Après N° 51 venue d’Estonie, voici, toujours dans le IN, une pièce en russe surtitré. Kirill Serebrennikov, directeur du Gogol Center de Moscou présente une version scénique des Idiots inspirée du film de Lars von Trier (1995). Pour protester contre une société qui ne leur convient pas, quelques individus décident de faire les « idiots », c’est-à-dire de se comporter de manière ridicule et/ou choquante, comme par exemple se faire pousser dans une chaise roulante en imitant un infirme psychomoteur. Ils se réunissent dans l’appartement de la tante de l’un d’entre eux. En postant sur internet des photographies de faux handicapés, ils ramassent quelques fonds qui les aident à financer les fêtes en forme de happenings qu’ils organisent entre eux. L’une de leur recrue les a rejoints ainsi, apitoyée par le sort d’un (faux) infirme qui réclamait une assistante (sexuelle). Cette scène donne lieu à un premier effeuillage intégral. Un autre interviendra, proche de la fin, lorsqu’une journaliste affairiste viendra proposer au leader de la bande de gagner de l’argent en se donnant en spectacle à la télévision. En signe de bonne foi, il lui demande de se déshabiller, ce qu’il fait immédiatement, intégralement (la journaliste gardera le bas). Jusqu’ici, après quatre spectacles dans le IN, c’est donc carton plein ! Aucun spectacle sans sa séquence avec des comédiens entièrement nus. Je croyais que la mode en était un peu passée : il faut croire que non.
La version russe des Idiots est censée être plus dure que celle, danoise, de Lars von Trier, la Russie d’aujourd’hui (et d’hier) étant un pays incontestablement plus intolérant, plus violent que le Danemark. Même si la pièce commence par un procès, bientôt suivi de sa reconstitution, cela ne paraît pas vraiment. Par contre le côté fantaisiste, décomplexé, délirant des faux idiots apparaît bien. Les tableaux s’enchaînent rapidement. Pendant que deux ou trois comédiens s’agitent sur le devant de la scène, les autres s’affairent dans leur coin pour changer de costume. Une caméra baladeuse, à moins que ce ne soit l’œil d’un ordinateur portable, permet de voir certains détails, des gros plans des visages, sur des écrans de part et d’autre de la scène. Les éléments du décor (bureaux, baignoire, cage de prisonnier) bougent. La mise en scène très dynamique permet de supporter sans mal les deux heures et demie du spectacle.
On est de toute façon obligé d’attendre la fin (annoncée dans le programme). Le tableau final prévoit en effet l’intervention de vrais « « idiots » », cinq trisomiques (quatre enfants et un adolescent), vêtus de tutus comme la danseuse qui est intervenue juste avant. Même prévenu, l’effet est évidemment saisissant. Et il pose l’interrogation indispensable de la part des artisans du spectacle : est-il vraiment légitime d’imiter des handicapés, de jouer avec ça, au risque de choquer beaucoup de gens ? Toute transgression est-elle permise ? Question à vrai dire indécidable. Les Français ont eu à se poser une question du même genre à propos des caricatures de Mahomet. Les journalistes avaient-ils raison, avaient-ils tort ? La réponse ne peut pas être la même pour celui qui s’inscrit dans une modernité d’où la foi religieuse est absente et pour celui qui prend au pied de la lettre son livre saint et l’enseignement de ses pasteurs.