— Par Roland Sabra —
D’Ylian Cañizares, la critique dans son ensemble vante les qualités. Helvético-cubaine, née à la Havane elle réside en Suisse, violoniste de l’école russe, elle construit sa formation de Caracas à Fribourg où elle découvre le jazz de Stéphane Grapelli qu’elle va mêler à ses ascendances afro-cubaines pour fonder Ochulare Quintet avec David Brito (contrebasse), Daniel Stawinski (piano) et Cyril Regamey (batterie). C’est avec cette formation qu’elle s’est produite à Fort-de-France dans le cadre du MJF2015. Sa musique se situe au confluent des sonates de Bach, des chants yoruba d’Afrique de l’ouest, du jazz latino. Du souvenir de Chopin à celui de Chucho Valdès en avalant les mémoires new-yorkaises du jazz américain mâtiné façon bossanova elle se ballade avec la tranquille certitude que l’avenir est à elle. Ce en quoi elle n’a pas tout à fait tort. Entre hybridation et éclectisme son répertoire témoigne d’une recherche, d’un chemin qui se défriche à l’avancée du pas. Elle chante en espagnol, en yoruba, en français. Et si l’éclectisme verse par moments dans un syncrétisme brouillon, si elle s’aventure, parfois avec facilité, sur le registre de la variété, c’est qu’elle est le reflet d’un temps ou les repères s’effacent, ou les genres se défont. Les musiciens dont elle s’entoure pour cette aventure de brouillage généralisé des frontières la soutiennent avec talent sur ce chemin périlleux qui parfois s’égare, se perd mais qui toujours se retrouve. Peut-être le but du voyage est-il le voyage lui-même ?
Ce goût du voyage on le retrouvait en deuxième partie avec la cubano-franco-capverdienne Mayra Andrade, déjà venue à Fort-de-France il y a cinq ans. Au métissage des rythmes de son pays d’enfance elle ajoute des sons venus du Sénégal, d’Angola, du Brésil. De Paris, la cosmopolite elle fait son port d’attache pour mieux repartir vers des horizons nouveaux. De son enfance au Cap Vert elle garde des liens étroits liés à son père officier dans l’armée de libération, mais aussi à son beau-père ambassadeur aux multiples affectations. Nomade et polyglotte, elle chante en kriolu (créole capverdien), en français, en anglais en portugais, elle oriente depuis l’an dernier son registre vers le Brésil le grand pays frère. Ces influences brésiliennes se font sentir jusque et y compris dans Ilha de Santiago, composée par le ministre de la culture du Cap Vert, ex-avocat, chanteur et musicien Mario Lucio ! Mambo, reggae, fado, bossa nova sont les villes étapes d’un voyage avide de libertés.
Que reste-t-il du jazz dans ce parcours ? Ce que l’on veut bien mettre dans ce mot fourre-tout ! Si elle a longtemps reculé devant l’enregistrement préférant se réinventer sur la scène tous les soirs, c’était de crainte de voir les choses fixées, gravées comme une fin de voyage. Les concerts enrgistrés et que l’on peut écouter sur le net nous faisaient espérer le meilleur. Hélas le concert de Fort-de-France, comparé à ceux-là et que l’on peut écouter sur le net était un ton en dessous de la prestation attendue. Sans doute était-ce dû à un déséquilibre entre le chant et l’accompagnement musical qui encore une fois ne mettait pas la voix suffisamment en valeur. Qui en douterait pourra réécouter l’Africa Festival Würzburg 2014 Mayra Andrade BR/ARTE Concert et sera convaincu du propos. Il redécouvrira le professionnalisme de la chanteuse en repérant les routines, les ficelles du métier qu’elle met en œuvre dans son travail. Et tant pis si cela avive les regrets ! Peut-être reviendra-t-elle avant cinq ans?
Fort-de-France, le 28/11/2015
R.S.