— Par Michel Herland —
Madame la Présidente, chère collègue,
Vous me laisserez, n’est-ce pas, utiliser les formules de politesse en usage dans le monde universitaire. Vous ne comprendriez pas, n’est-ce pas, que j’agisse autrement, comme je n’ai pas compris que vous me donniez du simple « Monsieur » dans la lettre que vous m’avez adressée récemment et à laquelle je reviendrai. Mais sans doute aviez-vous vos raisons.
Il y a tellement de choses que je ne comprends pas dans vos agissements, Madame la Présidente et chère collègue. La première tient justement à ce titre de « Présidente » dont je n’aurais pas imaginé que vous teniez à vous en charger aussi tôt. Ignoriez-vous la règle suivant laquelle l’un des trois départements représentés au sein de ce qui était encore l’UAG ne saurait « confisquer » la présidence, et que trois présidents successifs issus de la Martinique c’était trop, beaucoup trop pour l’équilibre de l’institution ? Que donc vous auriez dû vous interdire de vous présenter, afin de ne pas risquer d’être élue ? Vous n’avez pas voulu écouter ceux qui vous adjuraient de vous abstenir, cette fois, tout en vous assurant de leur soutien lorsque le tour de la Martinique serait revenu, mais sans doute aviez-vous vos raisons.
Vous teniez donc, Madame la Présidente et chère collègue, les rênes de l’UAG lorsque la Guyane a commencé à ruer dans les brancards (si je puis filer la métaphore). Comme vous vous en souvenez, un de nos chers collègues a malencontreusement fouetté l’honneur des Guyanais à ce moment-là, provocation particulièrement mal venue. Vous n’avez pas sanctionné cette faute pourtant lourde de conséquence. Mais sans doute aviez-vous vos raisons. De même que vous aviez sans doute vos raisons pour ne pas vous opposer avec la dernière énergie à la sécession de la Guyane. Pourquoi n’avez-vous pas mis votre démission dans la balance ? L’idée vous a-t-elle d’ailleurs jamais traversé l’esprit que vous n’étiez peut-être pas la personne la plus idoine pour mener l’esquif à travers les récifs, en cette circonstance ?
Quoi qu’il soit, Madame la Présidente et chère collègue, vous êtes toujours là dans votre fauteuil, fauteuil présidentiel, veux-je dire, et c’est un autre sujet d’étonnement. Car enfin, si vous fûtes – malencontreusement – élue présidente de la défunte UAG, je me demande encore par quel tour de passe-passe vous vous trouvez aujourd’hui présidente de l’UA. Pourquoi n’avez-vous pas provoqué dès que cela fut légalement possible l’élection d’un nouveau conseil d’administration conforme au nouveau périmètre de l’université, conseil devant lequel vous auriez pu présenter votre candidature à la présidence, si, comme je le suppose, vous vous sentez indispensable (c’est là une faiblesse bien humaine). D’où tenez-vous votre légitimité ? De la ministre de l’Enseignement supérieur ? Dans ce cas qu’elle vous nomme administratrice provisoire : ce serait plus clair.
Puisque, quoi qu’il soit, vous êtes toujours présidente, il vous revient encore de gérer au mieux notre université (oui, je dis « notre », ne vous en déplaise), en particulier ses finances. Je n’ignore pas les difficultés que vous rencontrez à cet égard et il est vrai que, vu sous un certain angle, votre désir de rester aux commandes dans la situation actuelle peut paraître une preuve de dévouement admirable. Néanmoins, Madame la Présidente et chère collègue, néanmoins n’êtes-vous pas pour quelque chose dans le gouffre financier dans lequel l’UA se trouve plongée ? J’entends bien que le problème viendrait des crédits de recherches qui furent affectés au CEREGMIA. Mais j’entends aussi que la dette de l’université aurait pu être sinon totalement supprimée, du moins considérablement allégée si vous n’aviez pas vous-même et de votre propre chef inopportunément clôturé ces crédits. Il ne me semble pas que vous ayez endossé la moindre responsabilité à cet égard ni même que vous vous soyez jamais exprimée sur ce point, renvoyant toujours la responsabilité sur d’autres collègues. Mais sans doute avez-vous vos raisons ? Autre chose, toujours concernant cette malheureuse affaire, pourquoi avez-vous opposé une fin de non recevoir aux deux présidents des régions Guadeloupe et Martinique lorsqu’ils vous ont demandé de faire remonter des dépenses, ce qui aurait permis de réduire d’autant le passif de l’université ? L’argument que vous leur avez opposé ne tenant pas, sans doute aviez-vous une meilleure raison ?
