— Par Selim Lander —
Trilogie du revoir
La Trilogie de la Villégiature de Goldoni (1761), Les Estivants de Gorki (1904), La Trilogie du revoir de Botho Strauss (Trilogie des Wiedersehens, 1977) : trois textes dans un intervalle de deux siècles pour décrire de riches personnes en vacances. Des trois, le Goldoni est sûrement le meilleur. Celui de Gorki, malgré des qualités, ne laisse pas un souvenir impérissable, en tout cas dans la version présentée cette année à la Comédie Française[i]. La Trilogie de Botho Strauss créée cet été en Avignon a partagé le public. On a vu quelques personnes déserter précocement le théâtre mais peut-être était-ce dû pour une part à l’acoustique défaillante de la salle dans une configuration telle que le décor, n’occupant pas toute la largeur de la scène, laissait les spectateurs des côtés en fort mauvaise posture pour entendre. Or les déserteurs étaient des vieilles personnes, lesquelles, comme l’on sait, ont souvent des difficultés d’audition. Ce à quoi s’ajoutait la caractéristique malheureuse de beaucoup de comédiens aujourd’hui de crier au lieu de « porter » la voix. Tendance d’autant plus pernicieuse (pour le spectateur) chez les comédiennes qui montent alors dans le suraigu.
Cela étant, en dehors des spectateurs déserteurs, il y eut aussi ceux qui refusèrent absolument d’applaudir à la fin, considérant qu’un tel spectacle n’était « pas digne d’être monté au festival » (qui en a pourtant vu bien d’autre !), une vieille lune qui déplaisait à ces amateurs de la modernité à tout crin. Nous ne dirons pas cela, le sujet de la Trilogie nous paraissant au contraire indémodable (que l’on relise, pour s’en convaincre, Les Petits Chevaux de Tarquinia de Marguerite Duras). En outre, Botho Strauss ajoute une dimension nouvelle au thème en ne se contentant pas de décrire les couples qui se déchirent, les liaisons adultères qui s’ébauchent, l’écrivain en panne d’inspiration mais en ajoutant une réflexion intéressante sur l’art et la mission de l’artiste, puisque l’action se déroule dans un musée dont la dernière exposition – intitulée « Réalisme capitaliste » – fait scandale (le musée est installé dans le lieu de villégiature – qu’on imagine quelque chose comme la Fondation Maeght, sur la Côte d’Azur). Où s’arrête la souveraineté de l’artiste (en l’occurrence le commissaire de l’exposition) ? Quels sont les « droits » des amateurs éclairés (ils prendront l’initiative de modifier l’accrochage et le titre pour sauver l’exposition) ?
Personnellement, en dehors des problèmes acoustiques (qui disparurent lorsque nous avons pu quitter notre place sur le côté et prendre celle d’un « déserteur »), plus le temps passait et plus nous nous sommes intéressés aux personnages. Il est vrai qu’on finit par bien les connaître, la pièce durant trois heures. La mise en scène du jeune Benjamin Porée (il a commencé sa carrière en 2009) est pour beaucoup dans la réussite de cette Trilogie – on ne parlera pas pour autant de chef d’œuvre – d’autant qu’il s’agissait de diriger pas moins de seize comédiens, de loin la troupe la plus nombreuse du festival. Il faut également mentionner la scénographie de Mathieu Lorry-Dupuy (un mur translucide au fond et deux plateaux ronds concentriques, tournant, celui du centre portant un immense canapé à deux faces). Enfin l’usage de la vidéo est ici complètement pertinent : il répond aux indications de l’auteur, lequel a prévu parmi ses personnages un garçon qui ne cesse de photographier les adultes.
L’Affaire Dussaert
Après cette grosse machine dramatique du IN est-il légitime de passer à un seul en scène humoristique du OFF ? Avignon permet touts les rapprochements, y compris ceux au premier abord les plus incongrus. Soit donc une pièce écrite et jouée par un homme seul, Jacques Mougenot, créée en 2002, déjà présentée en Avignon en 2010,2011, 2012 et 2014, qui prend la forme d’une conférence présentant la vie et l’œuvre d’un certain peintre, Jacques Dussaert, fondateur du mouvement « Vacuiste » (dont on peut imaginer facilement à quoi il correspond).
Cette pièce qui connaît un grand succès public a été incendiée par certains critiques[ii]. Leur critique tombe à côté car l’auteur ne cherche pas à éblouir les intellectuels mais à divertir le bon peuple. Va-t-on reprocher à Molière d’avoir écrit des grosses farces à coups de bâton comme L’Avare ? Il est aussi absurde de condamner un Mougenot pour ses jeux de mots jugés trop faciles ou parce qu’il a tendance au cabotinage ?
On ne parlerait pas ici de sa pièce si la critique qu’elle développe à propos d’un certain art contemporain, dans lequel charlatanisme rime avec affairisme, n’était complètement pertinente. En plus, on avouera que la manière dont le comédien a écrit son texte, dans un français oral, fait d’interruptions, de coq-à-l’âne, de retours en arrière nous a séduit autant que la manière parfaitement naturelle en apparence dont il le dit (cabotiner peut être tout-à-fait naturel chez certains conférenciers).
Une pièce à recommander aux spectateurs non puristes, désireux de passer un bon moment en écoutant quelques vérités premières sur l’art contemporain, intégrées dans une fiction qui pourrait bien se trouver dépassée un jour par la réalité.
[i] Voir ici : http://mondesfrancophones.com/espaces/periples-des-arts/les-estivants-ou-les-frustres-en-vacances/
[ii] Voir par exemple ici : http://www.lestroiscoups.com/article-l-affaire-dussaert-de-jacques-mougenot-critique-de-laura-plas-theatre-du-ranelagh-a-paris-102595839.html