— Par Pascal Riché —
Le jeune blogueur Raif Badaoui a été condamné à 10 ans de prison et 1.000 coups de fouets pour ses écrits « blasphématoires ». Un petit livre présente les articles, raisonnés et lumineux, qui lui ont valu cette peine.
Si vous vous demandez encore où est Charlie, il rêve dans les toilettes de sa cellule collective, dans une geôle saoudienne. Quand il y entre, le prisonnier Raif Badaoui (aussi orthographié Raif Badawi), 31 ans, y trouve des feuilles de papier souillées, des excréments partout. La situation, écrit-il, est effroyable :
Des murs sales, des portes défoncées, rouillées. Me voilà qui tente de m’adapter pour faire face à ce chaos. Et tandis que j’examine avec attention les centaines de graffitis inscrits sur les murs poisseux des toilettes communes de la cellule, mon regard tombe sur la phrase ‘La laïcité est la solution‘. Stupéfait, je me frotte les yeux pour m’assurer que je vois bien ce que je vois.«
Sur les murs, une main a donc écrit ton nom, Laïcité. Ce qui redonne du courage et même de la « gaieté » au prisonnier, qui a tout à coup le sentiment de voir apparaître, sur le mur misérable couvert d’obscénités, « une jolie fille séduisante » :
J’ai été aussi émerveillé qu’heureux de découvrir cette belle maxime insolite. Car de la lire là, au milieu des centaines de mots orduriers issus de tous les dialectes arabes qui souillaient ces murs crasseux, prouvait qu’il y avait ici au moins une personne qui me comprenait, et qui comprenait ce pour quoi j’avais été incarcéré. »
Raif Badaoui, emprisonné depuis 2012, est aujourd’hui une icône de la résistance à l’oppression théocratique. Il a eu le tort d’avoir prêché la raison, la laïcité, le libéralisme, la tolérance, le respect des femmes dans le pays de la Charia toute puissante. Arrêté en 2012, ce blogueur a été condamné pour blasphème, à une très lourde peine : 10 ans de prison, 1.000 coups de fouets, 1 million de Ryads, soit 200.000 euros.
Sa femme Ensaf Haidar et ses trois enfants ont émigré au Canada et le sort du jeune écrivain fait depuis l’objet d’une importante mobilisation internationale, notamment grâce à l’action d’Amnesty International. Les 50 premiers coups de fouets ont été administrés en place publique, le 9 janvier, « au milieu d’une foule ravie » chantant Allahu Akbar. Face au tollé international, les séances hebdomadaires de coups de fouet ont été suspendues. Raif Badaoui croupit depuis en attendant les 950 autres coups promis.
Pour éclairer l’absurdité de sa situation, Amnesty et quelques éditeurs ont décidé de réunir dans un petit livre 14 articles qui l’ont fait condamner. Et avec courage, le prisonnier a accepté de dicter à sa femme, depuis sa prison, une courte préface d’où est tirée l’anecdote des graffitis dans les toilettes. Le livre est publié dans plusieurs langues – en France, par les éditions Kero, sous le titre « 1.000 coups de fouets, parce que j’ai osé parler librement » (3 euros, gratuit sur les formats numériques) (1). Tous les bénéfices seront consacrés à la lutte pour la libération de Badaoui…
« 1.000 Coups de fouet. Parce que j’ai osé parler librement », de Raif Badawi. Document, traduit de l’arabe par France Meyer. 3 euros (papier) ou gratuit (numérique). 64 pages. Sortie le 4 juin.