Vous est-il apparu, Madame la Présidente et chère collègue, que votre propre attitude à l’égard de ces collègues que vous accusez de tous les maux se trouve d’ailleurs fort dispendieuse pour notre université ? Je ne parle pas ici de ce que peut lui coûter votre acharnement judiciaire, les procédures (et les avocats) que vous engagez successivement pour les faire condamner, sans autre résultat tangible – m’a-t-il semblé – que l’interdiction pour l’un d’entre eux de diriger un centre de recherches pendant cinq ans, sanction à mes yeux plus symbolique que réelle, compte tenu de l’énormité, s’il faut vous en croire, des sommes en jeu. Je parle simplement du fait que les deux collègues en question sont interdits par vous d’enseigner depuis plus d’une année universitaire et que, au train où vont les choses, ils n’enseigneront pas encore cette année. Comme vous n’avez pas pu supprimer leurs traitements (il y a quand même une limite à l’arbitraire), l’université non seulement les paye à ne rien faire mais encore doit trouver de quoi rémunérer ceux qui veulent bien assurer leurs cours à leur place. Et que deviennent les étudiants dans l’hypothèse où des cours ne sont tout simplement pas assurés, faute d’enseignants désireux de se rendre complice d’un abus de pouvoir en se substituant aux professeurs que vous avez écartés ? Il faut que vous ayez une très bonne raison pour créer ainsi une situation qui, au-delà des étudiants concernés – ce qui n’est pas rien – atteint profondément, et pour longtemps, la réputation de l’université. Et que dire des thésards laissés sans encadrement, car n’importe qui ne peut pas se substituer à un directeur de thèse.
Sans doute pensez-vous qu’il s’agit de petites choses à côté de l’énormité du gouffre dont, à tort ou à raison, vous imputez la seule responsabilité aux collègues en question. Néanmoins, Madame la Présidente et chère collègue, néanmoins, ne devez-vous pas, dans une conjoncture financière aussi difficile que celle que traverse l’UA démontrer partout et en tout lieu un souci d’économie ? S’abstenir, par exemple, de se lancer dans des procédures judiciaires inutilement coûteuses et aussi, bien sûr, de se priver des cours d’enseignants chevronnés que vous continuez à payer comme s’ils effectuaient leur service. Et que dire lorsque vous vous privez volontairement des concours gratuits des bonnes volontés qui se présentent ? J’y reviendrai mais, auparavant, puis-je oser une suggestion ? Vous tenez le CEREGMIA – en la personne de ses dirigeants – responsable des difficultés financières actuelles. Admettons-le. Dans ce cas, les difficultés en question remontent à l’époque de l’UAG. Or le CEREGMIA rayonnait sur les trois pôles de ce temps-là, Guyane comprise. Pourquoi dans ces conditions faire porter sur l’UA tout le poids de la dette ? Aux yeux de l’observateur le moins averti, il conviendrait de la répartir équitablement entre l’UA et la Guyane. Vous êtes professeur de littérature espagnole, n’est-ce pas ? Avez-vous appris la gestion financière ? Êtes-vous conseillée ? L’observateur le moins averti a l’impression d’une grande improvisation. On pourrait même imaginer que vous faites passer votre ressentiment contre certains collègues avant le souci de l’institution. Je n’ose croire que tel puisse être le cas. Je m’interroge, simplement. Sans doute avez-vous vos raisons.
J’en viens maintenant, Madame la Présidente et chère collègue, à la lettre que vous m’avez personnellement adressée. D’abord, je voudrais vous demander de me pardonner de faire valoir mon cas personnel, dont les conséquences pour l’université doivent vous paraître encore plus dérisoires que les traitements versés en vain aux deux professeurs que vous avez d’abord suspendus, puis, votre décision ayant été infirmée, purement et simplement interdits d’entrer sur le campus. Une remarque quand même à ce propos. Bien sûr, vous avez sans doute vos raisons, néanmoins, Madame la Présidente et chère collègue, néanmoins ne vous paraît-il pas un tantinet « grossier » d’invoquer comme motif de leur interdiction le risque de trouble à l’ordre public, alors que le trouble qu’il y eut en effet, lorsque les deux professeurs, conformément à la décision rendue en leur faveur par le conseil de discipline, ont souhaité reprendre leur place à l’université, fut le fait – comme cela est bien documenté – de quelques trublions (puisque, en effet, trouble il y eut) entraînés par ce même professeur qui s’était déjà distingué en insultant les Guyanais au moment le moins opportun. Vous ne pouvez ignorer que ledit collègue se montre particulièrement vindicatif et pas toujours uniquement en paroles, alors pourquoi n’est-ce pas plutôt lui qui est interdit de campus ? Mais sans doute avez-vous vos raisons.
