Contre l’élitisme, faisons vivre la culture populaire des Haïtiens!

— Par Lyonel Trouillot (Ecrivain haïtien)—
lyonel_trouillotLe président français était le 12 mai en Haïti. Nous n’étions pas nombreux à l’écouter. Déjà qu’il existe un vieil adage en créole, « ay, tou sa se Lafrans » (« ah, tout ça c’est la France »), qui sert à exprimer le scepticisme après un discours que l’on croit sans suite. Et puis, le président s’exprime dans une langue étrangère pour la majorité des Haïtiens, une belle langue que des élites indifférentes au sort de cette majorité utilisent comme outil d’exclusion et de domination.

Il est temps de mettre fin à ce partage inégal des langues en Haïti. La France pourrait aider à faire que le français ne soit plus le bien de quelques-uns, mais la langue de tous, si elle intégrait ce vœu dans les priorités de sa politique de coopération. La situation linguistique haïtienne fait du français une arme au service de l’injustice et de l’inégalité.

Et puis, comment convaincre cette majorité que la France sait faire autre chose que parler, que sa politique de coopération avec Haïti aidera à des changements structurels vers plus de bien-être pour l’ensemble et l’établissement enfin de cette sphère commune de citoyenneté qui manque tant à la société haïtienne ? Quelques signes existent bien pour rappeler l’action de la France en Haïti, la route dite de l’Amitié, des cours à l’Institut français, quelques actions et programmes, Total et Air France…

Il y a bien sûr le passé colonial qui maintient le soupçon. Un soupçon qui ne témoigne pas forcément de la réalité. Il y a des preuves concrètes de formes de solidarité et d’amitié. Comment oublier ceux et celles qui nous ont aidés après le séisme de 2010 ! Comment ne pas entendre les voix des intellectuels qui, pendant la dictature, ont soutenu nos élans vers la liberté ! Comment ne pas saluer le vœu de comprendre et d’aider, montré par des Français, fonctionnaires ou simples civils, vivant en Haïti !
Nos héros pour des barbares

Il reste qu’aux yeux de la majorité des Haïtiens, la France ne semble pas avoir fait la paix avec cette indépendance haïtienne acquise de haute lutte. La victoire militaire d’une bande d’esclaves sur l’armée expéditionnaire levée par Bonaparte, et la réalisation concrète des principes de liberté et d’égalité entre les individus et les races au tout début du XIXe siècle.

La France a souvent fait passer nos héros pour des barbares. Elle a contribué à l’isolement de l’Etat haïtien pendant une bonne partie du XIXe siècle. Elle s’est fait payer des sommes qui ne lui étaient dues ni en droit ni d’un point de vue humaniste. On pourrait me répondre que tout cela, « c’était hier ». Mais l’amitié ne se fonde pas sur des trous de mémoire. Il y a beaucoup à faire,…

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Lyonel Trouillot est notamment l’auteur du roman Parabole du failli (Actes Sud, 2013)