région Martinique s’est particulièrement accrue.
La région Martinique a vu son encours de dette exploser entre 2011 et 2013 alors que l’encours de dette du conseil régional était nul jusqu’en 2010.
La dette moyenne par habitant s’élève ainsi, à la fin de l’année 2013, à 470€ par habitant, soit près de deux tiers de plus que la moyenne nationale (hors Corse et Île-de-France – 285€/habitant).
La région Martinique est ainsi devenue, en moins de trois ans, la 5ème région la plus endettée (si l’on considère le montant par habitant), après la Corse, la Guyane, la Guadeloupe et le Nord-Pas-de-Calais ».
EPNM a supprimé le fait que la dette a « explosé » entre 2011 et 2013 et surtout que la Région Martinique est devenue la 5ème région la plus endettée « en moins de trois ans ».
Notons que la revue Capital avait classé le 6/11/2015 la Région Martinique 3ème région la plus endettée de France en 2014 avec un autre indicateur : l’endettement par foyer fiscal qui, à notre avis, est plus représentatif (cf. Justice n°46 du 12/11/2015).
- Une censure de EPNM qui montre là où çà fait mal
Il nous faut absolument reproduire l’analyse de deux autres indicateurs dégradés et carrément censurés par le néo-PPM, à savoir l’épargne brute et la capacité de désendettement :
- Une épargne brute en très nette diminution
L’épargne brute de la région Martinique a été divisée par trois depuis 2009.
L’épargne brute2 martiniquaise (ndr : Produits – charges de fonctionnement – charges d’intérêts ) représente ainsi 14,3% des recettes réelles de fonctionnement de la région contre une moyenne métropolitaine (hors Corse et Île-de-France) de 27,4%.
- Une capacité de désendettement qui se dégrade
Entre 2009 et 2013, la capacité de désendettement de la région Martinique s’est dégradée et atteint désormais cinq ans. L’endettement de la région semble, toutefois, encore maîtrisé puisque la Martinique dispose d’un ratio annuité de dette / recettes de fonctionnement inférieur à la moyenne métropolitaine et ultra-marine (4,1 contre respectivement 10,7 et 14,9). »
Il faut garder en tête que l’endettement excessif d’aujourd’hui sans résultats économiques et sociaux, c’est la hausse des impôts de demain ou la mise sous tutelle préfectorale (Marin, Diamant, etc). Surtout cet endettement exagéré obère la capacité d’emprunt future de la Collectivité territoriale de Martinique pour relancer l’économie. Situation déjà signalée en mai 2015 par le Pr d’économie Olivier Sudrie, conseiller de la CCIM.
La présentation malhonnête par omission ou ajouts de l’étude « Le Monde/ Institut Montaigne » par EPNM porte sur beaucoup d’autres points : prétendue augmentation du PIB par habitant (artificielle en réalité, du fait de la diminution de la population depuis 2006), petite augmentation de la consommation des ménages en 2014 (en réalité du fait de l’utilisation de l’épargne par « rattrapage », pour l’achat de voitures par exemple), hausse des exportations et des importations en 2014 (en réalité du fait des produits pétroliers), dépenses de fonctionnement en hausse (du fait de recrutements massifs de certains d’agents par clientélisme politique et se répercutant sur la baisse de la marge brute), hausse de la fiscalité locale qui ne serait pas due à l’action de la Région, etc.
Décidément, la falsification et le maquillage des données économiques sont une marque de fabrique de la dite « nouvelle gouvernance ». Cela dépasse l’habituel jeu électoral pour devenir une seconde nature. Au prix de la confiance perdue de nombreux acteurs économiques. Si la Martinique « peine à valoriser ses atouts », c’est qu’elle est mal managée. Élémentaire mon cher Watson.
Michel Branchi / Economiste et rédacteur en chef de Justice