Tribune libre dans The Guardian
Publié le 11 juillet 2015
(traduit par Monica M.)
Le Sommet de l’Union européenne de demain scellera le destin de la Grèce dans la Zone Euro. Pendant que j’écris ces lignes, Euclid Tsakalotos, mon camarade, grand ami et successeur au Ministère des Finances de la Grèce, va participer à une réunion de l’Eurogroupe qui déterminera si un accord entre la Grèce et nos créanciers est possible et si cet accord comporte un allègement de la dette qui permettrait à l’économie grecque d’être viable dans la Zone euro. Euclid apporte avec lui un plan de restructuration de la dette, modéré et bien pensé, qui respecte sans aucun doute à la fois les intérêts de la Grèce et de ses créanciers (j’ai l’intention d’en publier les détails lundi, une fois que la poussière sera retombée). Si ces modestes propositions de restructuration sont rejetées, comme les propos du ministre des Finances allemand le suggèrent, le Sommet de l’Union européenne de dimanche décidera si l’UE jette la Grèce hors de la Zone Euro maintenant ou si elle l’y maintient pendant un temps plus ou moins long, dans un état de plus en plus grande misère, jusqu’à ce qu’elle s’en aille. La question est : Pourquoi le ministre des Finances allemand, Dr Wolfgang Schäuble, refuse-t-il une restructuration sensible et raisonnable de la dette, dont les bénéfices sont mutuels ? Dans la tribune libre que j’ai publiée aujourd’hui dans The Guardian, je propose une réponse [veuillez noter que le titre de l’article choisi par le Guardian n’est pas mon choix. Le mien est celui du présent article).
Le drame financier de la Grèce fait les gros titres depuis cinq ans pour une raison : le refus têtu de nos créanciers de concéder un allègement substantiel des dettes. Pourquoi, en dépit du bon sens, contre le verdict du FMI et contre les pratiques quotidiennes de banquiers faisant face aux débiteurs stressés, nos créanciers résistent-ils à une restructuration de la dette? La réponse ne peut pas être trouvée dans l’économie parce qu’elle s’inscrit profondément dans la politique labyrinthique de l’Europe.
En 2010, l’état grec est tombé en faillite. Deux options compatibles avec le maintien de l’adhésion à la zone Euro se sont présentées : l’option raisonnable, que n’importe quel banquier convenable recommanderait – la restructuration de la dette et la réforme de l’économie; et l’option toxique – accorder de nouveaux prêts à une entité en faillite en la prétendant solvable.
L’Europe officielle a choisi la deuxième option, privilégiant la protection des dépôts des banques françaises et allemandes exposées à la dette publique grecque sur la viabilité socio-économique de la Grèce. La restructuration de la dette aurait impliqué des pertes pour les banquiers ayant investi dans la dette grecque. Plutôt que d’avouer aux Parlements que les contribuables devraient payer de nouveau pour les banques au moyen de nouveaux prêts, les officiels de l’Union européenne ont présenté l’insolvabilité de l’état grec comme un problème de non liquidité et ont prétendu que « le sauvetage » était une mesure de « solidarité » envers les Grecs.
Pour transformer en « amour vache » le transfert cynique de pertes privées irréparables sur les épaules de contribuables, on a imposé une austérité record à la Grèce, dont le revenu national, à son tour – avec le remboursement des nouvelles et des vieilles dettes – a diminué de plus d’un quart. Un enfant de huit ans comprendrait que ce processus ne pouvait pas bien finir.
Une fois l’opération sordide menée à son terme, l’Europe avait automatiquement une autre raison de refuser de discuter la restructuration des dettes : elle frapperait maintenant les poches de citoyens européens. Des doses croissantes d’austérité ont été administrées tandis que la dette augmentait, forçant les créanciers à multiplier les prêts en échange de plus d’austérité.
Notre gouvernement a été élu avec le mandat de mettre fin à ce cercle vicieux, d’exiger la restructuration de la dette et d’en finir avec l’austérité paralysante. Les négociations sont publiquement parvenues à une impasse pour une raison simple : nos créanciers continuent à exclure toute restructuration tangible de la dette, en soulignant que notre dette impayable doit être remboursée « paramétriquement » par les plus faibles des Grecs, leurs enfants et leurs petits-enfants.
Durant ma première semaine en tant que ministre des Finances, j’ai reçu la visite de Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe (les ministres des Finances de la zone Euro), qui m’a donné ce choix : acceptez « la logique » du sauvetage et laissez tomber toute demande de restructuration de la dette, ou bien votre accord de prêt « s’effondrera » – la conséquence implicite étant que les banques grecques seraient fermées.
Cinq mois de négociations se sont ensuivis, dans des conditions d’asphyxie monétaire et de bank-run supervisé et administré par la Banque Centrale Européenne. La messe était dite : à moins que nous ne capitulions, nous affronterions bientôt le contrôle des capitaux, le fonctionnement réduit des distributeurs automatiques de billets, les vacances prolongées des banques et, en fin de compte, le Grexit.
La menace de Grexit, montagne russe, a rempli d’effroi en 2010 les financiers car leurs banques étaient pleines de dette grecque. Même en 2012, quand le ministre des Finances de l’Allemagne, Wolfgang Schäuble a décidé que les coûts de Grexit étaient « un investissement » digne d’intérêt pour discipliner la France et al., la perspective a continué à faire une peur bleue à presque tous les autres.
Au moment où Syriza a conquis le pouvoir en janvier dernier et comme pour confirmer notre certitude que « les renflouements » n’avaient rien à voir avec le sauvetage de la Grèce (et tout pour favoriser l’Europe du Nord), une grande majorité dans l’Eurogroupe – sous la tutelle de Schäuble – avait adopté le Grexit comme la solution préférée ou l’arme de choix contre notre gouvernement.