Je vous ai déjà fait perdre, Madame la Présidente et chère collègue, trop de votre temps précieux avec mes digressions. J’en viens donc à ma petite affaire personnelle. Celle-ci, ceci dit, n’est pas sans relation avec ce qui précède immédiatement puisque j’y vois une nouvelle manifestation de votre tendance à l’ostracisme. À Athènes, il s’agissait d’un bannissement de dix ans. Comptez-vous aller jusque là avec les deux collègues du CEREGMIA ? L’avenir le dira. En attendant, c’est sur mon cas que je souhaite vous interpeler, Madame la Présidente et chère collègue. Atteint par la limite d’âge, j’ai dû prendre ma retraite à l’été 2014, au moment où le département d’économie de la Martinique, auquel j’appartenais, étais décapité en raison de ce qui était alors la « suspension » des deux collègues en question. Afin de sauver les meubles, dans cette situation particulièrement périlleuse pour les sciences économiques à la Martinique, dans l’attente d’une décision concernant la suspension que vous aviez décidée, j’ai effectué volontairement et bénévolement trois cours pendant l’année scolaire 2014-2015. Cela signifie, soi-dit en passant, que j’ai participé à ma modeste façon au comblement du trou que vous avez creusé dans les finances de l’université en bannissant les deux collègues.
Puisqu’il s’agit d’une lettre ouverte, je dois apporter ici une précision. Mes cours à l’université, bien qu’à la retraite, et donc bien que facultatifs en ce qui me concernait, s’inscrivaient d’une certaine manière dans la suite logique d’une carrière consacrée à l’enseignement supérieur, car les professeurs d’université mis à la retraite, ceux du moins qui souhaitent garder le contact avec le monde universitaire peuvent demander à devenir « professeur émérite » et continuer ainsi ce qu’ils faisaient auparavant en se contentant, pour ce qui est du revenu, de leur retraite. La pratique des universités qui respectent les traditions consiste à accéder à la demande de ceux qui n’ont pas « démérité » et de leur accorder « l’éméritat » pour une période d’au moins trois ans. Est-ce parce que je suis économiste martiniquais et appartiens donc au CEREGMIA ? Toujours est-il, Madame la Présidente et chère collègue, que vous ne m’avez fait accorder par l’instance compétente, contre toutes les pratiques normales, cet éméritat que pour une période d’une seule année, sachant que j’avais fait valoir que je continuerais, au vu des circonstances, d’enseigner (et donc bénévolement). Pourquoi un tel traitement qui ne pouvait m’apparaître que vexatoire ? Sans doute aviez-vous vos raisons.
Pour la présente année universitaire, ne souhaitant pas – tant que mes forces le permettent – m’éloigner complètement des collègues et des étudiants qui m’ont beaucoup apporté (et auxquels j’ai pu moi-même sans doute apporter quelque chose), j’ai demandé que cet éméritat accordé pour une durée anormalement courte soit prolongé, ce qui m’aurait permis de continuer à faire un cours dans une matière où, du fait de ma retraite, les compétences requises n’étaient plus disponibles en Martinique. Je n’imaginais pas, lorsque j’ai formulé cette demande, le conseil de discipline ayant tranché en leur faveur, que le bannissement des deux collègues du CEREGMIA n’aurait pas pris fin. Quoi qu’il en soit, par une lettre datée du 3 septembre 2015 qui motive ma présente réponse (et que je tiens à la disposition de qui voudrait en prendre connaissance), vous m’avez informé de votre refus, toujours en vous abritant derrière l’instance compétente qui n’a pourtant pas montré la même sévérité à l’égard des autres collègues candidats à l’éméritat. Vous avez, bien sûr, vos raisons. Fallait-il pour autant, Madame la Présidente et chère collègue, m’avertir aussi sèchement, en commençant par ce « Monsieur » qui, entre collègues, est infâmant et en terminant sans la moindre formule de politesse, fût-ce la plus banale et la moins chaleureuse. Comme je n’imagine pas une minute que vous puissiez manquer à ce point d’éducation – sinon, comment auriez-vous été élue présidente ? – je serais tenté de conclure que vous m’englobez dans votre vindicte à l’encontre de tout ce qui touche de près ou de loin le CEREGMIA. Est-ce là votre mode de « gouvernance », qui ferait litière des intérêts véritables des étudiants et de l’université ? Je ne saurais le croire. Alors je m’interroge. Mais sans doute avez-vous quelque bonne raison à faire valoir.
Veuillez agréer, Madame la Présidente et chère collègue, l’assurance de ma respectueuse considération,
Schoelcher, 12 novembre 2015,
Michel Herland
Professeur honoraire des universités
Ex directeur général adjoint de l’Ecole Nationale de la Comptabilité et de l’Administration des Entreprises (ENSCAE), Tananarive
Ex directeur général du Centre franco-vietnamien de Formation à la Gestion (CFG), Hanoï et Ho Chi Minh-Ville
Ex vice-recteur de Nouvelle-Calédonie