Par Jean-José Alpha
–La présentation publique de la pensée de Spinoza, philosophe peu connu des Martiniquais et qui aurait pourtant influencé bon nombres de penseurs occidentaux jusqu’à Césaire et Fanon, a effectivement éveillé l’intérêt d’un bel auditoire et de lecteurs invités à la Bibliothèque Schoelcher, juste à la veille des jours gras.
L’écrivain essayiste Roland Davidas, auteur de la surprenante « prosopopée de Spinoza à propos du devenir des Antillais », intitulée Que peut le corps des Antillais ? (ed. Gawoulé), avait invité les martiniquais à échanger vendredi dernier avec Baruch Bento de Spinoza (24 novembre 1632 -21 février 1677 ), philosophe de la joie dont il dit qu’ « imaginer quelque chose de joyeux entraîne parallèlement (mais non causalement) une modification corporelle qui me fait éprouver physiquement de la joie. »
L’étonnement des Amis du Livre, membres de la célèbre bibliothèque foyalaise était perceptible en début de soirée malgré la présentation faite par le philosophe Georges-Henri Léotin et les lectures de José Alpha. Parler d’une philosophie de la joie comme déterminante de liberté et de bonheur dans le contexte sociopolitique vécu notamment par les martiniquais, n’est ce pas encore une provocation des mentalités antillaises profondément conditionnées par la Tristesse avec laquelle on s’est toujours accommodé ? Et puis cette manière d’interroger le philosophe hollandais sur l‘évolution de la société antillaise et singulièrement martiniquaise même pétrie de Tristesse, nous en convenons, n’est elle pas suspecte ? Que veut nous dire Roland Davidas ?
Par le prisme de la philosophie de Spinoza, Roland Davidas identifie la Tristesse de notre société martiniquaise placée dans un état d’hypnose qui nous empêche d’agir, qui nous livre à la superstition, aux tyrans, et qui nous maintient dans la servitude. « La philosophie de Spinoza est une philosophie de la joie parce que seule la joie favorise la pensée positive de la vie qui ne craint pas la mort. » A partir de l’une des plus importantes questions philosophiques « Que peut le corps humain ? » posée par Spinoza dans son chef-d’oeuvre l’Ethique, Davidas communique au lecteur les réponses qu’aurait pu nous faire le philosophe héritier critique du cartésianisme et surtout qui prit ses distances vis-à-vis de toute pratique religieuse, mais non envers la réflexion théologique grâce à ses nombreux contacts interreligieux.
Si les Antillais sont en effet dominés par la crainte et l’espérance, ils aiment à imiter les affects des autres et ils ont du mal à se « contempler eux même ainsi que leur puissance d’agir ». Et pourtant, ajoute l’auteur du récit « le Corps des antillais est expansif, sa puissance indéfinie et ses pouvoirs inexplorés (…) Sa puissance d’agir est une partie de la puissance infinie de la Nature ». L’espoir lui-même est une passion triste comme la crainte, le désespoir, la pitié, la moquerie, l’envie, le repentir, la honte, le regret, la colère, la vengeance etc., un sentiment d’esclave que le tyran exploite en permanence.
Dans un État libre on offre aux citoyens l’amour de la liberté et non l’espoir de récompenses pour bonne conduite. Et Spinoza d’ajouter, « celui qui s’attriste sur les passions de l’homme, c’est le prêtre, complice de cette tentative d’asservissement général de l’homme. »
Une soirée riche en découvertes, en fait de révélations à soi même puisque chacun pouvait mesurer à partir de son parcours existentiel, les vérités subversives et dérangeantes de la pensée de Spinoza qui dévoilent en même temps les mensonges et les mystifications du Pouvoir qui dénie toute puissance créatrice à la multitude Antillaise.
L’auditoire conquis a emporté l’ouvrage, réclamé des autographes, rassuré, comme ont pu dire certains, par l’arrivée du carnaval exutoire de nos affections négatives. Mais pour combien de temps encore ?
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