— Par Selim Lander —
Après des succès initiaux, l’existence du romancier et dramaturge suédois August Strindberg (1849-1912) est devenue compliquée, malheureuse, déprimée, comme il le raconte dans son récit Inferno (1897). Le Chemin de Damas, qui date de l’année suivante, se situe dans la même ambiance. Le spectacle présenté, toujours dans le IN, par le jeune metteur en scène Jonathan Châtel, est une adaptation de la première partie de « Till Damaskus ».
Il faut d’abord parler du Cloitre des Célestins qui abrite les représentations, le lieu le plus magique du festival. Puisque j’évoquais dans mon billet précédent les religions et leur poids sur certaines populations, si le catholicisme romain n’avait pas régné sans partage sur l’Europe pendant des siècles et des siècles, les agnostiques ou indifférents d’aujourd’hui, fervents des communions… « culturelles », ne bénéficieraient pas de l’héritage architectural laissés par leurs ancêtres dévots et soumis à la dîme. C’est particulièrement vrai en Avignon, ex ville papale. Souvent les souffrances des anciens font le bonheur de leurs successeurs. Il en va également ainsi, par exemple, de la conquête romaine, lors de laquelle des peuples furent soumis à une rude férule, voire à l’esclavage, mais c’est à ce prix que la civilisation gréco-romaine a pénétré l’Europe pour notre plus grand bien.
Les gradins très en pente dominent la scène qui s’étend tout au long d’une galerie percée d’ogives. Le plateau est troué par deux gigantesques platanes dont les frondaisons se perdent dans le ciel. Le scénographe (Gaspard Pinta) a imaginé un mur de grands panneaux en inox, ajustés mais susceptibles de pivoter pour laisser passer les comédiens, qui entrent et sortent donc d’un endroit mystérieux qu’on entrevoit par instants. La lumière (de Marie-Christine Soma) est également remarquable, à dominante jaune, on se prend à lever la tête pour chercher la source de ce pâle soleil, à l’unisson du cœur des personnages. Un mobilier inachevé, visible sur les photos, tout en bois clair, suffit pour restituer une ambiance nordique. On a l’habitude, dans le IN, de voir de belles scénographies ; celle-ci se fait particulièrement remarquer.
Les personnages, donc, ont le cœur lourd. Ils sont huit pour quatre comédiens. Trois nous intéressent surtout, tous remarquablement interprétés : l’Inconnu (« Andreas », joué par Thierry Raynaud), La Dame (Nathalie Richard) et le Médecin (Pierre Baux). Trio classique, à ceci près que l’inconnu ne l’est pas du tout pour le médecin, mari de la dame, et qu’il la laissera partir avec l’inconnu pour d’obscures raisons. Ajoutons à cela que l’inconnu est un écrivain désargenté, ce qui ne simplifie rien quand on fugue avec une dame de la haute société. Le texte est merveilleusement écrit et merveilleusement dit. Il ne manque pas de surprises. Impossible de ne pas se laisser prendre lorsque la situation s’installe. Et puis l’attention finit par se relâcher. Le spectacle de la déréliction est par nature plombant (voir notre article sur Le Roi Lear) ; on finit par trouver les silences trop systématiques et l’on est soulagé quand la représentation s’achève au bout de deux petites heures. C’est beau, oui, mais loin de la perfection. Le jeune (on l’a dit) metteur en scène était-il trop impressionné par la circonstance pour ajouter le grain de fantaisie qui aurait pu éviter que la torpeur ne gagne, peu à peu ?